Ward Wilson

Deux des principaux défis de l’industrie minière actuelle sont le drainage rocheux acide (DRA) et les risques que pose l’entreposage de résidus miniers fluides. Ward Wilson, professeur de géotechnique et de génie géo-environnemental à l’Université de l’Alberta et titulaire de la chaire de recherche industrielle CRSNG - COSIA en géotechnique des résidus de sables bitumineux, explique que mélanger des résidus miniers asséchés et de la roche stérile peut constituer une « double solution » à ces deux problèmes.

ICM : Quel a été votre parcours de carrière?

Wilson : J’ai commencé par étudier le génie civil à l’Université du Manitoba. Au cours de mes études à l’Université de la Saskatchewan, initialement pour y étudier la stabilité des talus en génie géotechnique, j’ai commencé à m’intéresser au système de couverture et de fermeture afin d’empêcher le drainage rocheux acide (DRA) provenant des résidus miniers et de la roche stérile. Placer Dome (qui fait désormais partie de Barrick) finançait un important programme de recherche qui m’a permis de me joindre au Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (CRSNG) et d’obtenir un financement pour étudier différentes manières d’empêcher le DRA. J’ai ensuite entamé mes travaux de combinaison des résidus miniers et des roches, alors que je fréquentais l’Université de Colombie-Britannique (UBC) de 2000 à 2010, en tant que titulaire de chaire de recherche fondée portant sur l’exploitation minière et l’environnement.

ICM : Qu’est-ce qui provoque le grand intérêt actuel envers l’entreposage de résidus miniers et les problèmes de fermeture?

Wilson : La catastrophe du Mount Polley a été un événement majeur, mais c’est la rupture de la digue de résidus de Fundão qui a réellement attiré l’attention du monde entier, du fait de sa magnitude. Ces événements suscitent désormais l’attention du Wall Street Journal; en effet, même la communauté financière s’inquiète de ce problème, alors que nous construisons constamment des digues toujours plus imposantes. Parallèlement, le DRA est un problème mondial dont la résolution pourrait coûter 100 milliards de dollars.

ICM : Quelle est la place de la pâte de résidus miniers dans vos idées?

Wilson : La démarche consiste à mélanger les résidus miniers et la roche stérile. La roche stérile représente 85 % du DRA; ce dernier est par conséquent principalement constitué de roche stérile et non de résidus miniers. Keith Ferguson, vice-président de Placer Dome, et moi-même avons donc eu cette idée : Pourquoi ne pas sceller la roche à l’aide de résidus miniers? Pensez à la fabrication du béton : vous utilisez du gravier et du sable, puis vous mélangez le ciment et l’eau. Le béton est ainsi ce que l’on appelle une « formulation ». La pâte de roche, même si elle n’a pas recours à du ciment, devrait également être considérée comme une « formulation ». Il importe de contrôler la proportion du mélange et la teneur en eau afin de créer le mélange optimal. Lorsque vous réussissez, vous obtenez une gangue saturée dure, dense et robuste présentant une faible compressibilité, une grande solidité et une résistance élevée à la diffusion de l’oxygène.

ICM : Vous décrivez cette approche comme « une solution double » au DRA et à l’entreposage permanent de résidus miniers fluides. Pouvez-vous expliquer cela?

Wilson : Nous pouvons utiliser des résidus miniers de la consistance d’une pâte asséchée et les mélanger à la roche stérile pour remplir la gangue de roche avec de la pâte de résidus. C’est important, car vous remplissez ainsi tous les espaces de pâte de résidus et conservez suffisamment d’eau pour empêcher la pénétration de l’oxygène, tout en réduisant la perméabilité. Nous obtenons ainsi un matériau scellé éliminant le problème de DRA et conservons la résistance structurelle de la roche. Celle-ci n’est pas compressible et présente une résistance élevée. Cette approche visait initialement à durcir le DRA lors de son dépôt. Nous faisons cependant désormais face à des ruptures de digues, alors que la faible résistance, la forte teneur en eau et la nature liquéfiable des résidus miniers constituent un problème. La double solution est d’obtenir à la fois la stabilité physique (sans glissement de coulées de liquéfaction) et la stabilité chimique, afin de maintenir une résistance à la diffusion de l’oxygène, à la lixiviation des métaux et au DRA.

ICM : Les résidus miniers doivent-ils d’abord être asséchés avant d’être combinés à la roche stérile? Comment cela se passerait-il en pratique sur un site minier?

Wilson : Oui, il est nécessaire d’assécher les résidus; on ne peut pas utiliser de la boue de forage. Il faut donc assécher les résidus miniers pour obtenir une pâte ou un produit filtré non fluide. Il faut ensuite disposer d’une méthode permettant de combiner les deux matériaux; ce qui peut être très simple, comme à l’aide de convoyeurs.

ICM : Où cette approche est-elle employée?

Wilson : J’ai participé à deux projets à UBC. Nous avons collaboré avec Placer Dome à la mine Porgera en Papouasie-Nouvelle-Guinée et avec Inco (devenue Vale) à la mine Copper Cliff de Sudbury. Elles n’ont pas encore vraiment mis l’approche en œuvre, mais elles ont fait des expériences à pleine échelle sur le terrain et ont démontré qu’elle fonctionnait. Les résultats de ce travail ont été publiés dans des articles de revues évalués par des pairs, notamment les articles publiés par Dr Ben Wickland, qui a mis en place les essais à Porgera. Nous avons atteint l’étape où les entreprises sont prêtes à appliquer cette approche en projet pilote. Canadian Malartic met actuellement en place des essais à pleine échelle sur le terrain. CodelcoTech évalue également cette approche, et Golder Associés travaille en interne pour parfaire l’utilisation d’un matériau appelé PasteRock. Goldcorp étudie un mélange de résidus miniers filtrés et de roche que l’entreprise appelle EcoTails. Elle souhaite passer aux résidus miniers filtrés, abandonnant ainsi les bassins et les digues, et étudie énergiquement cette solution. Enfin, Newcrest Mining explore également l’utilisation de la pâte de roche pour d’éventuels nouveaux sites, qui constituent un cadre de lancement idéal.

ICM : Outre les nouveaux sites, je suppose que cette approche de pâte mélangée permet d’éviter de futurs coûts et risques associés à un traitement perpétuel des eaux et à des ruptures de digues?

Wilson : Avoir recours à une pâte de roche est une manière de concevoir la fermeture, c’est certain. Le DRA doit être empêché dès le début. Dès le jour du dépôt, vous devez disposer d’un matériau de déchets miniers chimiquement stable, qui ne réagit pas et ne s’oxyde pas. Vous pouvez fonctionner avec des dépôts de roche stérile pendant une décennie, voire deux ou trois décennies; pendant ce temps, ces dépôts sont exposés à l’oxygène et aux précipitations et réagissent avant même le stade de fermeture. C’est problématique. Il s’agit d’une situation très difficile à résoudre lorsque vous êtes déjà en présence d’acide, d’eau et de drainage. C’est l’un des principaux enjeux du DRA : l’atténuation étant difficile, la prévention est donc essentielle.

ICM : Quelles sont les éventuelles limites de cette approche?

Wilson : Ma principale inquiétude est que l’on applique cette solution sans adopter le mélange correct. Il faut un bon mélange. La formulation doit être résistante. Cela est similaire à la construction un bâtiment en béton : vous ne mélangez pas simplement le sable et le gravier, etc. au hasard. Vous devez créer le mélange correct et la bonne géochimie. Il est donc important de disposer de personnes qui savent comment faire. Un contrôle et une assurance de la qualité sont essentiels. Et cela va coûter plus cher. Je pense que c’est là la source de résistance. Les mines veulent fructifier. Elles doivent toujours se lancer avec un investissement et des coûts initiaux. Elles ne génèrent initialement pas de revenus. Des coûts d’investissement initiaux élevés sont donc un obstacle. Ma réponse à cela est de considérer les entreprises qui traitent actuellement un DRA; peut-être ne s’en sortiront-elles jamais. Elles procéderont au traitement du DRA pendant des siècles.

ICM : D’ici 2040, le secteur comptera-t-il encore sur la chance et un entretien perpétuel pour gérer des digues de résidus miniers fluides?

Wilson : Nous assisterons à un changement de comportement face à la menace de la liquéfaction des résidus miniers. Nous voyons déjà poindre toute une nouvelle génération de conceptions de bassins d’accumulation de résidus. Nous devons désormais former des ingénieurs jeunes et intermédiaires (la prochaine génération) pour qu’ils acquièrent une importante expérience en matière de stabilité et d’intégrité de digues.