Un chargeur-transporteur souterrain transportant une charge de remblai rocheux avec du ciment à envoyer dans une chambre souterraine de la mine souterraine d’Amaruq de Mines Agnico Eagle, qui fait partie du complexe minier de Meadowbank, dans le Nunavut. Avec l’aimable autorisation de Mines Agnico Eagle
Lorsqu’elle était spécialiste à l’international du remblai chez Hatch, Betty Lin a visité des mines qui se trouvaient souvent dans des zones où le mercure plonge régulièrement en dessous des 50 degrés Celsius. La hausse des coûts du ciment tout usage, que l’on appelle aussi ciment Portland ordinaire ou ciment artificiel, ainsi que les enjeux liés à son transport ont une incidence sur les activités de remblai dans les mines souterraines à l’échelle mondiale. Toutefois, lorsqu’on ajoute à cette équation le pergélisol et les sites reculés, des difficultés uniques interviennent. Les connaissances et l’expérience en matière de remblai acquises dans des mines situées dans des climats plus chauds deviennent quelque peu obsolètes.
Le remblai des mines souterraines élimine les déchets dangereux et réduit les incidences en surface sur l’environnement. Environ la moitié de la surface au sol au Canada est située au-dessus du pergélisol, et de nombreuses mines se trouvent dans ces régions. Les progrès réalisés en matière de technologie de remblai, de matériaux et d’adjuvants révèlent des améliorations en termes de propriétés des remblais pour les mines qui mènent leurs activités dans des conditions de froid extrême. Ils garantissent que ces sites restent stables, réduisent les risques d’affaissement et assurent une dilution minimale des minerais.
Trouver un équilibre
Mme Lin est maintenant directrice technique et responsable des pratiques liées aux résidus chez Hatch. Elle siège également au comité technique de la 14e conférence de l’International Symposium on Mining with Backfill (Minefill 2024, le colloque international sur l’exploitation minière avec du remblai), qui se tiendra du 12 au 15 mai à Vancouver, en Colombie-Britannique (C.-B.). D’après elle, la clé pour un remblai réussi dans les mines souterraines de l’Arctique réside dans la « recette » appropriée du remblai. Autrement dit, il faut trouver la proportion exacte de solides, d’eau et de liant. Les solides sont généralement des résidus, des agrégats ou des déchets. Quant au liant, il s’agit généralement de ciment tout usage. La proportion idéale est déterminée par la séquence minière et la résistance de la roche hôte dans la zone environnante. « D’ici une semaine, la mine pourrait bien faire de l’abattage à l’explosif à côté de ce remblai. Ainsi, il doit être suffisamment résistant pour supporter une explosion à proximité », indiquait Mme Lin. La conception du remblai produit un éventail de mélanges pour satisfaire les différentes zones et exigences de la mine.
En dehors des régions où s’étend le pergélisol, les enjeux liés à la difficulté d’optimiser la composition du remblai ne sont pas si grands. De fait, la chaleur émanant de la réaction chimique du ciment avec l’eau, qu’on appelle hydratation, suffit pour atteindre la température nécessaire pour que le remblai se stabilise seul au fil du temps. Toutefois, dans des climats extrêmement froids, la résistance du remblai pourrait être mise à l’épreuve par la congélation instantanée de son écorce extérieure. Ainsi, il est essentiel de pouvoir reproduire les conditions en souterrain de manière aussi précise que possible pendant les essais afin de comprendre l’incidence qu’aura le froid sur le remblai injecté.
Pour le remblai, le coût d’exploitation le plus élevé découle généralement du ciment. Ainsi, l’optimisation de la proportion de ciment dans le remblai a aussi d’importantes répercussions financières. « L’essentiel est de minimiser la teneur en ciment ou en liant, tout en renforçant sa résistance », expliquait Mme Lin.
« L’autre difficulté dans le remblai souterrain est d’envoyer cette matière qui s’écoule comme du dentifrice jusqu’à la zone désirée, sans qu’elle ne sèche dans la canalisation pendant le transport », indiquait Mme Lin. Ce problème se produit avec le remblai en pâte cimenté (CPB, de l’anglais cemented paste backfill), qui associe des résidus, du ciment et parfois des adjuvants pour produire un béton peu résistant. Si ce CPB sèche prématurément, il laisse un bloc de béton dans les canalisations, qu’il faut ensuite retirer, entraînant des temps d’immobilisation. Pour éviter cette situation, la pression doit être surveillée dans les canalisations afin de détecter d’éventuelles obstructions. Elles doivent aussi être conçues de manière à inclure des manchettes de raccordement en cas de rupture et des systèmes de décompression.
Le changement climatique entraîne la fonte du pergélisol. Ainsi, expliquait Mme Lin, il faut aussi prendre en compte l’évolution des températures dans la conception du remblai. Le dégel dans les régions recouvertes de pergélisol peut avoir une incidence sur la résistance du remblai. En d’autres termes, la composition du remblai devra être conçue pour être plus résistante afin de tenir compte des changements possibles dans le climat de la région à l’avenir.
Sceller les polluants
De 1948 à 2004, la mine de Giant près de Yellowknife a produit 7,6 millions d’onces d’or. Le traitement de l’or a entraîné la production d’environ 237 000 tonnes de poussière de trioxyde de diarsenic, actuellement stockées dans 15 chambres souterraines. Dans le cadre d’une initiative menée par le gouvernement fédéral du Canada, la principale difficulté en matière d’assainissement sur ce site est de stocker en toute sécurité la poussière de trioxyde de diarsenic. L’approche à privilégier pour la gestion de cette poussière consiste à avoir recours à la congélation du sol afin d’éviter la libération de l’arsenic dans l’environnement. On injecte ensuite de la pâte faite à partir de ciment et de résidus de surface dans les chambres pour immobiliser l’arsenic.
Mme Lin a travaillé sur la première phase du projet de stabilisation souterraine à la mine de Giant entre 2014 et 2016. Elle a passé trois mois dans un laboratoire de fortune pour expérimenter différents types de ciments. Elle a élaboré des lignes directrices spécialisées pour l’assainissement des terres contaminées abandonnées par les précédents exploitants en utilisant des résidus de surface existants afin de fabriquer du remblai en pâte injecté sous terre pour sceller les chambres, dont certaines renferment du trioxyde de diarsenic. Elle expliquait que « des essais exhaustifs et une planification minutieuse ont été menés avant la mise en service afin d’optimiser les compositions des pâtes et de satisfaire les exigences en termes de qualité des pâtes, de résistance et d’aptitude à l’écoulement de la pâte ».
La production de pâte pour le remblai a eu lieu au printemps et en été 2015. Au total, 60 000 mètres cubes (m3) de pâte ont servi à sceller les six chambres.
Mme Lin a mené à bien le dosage pilote du béton et l’application innovante de ciment de laitier pendant la première phase du projet. Avant cela, le ciment Portland ordinaire était le seul utilisé et autorisé sur le site. Mme Lin a choisi le ciment de laitier pour plusieurs raisons. « Le dosage pilote du béton a montré que lorsqu’on utilise du ciment de laitier, la teneur en ciment requise est réduite (de moitié) pour atteindre la résistance souhaitée en 28 jours », indiquait-elle. « Il a aussi produit une pâte affichant des propriétés d’écoulement favorables pour remplir les chambres de forme irrégulière. »
Le ciment de laitier ne sèche pas aussi rapidement, ce qui a permis de mieux gérer la chaleur et de former une structure monolithique. En outre, la résistance du ciment de laitier sur 28 jours s’est révélée supérieure à celle du ciment Portland ordinaire, ajoutait-elle. Il fallait donc moins de ciment pour le projet, réduisant par là même les contraintes en matière de logistique nécessaire à l’approvisionnement et au coût du projet. L’utilisation de ce type de ciment a permis d’économiser des millions de dollars dans ce projet.
Trouver des solutions de remplacement
Le transport est un autre facteur décisif pour opter pour une stratégie de remblai. De nombreuses mines dans l’Arctique sont très isolées, ce qui complique la logistique et augmente les coûts de transport des matériaux jusqu’au site. Un rapport de 2023 de l’association minière du Canada (AMC) indique que les coûts de transport par voies ferroviaire et routière ont augmenté de plus de 50 % au cours des cinq dernières années, et surtout depuis la fin de l’année 2020.
Une fois mis en corrélation, la hausse des coûts du ciment et son transport peuvent vraiment atteindre un montant considérable. « Dans l’Arctique, c’est encore plus difficile pour nous », déclarait Louis-Philippe Gélinas, expert géotechnique à Mines Agnico Eagle. Le ciment est expédié par bateau et transporté par camion jusqu’à la mine de Meliadine d’Agnico Eagle dans le Nunavut, ce qui augmente encore davantage le coût du matériau. « Il faut s’assurer d’utiliser à bon escient [chaque] pourcentage et chaque kilogramme [de matériau] », ajoutait M. Gélinas.
Son travail implique de déterminer avec exactitude la température et les conditions de séchage du remblai qui utilise la quantité nécessaire et optimale de liant pour offrir la stabilité requise pour les mines de Meliadine et d’Amaruq d’Agnico Eagle dans le Nunavut. Il a commencé à travailler sur la question en 2018, lorsque Meliadine a été construite et qu’Amaruq se trouvait encore à l’étape d’un projet souterrain satellite dans le complexe minier de Meadowbank.
Un mélange de remblai en pâte cimenté et de remblai rocheux avec du ciment est utilisé pour le remblai à la mine de Meliadine. La mine d’Amaruq, quant à elle, n’utilise que du remblai rocheux avec du ciment en raison de la distance qui la sépare du concentrateur de Meadowbank. « Lorsque nous préparions la construction de ces mines, nous souhaitions dès le départ nous assurer que le remblai ne serait pas un problème », indiquait-il.
Au travers de l’expérimentation, M. Gélinas et son équipe ont décidé que le ciment à résistance initiale élevée pourrait constituer le meilleur choix comme liant pour le remblai de ces mines, par rapport au ciment tout usage ou au ciment de cendres volantes généralement utilisé dans les mines plus au sud. « Ce ciment est simplement broyé plus fin. Ainsi, il s’hydratera plus rapidement », expliquait-il.
En comparaison du ciment tout usage qui requiert une semaine pour prendre dans les mêmes conditions, le ciment à résistance initiale élevée n’a besoin que de trois jours pour prendre. Du fait qu’il est plus fin et qu’il s’hydrate plus rapidement, il peut s’avérer plus complexe à utiliser dans le remblai. Toutefois, un temps de réaction plus rapide est essentiel dans l’Arctique en raison des températures glaciales qui finissent par stopper le processus d’hydratation. « Nous avons, en quelque sorte, vaincu le froid », indiquait-il.
L’utilisation du ciment à résistance initiale élevée en tant que liant s’est aussi avérée être avantageuse sur le plan financier. Dans de faibles températures de séchage, l’équipe a constaté qu’elle devait utiliser bien moins de ciment à résistance initiale élevée par rapport aux autres types de ciment, en termes de pourcentage dans la pâte. Ainsi, même si le ciment à résistance initiale élevée est plus onéreux à la tonne, son utilisation par rapport à d’autres types de ciment pourrait permettre à Agnico Eagle d’économiser plusieurs dizaines de milliers de dollars sur une seule année, expliquait M. Gélinas.
Une autre conclusion qu’a tirée son équipe est que l’eau recyclée de l’exploitation minière dans l’Arctique, qui contient généralement un taux de saumure élevé, convenait particulièrement à ce type de remblai. En ajoutant la bonne quantité de sel dans le remblai, le processus d’hydratation du ciment était accéléré et le dégel ralenti. « Mettre du sel dans le remblai, c’est un peu le même principe que lorsqu’on sale les routes », expliquait M. Gélinas. Cette découverte présentait aussi un avantage environnemental. « Nous ne savions que faire d’une telle quantité d’eau, que nous devions stocker et traiter », expliquait-il. « Maintenant, nous pouvons envisager de l’utiliser comme remblai. »
M. Gélinas et son équipe ont aussi constaté qu’un mélange adapté du ciment était essentiel dans les conditions de l’Arctique. Dans un climat plus chaud, les exigences en termes de composition du ciment sont moins strictes. Mais à Amaruq, la température et le mélange sont étroitement surveillés afin de s’assurer que chaque kilogramme de ciment est utilisé aussi efficacement que possible.
Solidement gelé
Par tradition, le remblai implique d’utiliser du ciment comme liant. Toutefois, la logistique de son utilisation s’avère être encore plus complexe pour le projet d’extraction de diamants de Chidliak de De Beers, sur l’île de Baffin, dans le Nunavut. « Le transport est très difficile et [se fait] généralement par avion, car le réseau routier est inexistant », expliquait Fatemeh Tavanaei Sereshgi, candidate au doctorat en génie minier à l’université McGill. Elle travaille aux côtés du Pr Ferri Hassani, qui mène des recherches pour De Beers sur les aspects et les processus liés au remblai du projet.
Les coûts associés du ciment et de son transport jusqu’au site ont incité De Beers à chercher d’autres méthodes pour le remblai. L’équipe a fini par totalement éliminer le ciment de son équation.
C’est là qu’entre en jeu le matériau de remblayage gelé. Il élimine la nécessité d’utiliser du ciment comme liant, et le remplace par de l’eau qui gèle dans les chambres. Ceci couvrira les besoins de la nouvelle technique minière, à savoir forer et remplir depuis la surface.
À Chidliak, le projet est de remplir des puits verticaux forés depuis la surface avec des résidus et de l’eau provenant de la neige fondue et des étendues d’eau environnantes, laquelle gèle après avoir été envoyée dans les puits. D’après Mme Tavanaei Sereshgi, cette méthode aura des effets minimes sur la composition chimique de l’environnement de la zone, notamment sur l’eau souterraine, et aidera aussi à stabiliser l’équilibre du pergélisol après l’exploitation minière. Les essais menés sur le site indiquaient que la température du sol serait adaptée à un matériau de remblayage gelé jusqu’à 450 mètres sous la surface, car le pergélisol s’étend jusqu’à cette profondeur. Un essai de la résistance à la compression uniaxiale montrait également que le matériau de remblayage gelé offrirait une résistance suffisante.
Cette méthode entraîne également une hausse provisoire de la température. Les chambres verticales émanent d’une technique de forage innovante conçue pour s’assurer que tout dégel de la glace sera trop lent pour compromettre la stabilité avant son regel. « Ainsi, même si les températures [se réchauffent], rien ne se passera », expliquait le Pr Hassani.
Toutefois, la méthode s’accompagne de plusieurs difficultés. Pour la taille prévue des chambres de la mine, il faut compter trois ou quatre mois pour que le remblai gèle totalement. Pour tenir compte de ce facteur, des calculs précis doivent être intégrés dans le séquençage des puits de la mine (les chambres) et l’ordonnancement des activités, précisait Mme Tavanaei Sereshgi.
La planification de la mine de Chidliak s’efforce d’atteindre l’empreinte carbone la plus faible. Ainsi, remplacer le ciment à fortes émissions de CO2 par de l’eau gelée et éliminer la nécessité du transport d’un matériel supplémentaire se révèle être une approche doublement stratégique.
« Dans le Nord, notre environnement est si fragile que le remblai occupe une place très importante », indiquait le Pr Hassani. « Plutôt que de se débarrasser des résidus en surface, on les enterre là où on les a trouvés. »
Traduit par Karen Rolland