The Honourable Patricia C. Hennessy. Source: Ontario Bar Association

Mis à jour depuis la publication de l’article en format papier dans la série de profil Les noms à connaître paru dans l’édition Juin/Juillet 2023. Les Premières Nations ont atteint un projet de règlement extrajudiciaire qui comprend le versement d’un montant de 5 milliards de dollars par le Canada et l’Ontario, qui représente un règlement total de 10 milliards de dollars.Patricia Hennessy, juge de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, pourrait être à l’origine d’un changement juridique historique au Canada.

Mme Hennessy est chargée de déterminer les sommes dues par les gouvernements de l’Ontario et fédéral à plusieurs communautés anichinabées concernant les revenus issus des ressources extraites sur leurs territoires traditionnels depuis plus de 150 ans. L’affaire a été suspendue temporairement pour parvenir à des négociations entre la partie demanderesse et les deux gouvernements. Si l’affaire est réglée dans les tribunaux, le plan de partage des revenus que conçoit Mme Hennessy sera le premier en son genre au Canada établi sur ordonnance de la Cour.

Cette affaire établissant un précédent remonte à 1850, lorsque des chefs anichinabés avaient signé deux traités avec la Couronne qui impliquaient de céder une grande étendue de leurs terres allant des rives nord du lac Supérieur et du lac Huron à la baie d’Hudson, en échange d’une part de la richesse générée par l’extraction des ressources. La Couronne avait alors versé une somme forfaitaire aux Anichinabés et des paiements initiaux d’une rente de 1,70 dollar par personne. Ces paiements avaient été amenés à 4 dollars par personne en 1875.

Depuis près de 150 ans, cette somme est restée inchangée et ce, malgré une clause d’augmentation qui promettait d’ajuster ces paiements en fonction de la hausse des revenus issus des ressources. Les exploitations minières, forestières et d’extraction des ressources situées sur le territoire relevant du traité, qui inclut les municipalités de Sault Ste Marie, Sudbury, Timmins et Thunder Bay, ont généré des milliards de dollars de revenus durant cette période. D’après une fiche analytique du gouvernement de l’Ontario et de Ressources naturelles Canada (RNCan) de 2015, en ne tenant compte que de Sudbury, les plus de 77 mines qui sont en opération depuis la signature du traité ont rapporté 330 milliards de dollars de revenus sur la base des prix actuels des minéraux.

Mme Hennessy devra déterminer les revenus à prendre en compte dans les calculs, mais aussi les dépenses à soustraire, le pourcentage de revenus nets que les Premières Nations devraient percevoir, et l’intérêt à appliquer pour tenir compte de la hausse des revenus au fil des ans. Elle doit aussi décider quel gouvernement devra en assumer les frais.

Les Anichinabés et les deux gouvernements ont des idées radicalement différentes quant à la forme que doit prendre cet accord de partage des revenus. La partie demanderesse allègue que les gouvernements lui doivent entre 8 et 100 milliards de dollars qui, selon leurs dires, représentent un large pourcentage du revenu net auxquels s’ajoutent les hypothétiques frais plus élevés que le gouvernement aurait pu leur facturer s’il avait récupéré la valeur intégrale des ressources.

De son côté, le gouvernement de l’Ontario déclarait qu’il ne doit rien aux communautés, ou qu’elles ne devraient pas percevoir plus de 34 millions de dollars, sur la base de ce que la province a dépensé au fil des ans pour construire des infrastructures telles que le réseau routier et ferroviaire. Quant au gouvernement fédéral, il suggérait de verser aux Premières Nations 10 % des revenus nets, lesquels reflètent selon lui la part des Autochtones vivant dans le territoire couvert par le traité par rapport aux personnes non autochtones.

Le procès, qui a commencé en 2017, s’articulait en trois parties : la première, qui évaluait le sens de la clause d’augmentation ; la seconde, qui décidait si le traité était soumis à un statut de limitations ; et la troisième et dernière partie, qui a commencé en février cette année et qui déterminera ce qui est dû.

En 2018, Mme Hennessy a tranché en faveur de l’interprétation par les Anichinabés de la clause d’augmentation. « La meilleure interprétation possible de l’intention commune des parties… est que la Couronne avait promis d’augmenter les rentes collectives, sans limite, dans des circonstances où le territoire produit une quantité qui permettrait au gouvernement de le faire sans qu’il n’assume aucune perte », écrivait-elle.

En 2020, elle s’est prononcée contre l’argument du gouvernement de l’Ontario selon lequel la poursuite des arriérés par les Anichinabés doit être soumise au statut des limitations. L’Ontario a fait appel des deux décisions. Après que la Cour d’appel de l’Ontario a largement confirmé la décision de la juge Hennessy, le gouvernement a déposé un appel auprès de la Cour suprême du Canada l’année dernière. La décision devrait être entendue à l’automne.

Traduit par Karen Rolland