Michael Valitutti présente des échantillons bruts (non taillés et non polis) de pierres précieuses que Nathan Hennick & Co. transforme en bijoux. De gauche à droite : de la citrine, de la prasiolite, de l’aigue-marine, de la morganite, de l’ambre et de l’améthyste. Avec l’aimable autorisation de Carolyn Gruske

Michael Valitutti est gemmologiste et travaille à Nathan Hennick & Co. Ltd. Toutefois, ce titre est loin de décrire son engagement réel dans chaque étape de l’industrie de la joaillerie. Son approche pratique au secteur de la joaillerie l’amène à visiter des mines, à acheter des lots de pierres précieuses exotiques dans des salons commerciaux, à développer de nouveaux procédés pour manipuler les pierres précieuses et les métaux, ou encore à vendre des articles de bijouterie finis sur le site Internet d’une société (GemsEnVogue.com) et sur des chaînes de téléachat partout dans le monde. L’équipe du CIM Magazine a fait une halte à son bureau à Toronto pour parler de l’industrie de la joaillerie, des répercussions de la pandémie de COVID-19 sur l’extraction des pierres précieuses, et sur les curieuses habitudes d’achat de la génération Y d’Australiens et d’Australiennes.

L’ICM : Pouvez-vous nous présenter brièvement la société ?

M. Valitutti : La société a ouvert ses portes en 1946. C’est une entreprise familiale où nous fabriquons des bijoux. Nous nous trouvons dans le bâtiment où elle a vu le jour, mais d’ici quelques années, ce bâtiment sera transformé en immeuble en copropriété. Nous déménagerons et investirons un autre lieu dans la région. Toutefois, le zonage a changé, aussi nous devrons transférer à l’étranger certaines [de nos] activités de fabrication telles que les pièces moulées de grandes dimensions qui requièrent un brûlage. Nous récupérerons des pièces semi-finies et les finaliserons ici. Nous procéderons entre autres au sertissage, au polissage, à la finition, à l’apprêt, au placage et à d’autres procédures qui ne génèrent pas de fumée. Le moulage aura lieu en Asie ou en Inde, majoritairement en Inde.

L’ICM : Dans quelle mine aimez-vous tout particulièrement vous rendre ?

M. Valitutti : Les mines les plus intéressantes sont celles en souterrain. Je les aime toutes, mais je dois admettre que ma préférée est Belmont, une mine d’émeraudes près d’Itabira, au Brésil, en raison de la taille de l’exploitation et du niveau de professionnalisme que j’ai rencontré là-bas. Le sol de schiste a d’abord été exploité à ciel ouvert, puis en souterrain. L’exploitation est sûre, on y trouve des issues de secours où sont stockés de la nourriture et de l’eau, et où l’air circule. Ce n’est pas le cas de toutes les mines de pierres précieuses. En outre, leur équipement est exceptionnel. Ils ont des machines qui sélectionnent la pierre brute et déterminent la couleur des pierres.

L’une des mines les plus intéressantes que j’ai visitée est celle de Golconda. C’est une mine de tourmaline [au Brésil]. « On nous a emmenés dans une exploitation agricole, et lorsque j’ai demandé ce que l’on faisait là, on m’a répondu que nous étions chez le propriétaire de la mine, celui qui est chargé de l’extraction. Au Brésil, toutes les mines sont dirigées par des exploitants agricoles, c’est un emploi à mi-temps pour eux. » Pour descendre dans la mine, il faut emprunter un [puits] cylindrique en ciment. On nous attache une corde autour de la taille et on nous fait descendre dans la mine. On [ne porte] aucun équipement de sécurité. Les normes de sécurité sont inexistantes ici. La mine est telle qu’on en voit dans les films. Le sol est meuble et sableux. On y trouve des cristaux et du quartz. Le quartz est un précurseur d’autres pierres précieuses, et j’ai trouvé des grenats et de la tourmaline. C’était passionnant. Même sur la formation rocheuse, je voyais de l’améthyste et de la morganite. Étudier les pierres précieuses est une chose, les voir en est une autre. Le niveau de dévouement de ces individus est incroyable. Nous dépendons tellement de ces mineurs artisanaux dans mon métier et pour les produits que nous offrons. Ce sont juste des locaux qui travaillent à leur compte, et dont dépend tout le secteur des pierres précieuses exotiques.

L’ICM : Parlons un peu des aspects économiques de cette industrie. Comment ont-ils évolué ces derniers temps, compte tenu notamment de la pandémie ?

M. Valitutti : La pandémie de COVID-19 a absolument tout changé. Avant la COVID-19, ce secteur était exceptionnellement fluide et dynamique. Dans cette activité, une année se construit sur l’autre. Les fournisseurs extraient activement les pierres. Il y a une chaîne d’approvisionnement. Tout est lié. C’est un peu comme si l’on [produisait] de l’énergie dans une centrale électrique. D’un côté, on a les transformateurs et les câbles ; de l’autre, l’utilisateur final. La COVID-19 est arrivée et a arraché les lignes de transmission. Tout s’est paralysé. Nombre de personnes dans les mines artisanales ont été contraintes de trouver un autre emploi. Certaines personnes achètent encore sur les chaînes de téléachat, mais nous [les négociants] fonctionnons tous sur la base d’un stock préexistant. Les salons dédiés aux pierres précieuses se sont arrêtés. Le plus grand, le salon commercial de Hong Kong [Jewellery & Gem World] s’est arrêté, puis le Tucson Gem and Mineral Show (le salon de Tucson sur les pierres précieuses et les minéraux) a suivi. C’est l’une des raisons de l’inflation [des prix]. Les activités minières n’ont pas encore repris au rythme d’avant la pandémie.

Par exemple, je n’achète plus la morganite qui est maintenant disponible. On m’en demande presque cinq fois le prix. Je la retirerai tout simplement de ma liste. Concernant la kunzite, j’achète ce que je peux. [On trouve] de l’alexandrite ici et là. Et c’est bien là le problème. Les réserves sont sporadiques. Auparavant, l’approvisionnement était stable. [La pandémie] n’a pas affecté l’extraction de diamants. L’extraction des émeraudes est une activité importante. Les rubis de Montepuez au Mozambique n’ont pas été affectés, les saphirs non plus. En dehors des pierres précieuses, tout était difficile à obtenir. Dans ma carrière, je n’ai jamais eu de problème pour trouver de l’améthyste et de la citrine de haute qualité et à haute teneur, il y a toujours eu des réserves. Depuis la pandémie, le prix des matériaux à très haute teneur a fortement augmenté, et il est difficile de trouver la même qualité. On ne les extrait plus.

D’après moi, la situation ne s’améliorera pas tant que le salon de Hong Kong ne sera pas de retour. Une fois que les clients et les fournisseurs recommencent à faire des affaires, toute la chaîne d’offre et de demande est relancée et, à terme, l’exploitation minière reprend. Les [réserves] augmenteront, mais les prix ne se stabiliseront pas tant que l’offre ne rattrapera ou ne dépassera pas la demande.

L’ICM : J’ai entendu dire que les coûts d’expédition et d’assurance ont aussi augmenté pendant la pandémie.

M. Valitutti : Je reviens tout juste du salon JCK [à Las Vegas]. J’étais avec un fournisseur qui avait un petit kiosque. D’habitude, son kiosque est bien plus grand. « Michael », m’a-t-il dit, « avant la pandémie de COVID-19, l’acheminement de mes produits de Bangkok, en Thaïlande, jusqu’ici me coûtait 3 000 dollars avec la Brinks, et leur réexpédition 3 000 dollars supplémentaires. Aujourd’hui, cette opération me coûte 18 000 dollars américains, juste pour les acheminer ici. Vous imaginez le prix que je dois facturer mes produits pour compenser ? »

Tout le monde essaie simplement de survivre, c’est très difficile. Fort heureusement pour moi, nous avons une salle des coffres et un stock préexistant. Malheureusement, nous en avons utilisé 50 à 60 %. Nous préparons des produits pour The Shopping Channel [TSC, chaîne de téléachat]. Lorsque notre produit sera écoulé, nous devrons revenir sur le marché, où la folie règne.

L’ICM : Quelles nouvelles découvertes vous passionnent ? Et quelles pierres précieuses ne pouvez-vous plus acquérir désormais ?

M. Valitutti : Les dernières trouvailles ont eu lieu juste avant la pandémie de COVID-19. De la tourmaline a été découverte au Congo. On la trouvait dans toutes les déclinaisons des couleurs de l’arc-en-ciel, une caractéristique très appréciable. Elle est non traitée, et je n’ai jamais vu une telle pureté. On l’a trouvé en grande partie sur le sol. Tout le monde pense généralement que c’est un galet, mais en le lavant à l’eau, on comprend que c’est de la tourmaline. C’est une trouvaille très intéressante. On a trouvé de l’aigue-marine de très bonne qualité en Tanzanie, bien supérieure à toute l’aigue-marine de Santa Maria d’Itabira. Sa couleur est exceptionnelle, mais ces réserves s’amenuisent. Le turquoise nous manque, on n’en trouve plus vraiment. L’opale éthiopienne est aussi en déclin. Cela s’explique par la difficulté à l’extraire. La tanzanite est-elle vouée à disparaître ? À terme, oui.

L’ICM : Vous avez mis au point un traitement pour la topaze. Pourriez-vous nous l’expliquer ?

M. Valitutti : La topaze est normalement de couleur ambrée, mais on en trouve aussi dans les roses. Beaucoup de topaze que l’on trouve sera blanche et claire, non colorée. Il existe deux manières de la traiter. La première repose sur le rayonnement, la deuxième sur l’enrobage. Le processus de rayonnement est celui que l’on connaît le mieux. [Il génère] des couleurs Sky Blue rappelant la teinte douce de l’aigue-marine, Swiss Blue, d’un bleu vif ou London Blue, plutôt bleu gris. L’autre procédé consiste à prendre une topaze non colorée et à utiliser le dépôt chimique en phase vapeur. On enrobe le pavillon (la partie inférieure de la pierre), dans une chambre à plasma, avec divers minéraux tels que le platine. [Notre traitement] utilise du cuivre. Il fusionne avec le pavillon de la pierre. On l’enrobe ensuite de carbure de silicium. Compte tenu de la réflexion interne, cela crée une couleur Paraíba [tourmaline], un turquoise transparent extrêmement lumineux.

L’ICM : Sur quels développements ou technologies allez-vous travailler à l’avenir ?

M. Valitutti : J’ai des projets, mais ils concernent plutôt le travail des métaux. Nous allons avoir une nouvelle collection avec l’électroformage. Cela nous conférera une conception plus propre et plus affirmée, et elle sera constituée de gemmes. La plupart des bijoux électroformés ne sont pas créés à partir de gemmes. Nous avons contribué au développement d’une technique qui portera sur la manière dont la pierre est placée, mais je ne souhaite pas encore donner plus de détails.

L’ICM : La vente de bijoux par téléachat est-elle encore stigmatisée ?

M. Valitutti : Non. C’était le cas fût un temps, mais ce ne l’est plus. Cette stigmatisation s’est éteinte dans les années 2000. Elle remontait aux années 1980 et 1990. Aujourd’hui, les consommateurs achètent sur Amazon et Instagram. Les clients de TSC sont de la génération du baby-boom, qui a grandi avec la télévision. Toutefois, je négocie avec le Home Shopping Network (HSN) aux États-Unis, et les données démographiques là-bas sont différentes, les clients sont plus jeunes qu’au Canada. En Australie, les personnes les plus jeunes avec lesquelles je traite sont sur TVSN. J’ai animé un programme en direct en studio où le public était présent, et certaines consommatrices avaient la vingtaine, et pas seulement deux ou trois. Je dirais qu’un tiers de mes clients a moins de 30 ans. Pour un même produit que je vends ici à une femme de 65 ans, j’ai des jeunes de 28 ou 30 ans qui m’achètent les mêmes articles. Je ne sais absolument pas pourquoi.

J’ai suivi un séminaire au Gemological Institute of America (l’institut américain de gemmologie). D’après les conférenciers qui animaient le séminaire, si les chaînes de téléachat n’existaient pas, ces gemmes colorées ne seraient pas extraites. Les chaînes de téléachat sont la raison pour laquelle nombre de ces variétés exotiques sont extraites. Avant les chaînes de téléachat, personne ne se souciait de l’apatite. Elle existait, mais on ne connaissait personne qui en achetait. Les chaînes de téléachat ont mis en lumière l’industrie des gemmes colorées et cela ne s’était jamais produit auparavant dans l’histoire. On nous a accordé du temps d’émission pour expliquer au public la beauté de ces gemmes colorées. Cela a réellement ouvert la voie à une toute nouvelle industrie.