Le minerai de fer représente 94 % du volume des métaux extraits à l’échelle mondiale. Avec l’aimable autorisation de Rio Tinto
Les producteurs d’acier au Canada se sont engagés à respecter un programme environnemental ambitieux consistant à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Une série de mesures mettent en exergue les nouveaux partenariats stratégiques et l’utilisation d’une technologie plus propre, dont la plupart portent sur les éléments en aval de la production. Cette tendance domine à l’échelle mondiale. L’aciériste suédois SSAB, par exemple, a récemment annoncé que la société s’éloignait du charbon et se tournait vers une technologie reposant sur l’hydrogène. Elle décrivait son produit comme « le premier acier au monde fabriqué sans énergie fossile » dans l’optique d’éliminer la pollution causée par le carbone de ses activités.
Les exploitations de minerai de fer sont également scrutées à la loupe concernant la réduction de leurs émissions de dioxyde de carbone (CO2) et de gaz à effet de serre (GES). Elles prennent donc des mesures pour rendre leurs exploitations plus propres et améliorer le rendement. L’audit d’une mine de fer à ciel ouvert exploitée par Tata Steel Minerals près de Schefferville, au Québec, par la société d’experts-conseils BBA spécialisée dans l’énergie et les mines, indiquait que les principaux moyens de réduire les émissions de GES consistaient à « analyser le temps du cycle (de transport) entre les gisements miniers, les amas de roches stériles et le concentrateur » et à « remplacer les énergies fossiles par les énergies renouvelables ». Pour l’industrie, les grandes questions sont de savoir comment y parvenir plus efficacement et d’une manière qui minimise l’utilisation d’énergie et les émissions de CO2.
Vision globale
« L’acier (sa fabrication et son extraction) représente une part non négligeable de l’ensemble des émissions à l’échelle mondiale », déclarait François Lavoie, vice-président des ventes, du marketing technique et du développement de produits à Champion. D’après l’International Energy Agency (IEA, l’agence internationale de l’énergie), la production d’acier représente environ 7 % des émissions totales de GES. Lorsqu’il est question de réduire les émissions de GES émanant de la fabrication d’acier, la réponse est évidente pour M. Lavoie. « Le traitement en aval… c’est là-dessus qu’il faut placer nos espoirs pour réduire les émissions. »
D’après la British Geological Survey (BGS, la commission géologique britannique) et les résumés sur les minéraux métallifères de l’United States Geological Survey (USGS, l’institut d’études géologiques des États-Unis), le minerai de fer représente 94 % du volume des métaux extraits par exploitation minière à l’échelle mondiale. La majeure partie de ce minerai de fer est destinée à la fabrication de l’acier, ce qui le rend particulièrement précieux à une époque où les projets d’infrastructure et de développement immobilier sont en plein essor. Si le minerai de fer très pur demande moins d’énergie pendant le processus de fabrication de l’acier, Champion indique qu’à l’échelle mondiale, moins de 30 % du minerai de fer total produit annuellement affiche une teneur supérieure à 65 % de fer (Fe). Du point de vue d’une société minière, tout minerai de fer affichant une teneur supérieure à 54 % est considéré comme un minerai à haute teneur. Pour les fabricants d’acier, c’est à partir de 65 % que l’on considère le minerai de fer comme étant à haute teneur.
C’est bien là qu’est le problème. Le minerai à faible teneur demande un traitement plus énergivore (entraînant par là même plus d’émissions) avant qu’il puisse être utilisé par l’industrie de l’acier. D’après un récent rapport de McKinsey, les minerais à teneur plus faible requièrent un mouvement de matériel plus important, qui augmente la consommation de carburant. Le minerai à teneur plus faible requiert une réduction supplémentaire sous la forme de séparation magnétique, de flottation et de pelletisation. Les efforts visant à faciliter une augmentation de la teneur entre les matériaux bruts de la mine jusqu’au produit final commercialisé sont en corrélation directe avec des émissions de CO2 plus élevées. D’après un autre rapport publié par McKinsey, l’industrie de l’acier « fait partie des trois plus gros émetteurs de dioxyde de carbone ».
Dans un rapport de juin 2021, S&P Global Platts écrivait que si elle souhaite réduire ses émissions de CO2, la Chine aura besoin de davantage de minerais à haute teneur pour alimenter ses aciéries. « L’élan en faveur de la décarbonation devrait augmenter la demande en produits de minerai de fer à alimentation directe, par exemple des boulettes de minerai de fer et des minerais en morceau. Contrairement aux fines de minerai de fer, qui doivent être agglomérées avec du poussier de coke et de la houille anthraciteuse, les minerais à alimentation directe sont directement envoyés dans les hauts fourneaux. Ils sont moins polluants, le charbon y compris. »
Le rapport ajoutait que « la décarbonation profitera aussi à la demande en minerai à haute teneur en raison des impuretés plus faibles et de la productivité plus élevée qu’elle offre. Les impuretés telles que l’alumine et la silice dans le minerai doivent être éliminées avec du coke et du calcaire dans la fabrication du fer. Le minerai de fer avec un degré inférieur d’impuretés consomme moins de coke et de calcaire, et émet donc moins de carbone. En outre, l’élan pour la décarbonation pourrait limiter l’approvisionnement en acier ».
Améliorer la récupération
En 2019, le gouvernement fédéral indiquait que le Canada était le huitième plus grand producteur de minerai de fer au monde. La majeure partie de ces réserves proviennent de la région de la fosse du Labrador, à cheval entre le Québec et Terre-Neuve-et-Labrador. D’après la commission géologique de Terre-Neuve-et-Labrador, deux types de gisements sont depuis toujours exploités dans la fosse du Labrador. Le premier, les métataconites, affichent une teneur de 41 % de Fe, « sont facilement enrichis en concentrés de fer (environ 65 % de Fe) [et] sont idéaux pour la production de boulettes de minerai de fer ». Le second, les minerais expédiés sans traitement préalable (DSO, de l’anglais direct shipping ores), contiennent plus de 50 % de Fe. Les DSO « nécessitent un enrichissement minimum et ont des coûts d’extraction très faibles ».
La production de concentrés de minerai à haute teneur sans émettre de grandes quantités de CO2 durant le processus présente des avantages particuliers, qui confèrent un avantage concurrentiel au Canada dans un monde en quête de charges d’alimentation à haute teneur pour les aciéries et d’émissions de CO2 plus faibles.
La société montréalaise Champion souhaite prendre part à l’action et a un projet d’expansion de son site minier de Bloom Lake, qui devrait prendre fin mi-2022. Champion doublera sa production (dont la majeure partie est alimentée par de l’hydroélectricité propre), qui résultera en 15 millions de tonnes de concentré de minerai de fer à haute teneur pour répondre à la demande mondiale avide d’acier plus écologique. Le site, situé près de Fermont, au Québec, a été racheté en 2016 dans le cadre d’une procédure de faillite. En 2018, Champion commençait les travaux d’amélioration du circuit de récupération. « Nous souhaitons nous assurer que nous optimisons chaque tonne de minerai extraite du sol en optimisant la récupération du fer », expliquait M. Lavoie. « Notre schéma de production fonctionne vraiment bien maintenant grâce aux améliorations majeures que nous avons apportées au site depuis son acquisition. Nos récupérations sont d’environ 83 % à 84 %, soit environ 3 % au-delà de ce que l’on obtient généralement au Canada pour les récupérations. »
M. Lavoie expliquait que, ces dernières années, l’industrie était plus encline à embrasser les changements et à placer davantage d’efforts dans l’innovation. Une partie du changement, ajoutait-il, consistait à adopter de nouvelles technologies pour atteindre de plus hautes teneurs permettant de transformer le minerai de fer en acier, tout en atténuant certains des éléments généralement plus polluants. Ces progrès demandent de passer du haut fourneau et du convertisseur basique à oxygène au processus de réduction directe, associé au four électrique à arc, qui requiert une alimentation en minerai de fer à plus haute teneur.
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Généralement, expliquait M. Lavoie, le matériau extrait est trop fin pour être utilisé directement dans le haut fourneau ou le processus de réduction directe. Ainsi, un processus d’agglomération est nécessaire. Ceci implique de mélanger le minerai de fer et d’autres additifs, tels que le charbon, de placer le mélange dans un four de durcissement et de le chauffer avec des combustibles fossiles afin de sceller les particules, ce qui génère beaucoup d’émissions. L’un des objectifs essentiels concernant la réduction des émissions liées à la fabrication d’acier est de réduire la quantité de charbon et de combustibles fossiles impliqués dans le processus. Le charbon métallurgique, aussi appelé charbon cokéfiable ou charbon nécessaire à la fabrication de l’acier, est chauffé puis transformé en coke. Il est ensuite envoyé dans le haut fourneau avec le minerai de fer et d’autres matériaux pour créer, au final, de l’acier.
Actuellement, Champion travaille avec une société basée au Royaume-Uni pour adopter et industrialiser une technologie de « grippage à froid », développée en Europe. Cette technologie utilise un liant organique pour agglomérer les minerais de fer à une taille acceptable par le processus de fabrication de l’acier et en éliminant le processus de cuisson. « On évite toutes les émissions liées à la chauffe de ces matériaux à 1 200 degrés Celsius », expliquait M. Lavoie. « On finit toujours avec un produit que l’on peut utiliser en aval. Ce sera sans doute l’une des plus grandes révolutions dans les années à venir pour le minerai de fer et la fabrication de l’acier. »
Champion travaille aussi sur un projet d’automatisation reposant sur l’intelligence artificielle qui se traduira par des processus de broyage et d’abattage à l’explosif plus efficaces.
Technologie innovante
Champion n’est pas la seule société à s’intéresser aux révolutions en matière d’empreinte carbone. Début 2021, la Compagnie minière IOC du Canada (IOC) annonçait son projet de développer un système d’information sur l’énergie pour permettre à la société de produire des boulettes de minerai de fer et du concentré à haute teneur (avec des teneurs en fer moyennes supérieures à 66 %) pour réduire les émissions ainsi que les coûts liés à l’énergie. L’investissement total dans le projet, soutenu par Ressources naturelles Canada (RNCan) et Hydro Québec, est de 330 000 dollars.
Les activités d’IOC dans la fosse du Labrador comprennent une mine à Labrador City avec cinq fosses opérationnelles, un concentrateur et une usine de bouletage. Lorsque la société mère Rio Tinto annonçait en octobre qu’elle passait la vitesse supérieure pour réduire les émissions de la société de 15 % à l’horizon 2025 et non plus 2030, Mike McCann, président et directeur général d’IOC, s’est dit ravi de faire partie de cette démarche. Il s’est concentré sur l’usine de bouletage, responsable d’environ 75 % des émissions de dioxyde de carbone d’IOC. La société a désormais un projet de recherche et développement (R&D) qui s’intéresse aux torches à plasma et à la manière dont la transition technologique pourrait permettre à IOC de passer du mazout à l’électricité. « Ceci entraînerait une réduction importante de nos émissions », déclarait M. McCann.
Une autre innovation, encore en phase préliminaire de développement, porte sur la viabilité du projet de transformation des boulettes de minerai de fer d’IOC en fonte de briquetage à chaud (FBC) à faibles émissions de CO2 (une matière première dans la fabrication de l’acier à faibles émissions) à l’aide d’hydrogène vert provenant de l’hydroélectricité. « C’est une démarche totalement différente », indiquait M. McCann. « Elle facilite la manipulation et l’expédition. On peut l’ajouter au processus de fabrication de l’acier en tant que substitut des déchets de fonte dans des fours électriques à arc. Elle soutient la production d’acier à plus haute teneur, en diluant les résidus des pièges à pétrole que l’on obtient à partir des déchets de fonte recyclés. C’est une démarche à la pointe du progrès en matière de réduction des émissions de CO2. »
La société se penche même sur la façon dont elle transporte ses minerais et ses produits. Elle explore l’utilisation de locomotives alimentées par batteries et, bien entendu, d’autres manières d’intégrer l’hydroélectricité pour faire fonctionner ses trains, mais aussi d’autres systèmes.
Nouveaux rendements
À des milliers de kilomètres, l’Australie, qui produit la majeure partie du minerai de fer dans le monde, s’intéresse aussi aux rendements. D’après des informations publiées par International Mining, Magnetite Mines se prépare à lancer une étude de faisabilité sur le site de son projet de mine de fer de Razorback, en Australie-Méridionale. Des résultats positifs suggèrent que plusieurs processus de broyage, de séparation magnétique et d’épaississement par flottation pourraient générer une production de « concentré de magnétite de haute qualité avec une teneur en Fe de 67,5 % à 68,5 % ». Magnetite Mines espère utiliser un analyseur de résonance magnétique (MRA, de l’anglais magnetic resonance analyzer) NextOre. Ce système facilitera « une application à haut débit très précise de tri des minéraux extraits, qui est généralement ajoutée dès les premières étapes du procédé de tri afin d’écarter les déchets miniers avant le traitement ». La société ajoutait que « ceci a pour effet d’améliorer les teneurs à l’extraction en préconcentrant le minerai qui sera soumis à un traitement, tout en rejetant des tonnes de matériaux de faible teneur vers les résidus à l’aide d’une méthode de diversion telle qu’une porte de cheminée à minerai ou un système de détournement des stériles vers un conteneur ».
Les exploitations de minerai de fer pourraient aussi prendre exemple sur leurs homologues d’autres secteurs de l’industrie afin de réduire leurs émissions globales, par exemple en généralisant l’utilisation de véhicules électriques à batterie (VÉB). D’après M. Lavoie, l’élan pour la décarbonation dans les années à venir, associé à une augmentation possible des taxes carbone, incitera d’autant plus les producteurs d’acier à se tourner vers le minerai de fer à plus haute teneur, et à produire de l’acier d’une manière qui réduit la consommation de charbon et les émissions. Cette démarche pourrait conférer au Canada une position avantageuse avec ses produits de minerai de fer à haute teneur. « Le Canada s’est toujours positionné comme un producteur de minerai à très haute teneur. L’accès à l’hydroélectricité est bien évidemment d’un grand soutien », indiquait-il.
« Nous arrivons dans une nouvelle ère », concluait M. Lavoie. « Nous sommes fiers de contribuer à la décarbonation de l’industrie de l’acier et d’offrir une solution à l’économie de demain, qui a besoin de produits en acier fabriqués dans le respect du développement durable. »
Traduit par Karen Rolland