L'usine d'enrichissement de Vale à Canaã dos Carajás, dans le Pará, au Brésil, utilise le traitement du minerai sec. Photo: Ricardo Teles/Avec l’aimable autorisation de Vale

En août dernier, la société Centennial Coal en Australie a dû transporter 725 000 litres d’eau par voie ferroviaire de l’une de ses mines vers une autre exploitation située 40 kilomètres plus loin dans une zone touchée par la sécheresse afin d’éviter de devoir la fermer. En janvier, la gestion médiocre de résidus saturés d’eau au Brésil a entraîné le décès d’au moins 249 personnes. Au Chili, le gouvernement prévoit une augmentation de 230 % de l’utilisation extrêmement coûteuse d’eau dessalée par les exploitants de cuivre dans la décennie à venir. L’année dernière, d’après l’organisation de divulgation des risques CDP (anciennement Carbon Disclosure Project), près de 54 des plus grandes sociétés minières au monde cotées en bourse qu’elle a interrogées cette même année ont déclaré avoir été exposées à des risques liés à l’eau. La hausse des coûts opérationnels, les perturbations affectant les activités, les amendes et les pénalités ont abouti à la note salée de 20,5 milliards de dollars américains pour le secteur de l’extraction des minéraux.

Récemment, de grandes sociétés de l’industrie minière ont lancé des initiatives pour réduire leur utilisation d’eau douce. Anglo American explore les innovations qui permettront aux mines de ne plus utiliser d’eau, ou du moins d’en utiliser beaucoup moins. Vale a investi 17,5 milliards de dollars américains ces dix dernières années pour réduire l’utilisation de l’eau dans ses exploitations de minerai de fer. Aujourd’hui, elle a recours à une méthode de traitement par voie sèche pour 60 % de sa production, et prévoit d’investir 2,5 milliards de dollars américains pour 10 % supplémentaires de sa production sur les cinq années à venir. En 2017, Goldcorp annonçait son initiative Towards Zero Water (H2Zero) en faveur d’une élimination totale de la consommation d’eau douce dans ses mines. L’extraction minière par voie sèche est un objectif ambitieux, voire irréalisable, mais l’urgence de s’orienter dans cette direction se fait de plus en plus ressentir.

« Si l’on considère les conflits qui divisent les communautés et les sociétés minières, ce sont très souvent les questions d’ordre environnemental, et particulièrement les problèmes liés à l’eau, qui préoccupent la communauté », déclarait Nadja Kunz, professeure adjointe et titulaire de la chaire de recherche du Canada en gestion et en intendance des eaux de mine à l’université de la Colombie-Britannique (UBC).

Les investisseurs étudient de plus en plus près la performance et la sécurité des ressources en eau, expliquait-elle, citant le rapport de 2018 de CDP consacré à l’eau. Cette année-là, 650 investisseurs institutionnels avaient invité 1 536 des plus grandes sociétés cotées en bourse à communiquer par l’intermédiaire du rapport de CDP les informations relatives à l’eau de leur société.

« Les investisseurs, tout comme les communautés, insistent de plus en plus pour que ces sociétés divulguent les informations relatives à l’usage qu’elles font de l’eau », indiquait Mme Kunz. « La variabilité climatique commence aussi à attirer l’attention car on appréhende désormais très bien les risques importants que peuvent poser les inondations et/ou les sécheresses pour les portefeuilles de placement. »

On observe par ailleurs une convergence croissante de l’intérêt des investisseurs vers les préoccupations environnementales et financières.

« Auparavant, on ne considérait pas le coût de l’eau comme un facteur pertinent. On tenait cette ressource pour acquis », déclarait Rafael Dávila, directeur à l’international des résidus et de la fermeture des mines chez Hatch. « C’est le coût de l’eau qui entraîne les changements. »

D’après Benjamin Cox, qui a mené des recherches et rédigé des études sur le coût et la valeur de l’eau pour le secteur minier ainsi que sur les technologies permettant de réduire son utilisation, le coût par mètre cube varie énormément en fonction de la situation géographique, de 1 dollar à 7 dollars. Outre le prix direct de l’eau, expliquait-il, il ne faut pas oublier la charge environnementale à long terme liée à la réintégration de l’eau issue du traitement dans l’écosystème.

Comprendre la véritable valeur de l’eau ne signifie pas nécessairement que les sociétés minières doivent absolument se fixer comme objectif l’élimination totale de l’eau dans leurs activités, indiquent de nombreux experts, dont M. Cox. « On ne peut pas envisager d’exploiter une mine sans eau sans accroître la quantité de poussière », indiquait-il. « Quel que soit l’équipement qui fonctionne avec de l’eau, on ne pourra jamais obtenir les mêmes récupérations dans une mine fonctionnant sans eau. Aucune autre substance ne permet d’atteindre la même récupération mesurable que l’eau ou les solutions aqueuses. En théorie, on peut remplacer l’eau par des substances chimiques bien plus toxiques qui ont les mêmes propriétés, mais envisager l’exploitation d’une mine en éliminant totalement le facteur hydrologie serait totalement non durable sur le plan environnemental. »

Mme Kunz prévient aussi que le fait de supprimer l’eau ne résoudra pas tous les problèmes des exploitations minières liés à l’eau. « Si l’on parvient à l’avenir à créer des mines n’utilisant pas d’eau, il ne faut pas pour autant prétendre que les répercussions de l’exploitation minière sur l’eau disparaîtront ou que l’on ne devra pas trouver de compromis », indiquait-elle.

La pollution émanant des déchets et affectant la qualité de l’eau, par exemple, peut s’avérer être une crainte bien plus réelle pour certaines communautés que la consommation d’eau, précisait Mme Kunz. En outre, indiquait Brent Hilscher, directeur des procédés pour l’ouest du Canada chez DRA Global, les crises liées à l’eau et leurs solutions sont des problèmes locaux. « Si les réductions des émissions de CO2 au Canada ont une incidence positive sur la planète entière, les économies en eau réalisées au Canada ne résolvent malheureusement pas les pénuries d’eau que rencontrent certaines régions d’Australie ou du Mexique », expliquait-il. « Pour optimiser ses économies en eau, une mine située dans le bassin du fleuve Colorado doit investir en termes d’énergie et de capital ; une mine dont le bassin de décantation des résidus est rempli d’eau et soumis à un excès de précipitations peut rencontrer des problèmes tout à fait différents. »

Plutôt que d’envisager un avenir où le procédé d’extraction minière par voie sèche deviendra l’approche unique pour tous, les sociétés minières doivent commencer à envisager de manière beaucoup plus précise et stratégique la façon dont elles utilisent l’eau, de la première goutte à la remise en état de la mine après sa fermeture. « Le secret est d’adopter une réflexion stratégique dès le départ », expliquait M. Dávila.

« Définissez clairement les objectifs en termes de réutilisation, recyclage et récupération de l’eau, et assurez-vous que l’empreinte environnementale soit aussi minime que possible. »

Tirer parti des technologies existantes

Les sociétés minières possèdent déjà une série de technologies pouvant les aider à considérablement réduire leur consommation d’eau douce et, comme Mme Kunz le fait remarquer, à renforcer leur résilience face à la variabilité climatique.

« Il faut tout d’abord identifier les moteurs de conservation des ressources en eau, puis s’interroger sur les contraintes dans le circuit actuel et enfin chercher des solutions », déclarait Grant Ballantyne, directeur des solutions techniques à Ausenco. « Il existe des technologies formidables telles que la flottation des particules grossières et le triage du minerai en vrac qui permettent de considérablement réduire la quantité de résidus fins et, par là même, la consommation d’eau. Mais il ne faut pas uniquement s’en remettre aux nouvelles technologies ; il faut revisiter celles qui ont fait leurs preuves. Nombre de technologies qui remontent aux années 1980 offrent des solutions remarquables, par exemple la concentration en milieu dense et le criblage des gros déchets. Il existe d’excellentes technologies qui n’ont pas été appliquées (ou pas suffisamment) à grande échelle. »

Pourtant, font remarquer M. Ballantyne et d’autres, si les associations techniques s’avèrent différentes d’un site à l’autre en fonction des propriétés du minerai ainsi que des moteurs et des contraintes spécifiques à chaque site, des solutions générales existent qui peuvent être appliquées à la plupart ; il faut commencer par repenser ces technologies.

Pendant des années, au vu des teneurs en baisse, les sociétés minières ont fait leur possible pour augmenter la capacité afin d’extraire une valeur suffisante de minerai pour qu’il reste rentable. Si elle veut réduire sa consommation d’eau et son incidence sur l’environnement, tout en améliorant sa rentabilité, l’industrie minière doit mettre davantage l’accent sur l’efficacité et la précision.


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Optimiser le tri des déchets

« Si l’on souhaite réduire la consommation d’eau, il faut commencer par minimiser la quantité de matériau qui doit subir une étape de traitement par voie humide », expliquait Bern Klein, professeur à l’école des mines de l’UBC. Ses recherches en matière de triage de minerai ont abouti à la création de MineSense, une société spécialisée dans la technologie de capteurs dont on peut équiper les pelles et les convoyeurs pour mesurer la teneur et les caractéristiques du minerai en vrac. « Cela permet de trier le matériel qui n’a pas de valeur avant de l’envoyer dans le circuit de broyage. »

Plus que le tri du minerai en vrac, expliquait M. Hilscher, le triage des particules est la méthode qui offre les meilleures perspectives en termes de réduction des matériaux destinés au traitement par voie humide, car chaque roche est criblée individuellement. « Ces technologies ne sont pas nouvelles, mais elles le sont dans l’industrie minière. De nombreuses exploitations en entendent parler pour la première fois », déclarait-il. « Si la moitié des roches que l’on traite n’ont aucune valeur, leur traitement nous fait perdre de l’argent. Si on les jette dans un amas de roches stériles avant de les traiter, on n’aura pas besoin d’eau. »

D’autres innovations dans ce domaine sont en cours. Le professeur Erin Bobicki de l’université de Toronto dirige une équipe mettant au point une technique à haut rendement énergétique de broyage et triage du minerai par micro-ondes, sélectionnée parmi les finalistes du Défi À tout casser ! de 2019 de Ressources naturelles Canada (RNCan) pour renforcer l’efficacité de la comminution. Le système chauffe les métaux à l’intérieur du minerai, créant des microfissures le long des joints de grains, ce qui facilite la flottation des particules grossières ; les machines de tri du minerai criblent les particules et envoient seulement celles ayant une valeur économique à l’étape de traitement suivante.

Suivre le courant

« Nous avons constaté que la réduction de la consommation d’eau dépend généralement du recours à la flottation dans une mine de cuivre », expliquait M. Ballantyne. « Le broyage à sec ne réduit pas énormément la quantité d’eau que l’on utilise, car il faut tout de même ajouter de l’eau pour la flottation. »

De fait, la flottation est un coupable majeur dans les problèmes que rencontre l’industrie minière par rapport à sa consommation d’eau. « Les limites de la technologie de flottation traditionnelle, et l’indifférence face au coût de l’eau et des résidus miniers ont incité les exploitants à extraire davantage de minerai aux dépens d’un rendement de séparation encore plus faible afin d’améliorer les résultats financiers », déclarait Tim Sheehan, directeur des ventes pour le traitement des minerais chez Eriez.

Malgré l’importance de cette technologie, expliquait Virginia Lawson, directrice de la technologie pour les broyeurs IsaMill et les cellules de flottation Jameson chez Glencore Technology en Australie, les circuits de flottation reçoivent souvent peu d’attention car leur coût d’investissement est faible par rapport à celui des circuits de comminution.

« Si l’on appréciait la flottation à sa juste valeur, on s’efforcerait d’exploiter cette technique au maximum, d’optimiser la récupération de l’eau et de minimiser les pertes », indiquait-elle, ajoutant que la technologie de réacteurs/séparateurs permet d’obtenir une empreinte plus faible et un bien meilleur rendement qu’avec des cellules de flottation classiques. « On peut créer un circuit avec un broyeur secondaire et trois cellules relaveuses ; cela représente une économie non négligeable en eau si l’on considère que la plupart des circuits de nettoyeurs comptent 16 cellules de flottation, voire plus. Cette technologie n’a rien de nouveau ; elle existe depuis 30 ans. »

Parmi les progrès technologiques qui enthousiasment les observateurs figurent les systèmes de flottation des particules grossières. Le système HydroFloat d’Eriez surmonte les difficultés liées à l’immersion des particules grossières (et non à leur flottation) dans les cellules de flottation classiques à agitation en éliminant l’agitation et la couche d’écume. « On fait flotter les particules grossières dans un lit fluidisé avec un courant ascendant dans la cuve, qui augmente de plus du triple la taille limite pratique pour la flottation », expliquait M. Sheehan. « En produisant moins de déchets fins, la récupération de l’eau dans les déchets plus grossiers pour une réutilisation dans le circuit est plus efficace. »

La flottation de particules grossières peut augmenter la production de métal en réduisant la quantité de métaux précieux perdue dans les résidus, plutôt qu’en augmentant la quantité de minerai extrait et donc en économisant la quantité d’eau consommée pour traiter ce minerai supplémentaire.

Du nouveau du côté des résidus

Pour minimiser les problèmes liés aux résidus, il faut réduire le débit de stériles et augmenter la récupération des métaux. Nombre de technologies efficaces permettent d’extraire l’eau des fines dans les résidus et facilitent l’empilage à sec, notamment les filtres à vide et les filtres à pression pour la filtration. Jusqu’à récemment, l’équipement était trop petit pour filtrer 100 000 tonnes par jour, ce qui posait problème. Pour y parvenir, les sociétés minières devraient installer entre 20 et 30 filtres.

« Les résidus filtrés sont relativement courants dans les mines traitant 25 000 tonnes par jour, mais dans les grandes exploitations à ciel ouvert traitant plus de 100 000 tonnes par jour, voire plus, aucune ne filtre les résidus pauvres », indiquait Todd Wisdom, directeur des solutions pour les résidus chez FLSmidth. Il a développé, conjointement avec Goldcorp, le procédé EcoTails, qui associe les stériles et les résidus pour une digue à stériles dont les matériaux sont plus petits, plus secs et plus résistants.

Ceci pourrait bien changer. Il existe désormais une technologie de filtration qui répond aux exigences des mines traitant beaucoup de tonnes et qui filtre 100 000 tonnes par jour. « Aujourd’hui, on a besoin de 4 filtres-presses et non plus de 20 comme avant », indiquait-il.

Envisager l’avenir

Jan Nesset, conseiller en minéralurgie, observe « un appétit important pour la minimisation de la consommation d’eau et le concept de zéro déchets. » Il ajoutait que, « tout comme la flottation par mousse a totalement révolutionné l’industrie de l’extraction des métaux de base il y a un siècle, et a été rapidement adoptée une fois sa fiabilité démontrée, l’avènement d’une technologie de substitution pour le traitement des minerais par voie sèche pourrait être aussi bien acceptée ».

M. Dávila fait remarquer que l’on est encore loin d’atteindre ce point. « Il est difficile et accablant pour les sociétés minières d’envisager de possibles technologies perturbatrices. Si elles existaient, tout le monde les envisagerait », indiquait-il. « À l’heure actuelle, elles sont encore au stade des essais en laboratoire. Elles aboutiront un jour, mais nous n’y sommes pas encore. Personnellement, je suis en faveur d’une stratégie visant à utiliser les outils éprouvés dont on dispose aujourd’hui. Les objectifs doivent être réalisables et les coûts raisonnables.

Ou, comme le dit M. Ballantyne, « nous devons d’abord nous assurer de la fiabilité de nos technologies existantes ».