François Saunier, associé de recherche au Centre Interuniversitaire de Recherche en analyse du cycle de vie des procédés, produits et services (CIRAIG), envisage un monde où l’on réduit l’extraction des ressources, où l’on réutilise les résidus miniers et où l’ensemble du secteur pratique le recyclage durable des matériaux. Un rapport du gouvernement du Québec de 2018 sur l’économie circulaire, auquel M. Saunier a lui-même contribué, indique comment faire pour y parvenir dans La belle province.
Qu’entend-on par économie circulaire ? Il s’agit d’une approche reposant sur plusieurs stratégies préconisant une réduction des déchets et une réutilisation durable des matériaux. S’il est exécuté correctement, ce modèle pourrait engendrer un grand pas en avant pour les sociétés minières, tant au niveau économique qu’environnemental.
Déjà, des sociétés québécoises adoptent ce modèle. Par exemple, Les Minéraux Harsco traitent annuellement près d’un million de tonnes de matières résiduelles de l’industrie minière et métallurgique, et les réutilisent pour créer des produits commerciaux performants et sans danger pour l’environnement.
ICM : Parlez-moi de votre parcours professionnel.
M. Saunier : J’ai étudié le génie chimique dans une école d’ingénieur en France, puis j’ai fait ma maîtrise en sciences appliquées à Polytechnique où j’ai travaillé sur l’utilisation de l’analyse du cycle de vie pour étudier les impacts environnementaux de nouvelles technologies de production de l’acier.
Je travaille depuis six ans au CIRAIG, un centre de recherche rattaché à Polytechnique et à l’Université du Québec à Montréal. Les recherches menées dans ce centre consistent principalement à développer différents outils visant à contribuer au processus décisionnel dans le contexte du développement durable. Nos travaux portent sur différents outils, comme l’analyse du mode de vie, l’analyse de flux de matières, et d’autres indicateurs que l’on développe pour assister les organisations dans leurs prises de décisions.
ICM : Quel a été votre rôle dans l’élaboration de ce rapport ?
M. Saunier : Ce projet a été mené conjointement par des chercheurs de l’Université de Montréal, de HEC, et de Polytechnique. Nous avons rédigé ce rapport à la demande du Ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN). J’ai effectué plusieurs études pour différents volets du rapport, notamment sur l’utilisation de l’analyse du cycle de vie pour évaluer la performance environnementale de différentes stratégies de circularité pour certains métaux que l’on trouve au Québec. L’objectif de ce rapport était de commencer à envisager l’application de [l’économie circulaire] à certains métaux stratégiques au Québec.
ICM : Qu’entend-on par économie circulaire, et quelle est son importance ?
M. Saunier : Le concept d’économie circulaire s’oppose à celui d’économie traditionnelle (que l’on qualifiera d’économie linéaire), où l’on extrait les ressources, on les transforme, on les utilise dans des produits d’utilisation courante puis on aura tendance à les jeter. Ces produits devront donc être enfouis ou incinérés. [L’économie traditionnelle] n’est pas durable car, dans un contexte de croissance et de ressources limitées sur la planète, on ne peut pas indéfiniment extraire des ressources.
Le concept d’économie circulaire est encore assez vaste; simplement, il vise à introduire des boucles circulaires dans les différentes étapes du cycle de vie d’un produit. En fin de vie [d’un produit], on s’efforcera de réutiliser les produits ou ses composants (on les récupérera en fin de vie pour les réintroduire directement dans un nouveau cycle), ce qu’on appelle le remanufacturing du produit, autrement dit sa remise à neuf. On peut aussi les recycler…donc on prend le matériau en fin de vie puis on le réintroduit au début de la chaîne de fabrication d’un autre produit. L’économie de fonctionnalité (qui consiste à vendre un service plutôt qu’un produit pour optimiser l’utilisation du produit) est aussi une stratégie connexe à l’économie circulaire. De nombreuses autres stratégies existent pour créer ces boucles de circularité.
ICM : Avez-vous consulté des sociétés minières pour réaliser ce rapport ?
M. Saunier : Nous nous sommes rapprochés des sociétés minières pour recueillir différentes données dont nous avions besoin pour ce projet. Cela nous a permis d’effectuer des calculs et de tester les opportunités et limites de la mise en œuvre de certaines stratégies de circularité sélectionnées dans le projet.
Les différentes stratégies que nous avons envisagées dans le cadre de ce projet s’appliquent à certaines industries minières ou à des industries plus en aval de la chaîne de transformation. Nous ne nous sommes pas uniquement concentrés sur les mines, mais aussi sur ce qu’il se passe lors de la transformation des métaux, lors de leur intégration dans des produits. Nous avons étudié les différents acteurs de la chaîne de valeur du métal, pas uniquement au niveau de l’extraction.
ICM : Comment une entreprise minière serait-elle impliquée dans l’économie circulaire ?
M. Saunier : Pour les industries minières, nous nous sommes orientés sur des stratégies de développement technologique afin de mieux extraire le minerai. Des robots pourraient-ils être utilisés lors de l’extraction pour l’optimiser et aller creuser seulement là où le minerai se trouve ? D’autres stratégies nous intéressant étaient celles ciblant les résidus miniers ; est-il possible d’améliorer leur stockage pour favoriser leur exploitation dans le futur ?
Nous nous sommes aussi tournés vers le concept d’« urban mining » (les mines urbaines). Les milieux urbains constituent-ils de nouvelles réserves de ressources, stockées par exemple dans des bâtiments ? Ils pourraient devenir les nouvelles mines du futur.
Les déchets générés par une industrie peuvent fournir des entrants à une autre industrie. Peut-on envisager de valoriser ces déchets issus de la transformation des métaux plutôt que de les jeter ou de les enfouir ?
ICM : Avez-vous un exemple spécifique d’une entreprise minière qui fait un effort de jouer son rôle dans l’économie circulaire ?
M. Saunier : Généralement, la plupart des sociétés de la chaîne de transformation des métaux pratiquent le recyclage. Dans le cas du projet que nous avons effectué, nous avons étudié trois métaux stratégiques pour le Québec, à savoir le fer, le cuivre et le lithium. Prenons le cuivre, par exemple. À l’heure actuelle, Glencore utilise dans sa fonderie autant de la matière première issue du minerai que de déchets électroniques, qu’elle va valoriser afin d’en récupérer le cuivre et d’autres métaux [à l’étape de transformation des métaux].
Au fond, le concept de l’économie circulaire consiste à arrêter d’extraire les ressources non renouvelables pour essayer de valoriser au mieux celles que l’on a déjà extraites. S’il est utopique d’envisager l’arrêt total de l’extraction, il convient de sérieusement envisager de réduire les activités d’extraction pour valoriser les ressources extraites arrivant en fin de vie. Une société minière dont l’objectif est seulement d’extraire se trouve donc théoriquement en opposition avec ce concept d’économie circulaire. Nous nous sommes ensuite tournés vers la mise en œuvre de ces principes, ainsi que sur leurs conséquences et répercussions positives pour les sociétés minières qui décideraient d’optimiser leurs activités en valorisant les résidus.
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ICM : Pourquoi le gouvernement du Québec vous a-t-il demandé un rapport sur l’économie circulaire ?
M. Saunier : Pour le ministère, l’un des objectifs du projet était de commencer à développer des connaissances sur la question de l’économie circulaire, de voir comment on peut appliquer ce concept au Québec, et au Canada en général car l’économie du pays repose énormément sur l’extraction de ressources. Ce souhait relève véritablement d’une vision de développement de la stratégie minière ; il vise à déterminer en quoi les actions de l’industrie minière peuvent s’inscrire dans un contexte de développement durable et comment leurs activités peuvent être affectées et optimisées.
Donc nous avons à la fois une analyse de la situation pour identifier des stratégies existantes dans le contexte québécois, et une analyse de freins et de leviers de la mise en place de nouvelles stratégies qui donne aussi au ministère des pistes de solution pour faciliter la mise en place de ses stratégies.
ICM : En général, que fait-on actuellement au Québec à propos de l’économie circulaire ?
M. Saunier : Au niveau du gouvernement provincial, une table ronde interministérielle dédiée à l’économie circulaire se réunit qui rassemble des personnes de différents ministères travaillant sur le sujet pour développer le concept. Initialement, seul le MERN participait, mais au fur et à mesure que l’on avançait dans le projet, des membres des ministères du transport, du développement durable, de l’économie, de l’innovation, et d’autres organismes se sont joints au suivi du projet, car les résultats de l’étude impactaient de nombreux secteurs, et non seulement les mines.
Au Québec, le concept de l’économie circulaire est réellement appliqué par divers acteurs à tous les niveaux, que ce soit au niveau provincial, régional ou municipal. Les programmes de formation de plusieurs universités intègrent maintenant ce concept. L’Institut de l’Environnement, du Développement Durable et de l’Économie Circulaire (EDDEC) sur le campus de l’Université de Montréal (UdeM) est l’un des moteurs de la promotion et du développement du concept au Québec.
Au niveau régional, différents organismes, comme par exemple le conseil régional de l’environnement et du développement durable de l’Outaouais (CREDDO) en Outaouais, travaillent auprès des différentes entreprises et organisations présentes sur leur territoire pour développer l’économie circulaire. À différents niveaux, ces organismes vont promouvoir ce concept pour en relier l’aspect théorique et l’aspect pratique et l’appliquer à différentes acteurs.
ICM : Combien de temps faudra-t-il avant que le Québec ne fonctionne totalement comme une économie circulaire ?
M. Saunier : Le concept même de l’économie circulaire totale n’est pas clair ni défini. Il faut bien comprendre que l’économie au Québec ou même le Canada est une économie mondialisée. Le territoire du Québec ne renferme pas toutes les ressources nécessaires pour satisfaire notre niveau de vie actuel. Je ne pense pas que l’on parvienne un jour à être intégralement circulaire nous-même.
Le concept d’une économie 100 % circulaire est très idéaliste. Il ne faut pas forcément chercher à l’atteindre. Cela ne doit pas devenir un objectif final, mais plutôt une façon différente de voir les choses ; il faut arrêter de considérer les déchets comme des déchets et commencer à les envisager comme des ressources. Dès l’extraction d’une ressource, [il faut] réfléchir à la façon de la valoriser au maximum, [il faut] essayer de créer de la valeur avec cette ressource, même lorsqu’elle atteint sa fin de vie. Il faut toujours se demander comment recréer de la valeur en mettant en place de nouvelles boucles d’utilisation de la matière.