Pierre-Claude Ostiguy. Avec l’aimable autorisation de Soft dB

Pierre-Claude Ostiguy est le directeur de la surveillance du bruit et des vibrations à Soft dB, le plus grand bureau technique privé du Canada spécialisé dans l’acoustique et la vibration. Avec un doctorat dans le domaine des vibrations, son expertise lui permet de transformer en solutions pratiques des informations techniques complexes concernant l’acoustique et les vibrations. Ces cinq dernières années, il dirige son équipe dans le développement d’outils, de produits et de services conçus pour répondre au besoin croissant de surveillance du bruit et des vibrations dans les projets miniers.

Le CIM Magazine s’est entretenu avec M. Ostiguy pour en savoir davantage sur l’importance de la surveillance du bruit et des vibrations, les enjeux que cela représente et les solutions que peuvent adopter les mines pour s’assurer que leurs nuisances sonores et leurs vibrations sont contrôlées.

L’ICM : Pour quelle raison la surveillance et la gestion du bruit et des vibrations sont-elles cruciales pour les projets miniers ?

M. Ostiguy : Il existe deux raisons principales. La première concerne la conformité réglementaire. Au Canada, les exploitations minières sont contraintes de respecter les réglementations et les normes locales, provinciales et fédérales en matière de nuisances sonores. L’existence de directives sur le bruit ou les vibrations implique que la contribution sonore d’une mine ne doit pas excéder ces niveaux spécifiques pendant la journée ou la nuit. Par conséquent, en cas de dynamitage, il est essentiel que les émissions ne dépassent pas certaines valeurs de vibrations ou de surpression.

Il est possible de mener des études durant la phase de conception pour s’assurer qu’une mine respecte les réglementations une fois qu’elle entre dans la phase de production. Il faut toutefois bien comprendre que plusieurs variables peuvent avoir une incidence sur le climat sonore, qu’il s’agisse de la direction du vent ou de l’inversion de température. En cas de source de bruit constante, le niveau sonore que l’on entend à distance peut varier d’un jour à l’autre, même si le son généré par la source reste inchangé. La présence stratégique de stations de surveillance du bruit et des vibrations permet de vérifier que les activités respectent les réglementations. Cela nous permet également de gérer toute variation de niveaux sonores, le cas échéant.

La deuxième raison est que l’engagement communautaire devient de plus en plus important durant l’intégralité du processus minier, depuis la phase de prospection jusqu’à l’achèvement, voire l’arrêt définitif des activités à la mine. Le recours à la surveillance du bruit et des vibrations est une stratégie intéressante, particulièrement en ce qui concerne les relations avec la communauté et l’acceptation sociale.

En ajoutant de nouvelles activités à un environnement existant, par exemple le forage d’exploration, l’exploitation à ciel ouvert ou l’utilisation de ventilateurs d’aérage pour les mines souterraines, ces changements peuvent avoir un effet spectaculaire sur le climat acoustique de la zone. Ainsi, lorsque les communautés voisines sont affectées par ces changements, ceci peut poser des problèmes en matière d’acceptation sociale, surtout lorsque le bruit et les vibrations ne sont pas pris en compte correctement.

Si certaines méthodes permettent de réduire le bruit à la source, la surveillance efficace du bruit et des vibrations présente l’avantage de répondre rapidement aux plaintes soulevées par les communautés environnantes. Un enregistrement audio en continu permet de vérifier les niveaux sonores précis au moment de la plainte, d’évaluer si les niveaux respectent les réglementations et d’identifier la source exacte du bruit entraînant le dérangement.

Un aspect important de l’engagement communautaire est qu’il faut bien comprendre que le bruit le plus fort sur une période donnée n’est pas nécessairement celui qui génère les plaintes. Il peut s’agir d’un bruit spécifique. Par exemple, un ventilateur qui fonctionne en permanence peut se confondre avec un bruit de fond au fil du temps, mais un avertisseur sonore de recul sur un camion qui sonne à 2 heures du matin est davantage susceptible d’entraîner des plaintes. Bien qu’il soit plus fort et plus court, si l’on devait étudier le niveau sonore moyen sur une heure, la contribution sonore de l’avertisseur sonore de recul est minime.

La solution de surveillance efficace en temps réel grâce à des enregistrements audio en continu permet littéralement de revenir en arrière, d’écouter le bruit puis d’aider la mine à identifier le bruit qui doit être atténué. Trouver une résolution efficacement est particulièrement utile si la mine espère améliorer l’acceptation sociale de ses activités par la communauté.

L’ICM : Quel genre de problèmes rencontrez-vous lorsqu’il s’agit de gérer le bruit et la vibration dans les sites miniers ?

M. Ostiguy : La principale difficulté a été de trouver une manière d’isoler les informations pertinentes et de ne fournir que celles-ci à la mine, tout en étant encore capable de tout mesurer dans le processus. Ceci devient particulièrement important dans des cas de dépôt de plainte ou si une évaluation de la conformité est nécessaire, car la mine a alors accès à toutes les informations nécessaires requises.

Les systèmes de surveillance du bruit et/ou des vibrations fonctionnent 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, d’où la quantité considérable de données collectées. L’objectif de tout type de système de surveillance est de pouvoir éviter les faux positifs. Prenons comme exemple de faux positif un oiseau qui gazouille à côté des micros. Cela pourrait entraîner un dépassement des seuils de bruit, provoquant ainsi une alerte. Étant donné que ce bruit n’est pas associé aux activités de la mine, il fallait trouver un moyen pour éviter à la mine de recevoir une notification. C’est ce que Soft dB est parvenue à faire.

Soft dB a mis au point un outil de filtrage breveté reposant sur l’intelligence artificielle (IA) appliqué à la surveillance acoustique, spécifiquement conçu pour le secteur minier. Cet outil a la capacité d’éliminer/de filtrer tout bruit sans rapport avec les activités minières, tels que des voitures, des avions, des trains, des oiseaux, des grenouilles, en bref tout bruit qui n’a aucun rapport avec la mine. Ainsi, seul le bruit spécifique aux activités minières et qui approche le seuil de dépassement déclenchera l’envoi d’une notification.

Nous appliquons le même concept avec la surveillance des vibrations. Pour éviter d’envoyer des faux positifs pour les vibrations, nous avons aussi mis au point un système breveté pour la surveillance sismique et des dynamitages, Master Trigger™, qui permet à toutes les stations de surveillance des vibrations de communiquer entre elles. Si une vibration augmente à un moment donné, le serveur relié aux stations interrogera toutes les autres stations pour savoir si elles ont mesuré la vibration en question. Si la réponse est positive, un rapport est généré et envoyé à la mine. En revanche, si la réponse est négative, la mine ne sera pas avertie, car cela est considéré comme sans importance.

L’ICM : Que faut-il prendre en compte lors de la mise en œuvre d’un système de surveillance du bruit et des vibrations ?

M. Ostiguy : Les mines doivent prendre en compte certains aspects. Il est important d’avoir une solide expérience en matière de bruit et de vibration, ou d’être soutenu(e) par une société ayant une expertise démontrée en matière de bruit et de vibration spécifiquement appliquée au secteur minier. C’est en comprenant les activités minières et en sachant précisément ce qui est nécessaire et quelles options sont disponibles que l’on obtient les meilleurs résultats lors de la mise en œuvre et de l’exploitation d’un système de surveillance efficace.

Les solutions de surveillance doivent être en mesure de fournir toutes les informations nécessaires pour bien comprendre le contexte de bruit et de vibrations à tout moment. La surveillance n’implique pas uniquement de mesurer un certain niveau à un moment donné. Le bruit et la vibration sont bien plus complexes. Dans l’idéal, il faut disposer d’informations relatives à l’amplitude et la fréquence du bruit, et de fichiers audio en continu.

En outre, la présence d’un système de surveillance permet de réduire le temps passé sur le terrain, et renforce par là même son efficacité. Les solutions de surveillance doivent aussi pouvoir envoyer des données en ligne en temps réel. Si le système le permet, la mine peut aussi recevoir des notifications en temps réel, et peut donc s’adapter en fonction.

Il comprend aussi des caractéristiques plus avancées, comme la vérification automatisée de la calibration des microphones, ou encore des capteurs de vibrations. Ces systèmes peuvent effectuer des autocontrôles quotidiens. Ainsi, la mine n’aura pas besoin d’envoyer quelqu’un sur le terrain chaque semaine pour vérifier les capteurs. Tout est fait automatiquement. Essentiellement, si des problèmes surviennent, le client est notifié.

L’ICM : Pouvez-vous partager avec nous des exemples de cas concrets couronnés de succès ?

M. Ostiguy : Soft dB surveille actuellement le bruit et les vibrations dans plusieurs mines d’Amérique du Nord.

Nous offrons nos services de surveillance à la mine Canadian Malartic d’Agnico Eagle, au Québec, depuis plus de 10 ans. Il s’agit de l’une des plus grandes mines à ciel ouvert au Canada, et son exploitation se situe à proximité d’une communauté. Soft dB a mis au point un système qui informe la mine uniquement en cas de risque de dépassement des niveaux sonores, tout en tenant compte des conditions météorologiques, de la topographie et de l’emplacement des camions en temps réel. Il calcule la contribution sonore réelle de la mine dans la communauté, ce qui permet à la société de prendre des initiatives pour garantir le respect des réglementations. En utilisant les divers outils développés par Soft dB, la mine est en totale conformité réglementaire concernant le bruit depuis 2018.

Le travail de Soft dB à la mine Canadian Malartic a été mis à l’honneur pour son excellence en matière de surveillance du bruit environnemental. La société a également reçu l’un des Grands Prix du génie-conseil québécois en 2020, qui la récompensait pour son programme de suivi des activités minières.

Dans le cadre de sa division de suivi, Soft dB participe activement à diverses initiatives communautaires. Celles-ci comprennent notamment des réunions et des présentations pour partager ses connaissances en matière de bruit et de vibrations, concernant le processus de surveillance, son fonctionnement et l’aide qu’elle apporte [aux communautés] pour mieux comprendre le bruit environnemental, améliorant par là même l’acceptation sociale par la communauté.

Soft dB propose également ses services de surveillance du bruit et des vibrations à Eldorado Gold Québec et ses activités minières à Val-d’Or, dans le nord du Québec. Début mai, nos spécialistes ont été invités à prendre part à une réunion communautaire pour tenir une session d’information sur la surveillance. Cela a été l’occasion pour notre équipe de présenter ses solutions de surveillance et l’équipement de surveillance que nous utilisons pour la mine, d’expliquer plus en détail ce que nous mesurons (et la façon dont nous procédons), et de répondre aux questions ou préoccupations soulevées par les membres de la communauté. L’acceptation sociale augmente considérablement lorsque l’on propose ce genre d’occasions de créer des liens avec la communauté, d’être transparents quant aux solutions en matière de bruit et de vibrations. Ceci contribue à la réussite globale de la mine.

L’ICM : Quelles tendances prévoyez-vous pour l’avenir de la surveillance du bruit et des vibrations dans le secteur minier ?

M. Ostiguy : Selon moi, l’avenir de la surveillance du bruit et des vibrations dans l’industrie minière réside dans le développement de systèmes totalement automatisés où plus personne n’aura besoin de les gérer ou d’analyser les données et les rapports. Les systèmes fourniront toutes les informations pertinentes efficacement et indépendamment, en toute autonomie.

Pour parvenir à ce point, l’innovation est inévitable, et c’est précisément la direction que prend Soft dB. Nous développons la prochaine génération de systèmes de surveillance du bruit et des vibrations ainsi que des plateformes Web de surveillance.

Traduit par Karen Rolland