Andrew Dobson de HGC Engineering aide les sociétés à réduire les niveaux sonores dans leurs installations afin de minimiser l’exposition au bruit des employés. Avec l’aimable autorisation d’Andrew Dobson

Kyle Lunsford, houilleur du Kentucky, n’a jamais cherché à savoir pourquoi son audition avait diminué. Ce problème ne le handicapait pas autant au travail que son mal de dos ou les troubles respiratoires qui lui ont valu de rendre son casque de chantier en 2001, après 37 ans dans l’industrie. En 2004, un médecin lui annonçait qu’il avait perdu 26 % de son audition, probablement une conséquence de sa carrière dans l’industrie minière.

M. Lunsford a alors demandé réparation à son employeur Manalapan Mining Company Ltd., et lui a intenté un procès. La société a été exonérée pour cause de délai de prescription ; en effet, la plainte de M. Lunsford intervenait plus de deux ans après sa dernière exposition au bruit sur le lieu de travail. Toutefois, cette affaire est venue illustrer un nombre croissant de décisions relatives à la responsabilité de l’employeur concernant la perte d’audition sur un site minier. Elle a aussi montré à quel point il était facile pour les employés de ne pas envisager le préjudice progressif et subtil qui ne se manifestera que lorsqu’ils seront bien plus âgés, quand les dommages causés seront irréversibles.

Un métier bruyant

D’après Sécurité au travail dans le Nord (STN), une association à but non lucratif dédiée à la sécurité, la perte d’audition est de loin la maladie professionnelle la plus courante ayant entraîné, en 2018, une perte de temps pour les mineurs d’Ontario. Une étude de 2018 menée au Québec a montré que l’exposition au bruit coûte davantage aux sociétés minières que les accidents du travail ou les maladies professionnelles, s’élevant entre 2010 et 2012 à une moyenne de 13,6 millions de dollars chaque année.

« L’exploitation minière est, par nature, un métier bruyant », déclarait Amanda Azman, audiologiste chercheuse dans le cadre du programme dédié à l’exploitation minière du National Institute for Occupational Safety and Health (NIOSH, l’institut national américain pour la sécurité et la santé au travail). L’extraction, le transport et le traitement des minerais nécessitent un équipement lourd stationnaire et mobile extrêmement bruyant. « Les machines moins bruyantes n’existent tout simplement pas. »

L’U.S. Mine Safety and Health Administration (MSHA, l’administration américaine pour la santé et la sécurité dans les mines) fixe à 90 décibels (dB) la limite acceptable du niveau d’exposition au bruit à une moyenne pondérée dans le temps de huit heures. À noter qu’au Canada, les limites s’étendent de 85 dB dans la plupart des provinces à 90 dB au Québec. Dans les sites miniers à ciel ouvert et souterrains (bien que le problème soit plus marqué sous terre), les employés sont exposés au bruit au-delà de cette moyenne sur des périodes répétées, ce qui peut entraîner une perte d’audition permanente. Les marteaux perforateurs pneumatiques sont les machines les plus bruyantes ; ils émettent entre 114 et 120 dB. Les ventilateurs émettent entre 90 et 110 dB, les chargeuses-déchargeuses entre 97 et 102 dB et les convoyeurs à chaîne entre 97 et 100 dB. Les camions de transport émettent régulièrement de 90 à 100 dB.

Pour le profane, la solution peut paraître évidente et même simple ; il suffit que les employés portent des protections antibruit. Pour les personnes qui passent leurs carrières à l’étudier, le problème n’est pas aussi tranché.

Si les casques de protection antibruit et les bouchons d’oreilles fonctionnent, leur efficacité dépend de la discipline dont vont faire preuve les humains pour les porter. Or, l’erreur est humaine, et courante. « La recherche a montré, à maintes reprises, que ces solutions sont moins efficaces que d’autres », indiquait Mme Azman. « Ces protections ne sont pas utilisées correctement. Pour placer les bouchons dans l’oreille, il faut faire preuve d’une certaine finesse. Souvent, les employés les enlèvent et oublient de les remettre. »

Atténuer le bruit à la source

En dehors de l’équipement de protection individuelle, les directives du NIOSH recommandent des postes de travail plus courts autour des équipements bruyants afin de limiter l’exposition, un contrôle du bruit excessif par les mines ainsi qu’une atténuation à la source.

D’après Andrew Dobson, conseiller principal à la société d’expert-conseil HGC Engineering basée en Ontario et en Alberta, cela est plus facile à dire qu’à faire. La mise en place de mesures de contrôle du bruit sur les machines dans l’exploitation minière souterraine est, selon lui, « difficile, onéreuse et parfois même impossible ». HGC Engineering a été invitée par des centres miniers et industriels pour dispenser ses conseils quant à la façon de minimiser les niveaux sonores et de réduire l’exposition des travailleurs.

Selon M. Dobson, il existe trois manières d’atténuer le bruit des machines dans un environnement confiné. « Tout d’abord, on peut les remplacer par un équipement plus récent et moins bruyant doté de mesures de contrôle du bruit intégrées dans la conception », indiquait-il. Ceci n’est toutefois pas toujours envisageable lorsqu’on a déjà investi des millions de dollars dans, par exemple, un énorme ventilateur.

Ensuite, on peut bloquer, contenir ou dissiper le bruit en installant une barrière ou une enceinte entre l’employé(e) et la machine. La société peut construire des parois ou essayer de totalement enfermer la machine dans une enceinte, mais ceci ne sera pas forcément possible si la nature de la tâche implique une interaction entre l’employé(e) et la machine.


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Enfin, M. Dobson explique qu’une société peut essayer de réduire la réverbération dans un environnement confiné, mais cela requiert une quantité considérable de matériaux absorbants acoustiques, pose des problèmes dans les environnements humides et n’a aucun bénéfice notable si l’employé(e) est en constante proximité avec la source du bruit.

Cependant, les organisations développent de nouvelles technologies pour lutter contre le bruit. Près de la moitié des opérateurs de haveuses à tambour pour longue taille dans l’industrie charbonnière américaine ont été victimes d’une perte d’audition entre 2002 et 2011. Le NIOSH a mené une étude sur la façon de rendre plus silencieux les deux tambours de coupe rotatifs, entraînant des modifications structurelles qui n’ont pas affecté la performance mais qui ont réduit les niveaux sonores de 3 dB dans l’environnement de travail des opérateurs. Le NIOSH a également collaboré avec deux sociétés pour développer des isolateurs acoustiques afin de réduire la surexposition associée aux machines de soutènement du toit sous terre.

De manière générale, les progrès réalisés en matière de technologie minière ont des retombées positives pour l’audition des travailleurs. Des fabricants d’équipement tels que MacLean Engineering en Ontario ou Epiroc AB en Suède conçoivent des parcs de véhicules électriques pour les mines souterraines. En plus de réduire les coûts de consommation de diesel et d’aérage souterrain, ces véhicules sont bien plus silencieux que leurs précurseurs fonctionnant au diesel.

En dépit de ces nouvelles technologies, M. Dobson recommande toutefois fortement aux travailleurs de prendre au sérieux leur équipement de protection individuelle.

L’entrepreneur québécois Nick Laperle travaille sur la protection auditive depuis près de deux décennies et met au point des casques de protection antibruit et des bouchons d’oreilles pour les employés. Une technologie prêt-à-porter d’oreilles bioniques baptisée Sonix, dotée d’une fonction intégrée de vérification d’ajustement développée par M. Laperle et son équipe, a remporté le premier prix du concours Hear and Now Noise Safety Challenge du ministère américain du travail en 2016. Conscient du mauvais usage des bouchons d’oreilles traditionnels, la philosophie de M. Laperle concernant la conception, déclarait-il au public à l’occasion d’un déjeuner organisé par McEwen Mining en octobre, est que « le confort appelle à la conformité ».

Il existe tout un éventail de programmes informatiques à notre disposition, déclarait Mme Azman, qui permet aux mineurs de vérifier que leur protection auditive est la bonne en testant chaque oreille à l’aide de méthodes de comparaison des bruits. « C’est un moyen rapide de vérifier que les protections offertes sont suffisantes », indiquait-elle.

Une vision à long terme sur l’exposition au bruit

D’après Mme Azman, le NIOSH reçoit de nombreuses demandes d’information concernant la perte d’audition induite par le bruit dans l’environnement de travail. Dans le cadre des recherches qu’elle mène dans les mines, l’agence fédérale aidera les sociétés à identifier des problèmes spécifiques, leur donnera des recommandations et les aidera à mettre en œuvre des solutions. Cependant, expliquait Mme Azman, il peut être difficile pour les mines de maintenir leur vigilance au fil du temps. « En résumé, le bruit affecte la qualité de vie des travailleurs sur le long terme, ce qui est certes un problème ; cependant, d’autres problèmes qui constituent des menaces plus immédiates tels que la maladie, des blessures potentielles, voire la mort, sont souvent au cœur des préoccupations des travailleurs. Cela semble tout à fait légitime. »

Amanda Azman du programme dédié à l’exploitation minière du NIOSH surveille les niveaux sonores de l’équipement. Avec l’aimable autorisation du NIOSHPourtant, les souffrances des travailleurs atteints de troubles de l’audition ne se cantonnent pas à la frustration de ne pas pouvoir entendre ce qui se passe autour d’eux. Avec une perte d’audition, le cerveau travaille davantage pour traiter le son, la marche est déstabilisée car les signaux subtils normalement captés par les oreilles disparaissent, et les personnes commencent à subir une isolation sociale en raison de ce handicap. Des médecins de Johns Hopkins Medicine ont mené une étude auprès de 639 adultes sur plus de 12 années ; ils ont constaté qu’une perte d’audition légère peut doubler le risque de démence, qu’une perte d’audition modérée peut tripler ce risque et qu’une grave déficience auditive peut le multiplier par cinq.

Comme l’expliquait Mme Azman, la situation en termes d’exposition au bruit commence à changer avec les générations actuelles, en raison notamment d’une éducation et d’une formation à la sécurité sur le lieu de travail. « La majorité des jeunes travailleurs ont été bombardés de recommandations en matière de santé et de sécurité depuis leur plus jeune âge, aussi ils y prêtent une plus grande attention », indiquait-elle. « Certaines personnes qui travaillent depuis 30, voire 40 ans n’y accordent sans doute pas la même importance ; mais l’arrivée de la nouvelle génération les incitera à prendre soin de leur santé globale, et pas seulement de leur audition. »

Traduit par Karen Rolland