Avec l’aimable autorisation de Morgan Schauerte
Alors que je travaillais sur un projet récemment, j’ai soudain pris conscience des changements qu’avait connus le secteur minier ces dix dernières années, et de son absence manifeste de réaction adéquate. Ceci découle de nombreuses pressions qui atteignent un pic simultanément. Pour faire avancer les projets de l’étape de préfaisabilité à la production, il est primordial de comprendre ce problème.
D’un point de vue historique, le développement minier a toujours été le fruit du travail d’une petite équipe de direction qui planifie et organise. Les entrepreneurs et les conseillers tels que moi offrent des champs d’application spécifiques sur tous les aspects, depuis l’attribution de permis jusqu’à la robotique et l’automatisation. Les contrats sont délivrés « par champ d’application ». Les décisions concernant les produits livrables sont prises par l’équipe de direction de la mine, et présentées à chaque entrepreneur ou conseiller par étapes.
La communication est généralement rare entre les conseillers, qui ne se rencontrent que pour passer en revue les principales réalisations et pour des réunions de synthèse. La communication régulière et l’organisation autour du thème du risque ne font pas partie des champs d’application, par nature. Ce sont des thèmes uniquement évalués lors des étapes importantes pour les produits livrables (certains ne sont pas du tout envisagés avant les dernières étapes de développement). Je pense que l’époque de l’assemblage fragmenté d’éléments non intégrés et faits sur commande d’une mine arrive à son terme, en raison de la nature changeante de ce qu’il est nécessaire de faire de nos jours pour être « performant ». Il ne suffit plus de présenter les seuls facteurs économiques. L’intégralité des éléments du projet proposé (impacts environnementaux, intégration sociétale et fermeture) doit fonctionner.
La phase critique
La phase critique menant à une mise en valeur réussie des mines est de plus en plus axée sur les questions concernant l’attribution de permis, la fermeture, le financement de la mine et l’évolution des facteurs économiques (énergie verte, chaînes logistiques, etc.). Ces questions sont, par nature, liées et ne peuvent être développées par des équipes en vase clos, puis réunies. Si les travaux pour comprendre ces risques sont effectués ultérieurement ou par une équipe qui ne fait pas partie de l’équipe de conception, des questions existentielles peuvent émerger lors de la conception de la mine.
Ces changements au niveau de la mise en valeur des mines ont motivé l’élaboration des lignes directrices de l’ICM sur les principes environnementaux, sociaux et de gouvernance pour l’estimation des ressources et des réserves minérales, adoptées par le conseil de l’ICM (uniquement en anglais) le 8 septembre 2023. Ces lignes directrices contiennent des conseils quant à certains des risques et la manière de les estimer pendant les évaluations des ressources. Elles ont des conséquences importantes pour nos travaux à venir. Je vous conseille vivement de lire ce document si vous travaillez dans l’industrie minière.
Voici un exemple de la manière dont les changements peuvent se manifester : imaginez un géologue spécialisé dans les ressources, à qui il est demandé d’optimiser un plan de mine. Il fournit un séquençage optimal durant l’estimation des ressources. Ces hypothèses sont transposées dans le schéma d’installation de la mine, et le conseiller environnemental embauché après l’élaboration de ce schéma découvre plus tard que les hypothèses concernant la conception de la mine sont très difficilement applicables en raison d’une contrainte environnementale régionale spécifique, par exemple l’habitat d’espèces menacées d’extinction.
Compte tenu des calendriers de conception et de financement de la mine, ceci pourrait résulter en un défaut de conception qui entraînerait une fermeture précoce de la mine en raison de problèmes environnementaux difficiles à éviter à cette étape. Ces cinq dernières années, beaucoup de mines ont fermé leurs portes plus tôt que prévu en raison de décisions prises prématurément en matière de conception qui ont posé problème et ont considérablement réduit le cycle de vie global de la mine.
La mine holistique
Pour être profitable, une mine ne peut consister en une série de champs d’application reliés entre eux. Elle doit plutôt s’envisager comme un projet global où, sur une base régulière et qui peut être suivie, chaque groupe échange et conçoit de manière à éliminer tout risque possible pour le projet complet. Pour ce faire, il faut compter sur des équipes solides qui ont non seulement confiance en leurs membres, mais qui comprennent aussi bien que les objectifs de leur tâche sont liés aux risques décisifs du projet à des étapes importantes. Ceci change fondamentalement la manière dont on envisage la promotion du travail d’équipe et le développement de projet dès le premier jour. C’est ce qui permettra aux projets proposés de vraiment se distinguer.
Ceci présente des difficultés pour tout l’éventail des intervenants concernés dans l’exploitation minière, des petites sociétés minières aux poids lourds du secteur industriel. La promotion diversifiée du travail d’équipe et un leadership clairvoyant deviennent aussi importants que la ressource pour que le développement soit réussi, à mesure qu’augmente le besoin d’anticiper ces risques. Il est primordial d’établir une culture de la communication des risques et de leur atténuation au travers d’actions clés et de considérations en matière de conception.
Ceci a des implications sur la manière dont les mines sont mises sur le marché et le moment où cela se produit pour choisir les prestataires et signer les contrats, ainsi que sur la manière dont elles demandent à leurs équipes de travailler et de communiquer. Ceci exige un calendrier, une communication, une analyse et, plus important encore, la définition d’attentes par les équipes de direction de la mise en valeur de la mine sur ce qui a de l’importance à chaque étape du développement. Ceci change aussi la manière dont on récompense les primes de performance et ce qu’elles ciblent. Pour véritablement réussir, nous devons développer, dès que possible, des projets holistiques qui tiennent compte de toutes les facettes du cycle de vie de la mine.
Le changement fondamental a été exacerbé ces derniers mois par la hausse des taux d’intérêt. En conséquence, les investisseurs miniers ont adopté une position de faible tolérance au risque. Tous les points évoqués ci-dessus présentent un risque pour les investisseurs s’ils ne sont pas compris par les promoteurs miniers et les équipes de direction, et les investisseurs cherchent à savoir si ces derniers les comprennent. Une véritable compréhension de cette dynamique en pleine évolution est ce qui distinguera les projets qui parviennent à atteindre la phase de production de ceux dont les études paraissent parfaites sur le papier, mais qui n’obtiendront jamais le financement nécessaire pour prendre leur envol.
Traduit par Karen Rolland