L'entente sur les impacts et les avantages de la QIA avec Baffinland Iron Mines pour le projet Mary River a été signée en 2013, mais n'est devenue entièrement publique qu'en mai dernier. Avec l'aimable autorisation de Baffinland Iron Mines

Le 20 mai dernier, une organisation inuit de revendication territoriale a publié la version complète de son entente sur les impacts et les avantages (EIA) avec la société Baffinland Iron Mines pour le projet Mary River. La Qikiqtani Inuit Association (QIA, l'association des Inuits de la région de Qikiqtani), qui avait déjà publié une version partielle lors de la signature de l'entente en 2013, déclarait qu'elle souhaite être totalement transparente envers ses membres, quelque 14 000 Inuits qui vivent dans la région de Baffin, au Nunavut. 

L'entente complète offre une perspective exceptionnelle sur les piliers financiers d'une EIA moderne entre une société minière et un groupe autochtone canadien.

Les EIA gardées secrètes ou partiellement rédigées ne seront cependant bientôt qu'un mauvais souvenir. La loi sur les mesures de transparence dans le secteur extractif (LMTSE) exige des sociétés canadiennes qu'elles divulguent publiquement les paiements dépassant 100 000 $ effectués à tous les ordres de gouvernement, au Canada comme à l'étranger. En juin 2017, cette loi exigera également la divulgation des paiements effectués auprès des gouvernements autochtones au Canada, une exigence très controversée qui s'attire beaucoup de critiques de la part de l'industrie autant que des groupes autochtones.

La version complète de l'EIA sur le projet Mary River montre que Baffinland a versé à la QIA quelque 20 millions $ en paiements directs (5 millions $ à la signature de l'entente, 5 millions $ après que Baffinland ait obtenu son permis d'utilisation de l'eau, et 10 millions $ au commencement de la construction). La QIA percevra une redevance de 1,19 % sur les ventes nettes de minerai de fer, et Baffinland devra commencer à verser ces redevances dès qu'elle entamera sa phase de production à 60 % de la capacité de production de la mine ; les 20 millions $ versés sous forme de paiements directs seront soustraits des paiements trimestriels jusqu'à leur remboursement intégral.

Olayuk Akesuk, directeur des services communautaires à la QIA, déclarait que c'est le comité de direction de l'association qui a pris la décision de publier la version complète de l'entente. Il expliquait qu'il est important de partager ces informations avec le public car, « en tant que représentants, nous devons nous assurer que nous faisons preuve de la plus grande transparence avec nos confrères ». 

La QIA représente 13 communautés inuits de la région de Baffin, et l'EIA réserve des fonds pour leur formation, le développement d'entreprises et les conseils d'ordre personnel et professionnel à ces personnes. Actuellement, environ 18 % de la main-d'œuvre totale de la mine est d'origine inuit, indiquait M. Akesuk. Il espère que ce nombre atteigne 25 % d'ici avril 2017. 

Hans Matthews, fondateur et président de la Canadian Aboriginal Minerals Association (CAMA, l'association canadienne des intérêts autochtones de l'industrie minérale), facilite les relations entre les sociétés minières et les communautés autochtones depuis le début des années 1990. Il expliquait que le volet consacré au partage des recettes dans la transaction du projet Mary River s'inscrit dans un plan d'« évolution » constante qui permet aux peuples autochtones de se faire davantage entendre en ce qui concerne les projets qui verront ou non le jour.

Selon lui, quelque 300 EIA ont été signées entre les gouvernements autochtones et des sociétés spécialisées dans les ressources au Canada, et il craint que la LMTSE, promulguée par le gouvernement conservateur en 2015, ne les compromette.

Cette loi, expliquait M. Matthews, rendra publiques les données financières des EIA. Les sociétés pourront comparer leurs transactions avec d'autres, décider si elles paient trop et les « retirer du circuit ». Elles pourront aussi prendre comme référence d'autres ententes pour en négocier de nouvelles, ce qui selon M. Matthews n'est pas équitable. Chaque transaction est totalement différente, qu'il s'agisse de l'impact du projet ou des besoins spécifiques du groupe autochtone concerné.

« On ne devrait pas laisser Ottawa décider, mais plutôt donner le dernier mot aux groupes pour négocier l'entente », déclarait M. Matthews.

Sean Batise, en tant que directeur exécutif du conseil tribal Wabun, est habitué à négocier des EIA ; il partage les préoccupations de M. Matthews et craint que le gouvernement ne récupère le financement attribué aux Premières Nations s'il apprend qu'elles reçoivent des dividendes importants de projets financiers. Depuis des années, expliquait-il, Affaires autochtones et du Nord Canada essaie de prendre en compte les fonds provenant de projets spécialisés dans les ressources dans ses décisions de financement. « On ne devrait pas être pénalisés sous prétexte que l'on fait preuve d'initiative. » 

Quant au principe premier de cette loi, à savoir qu'elle promeut la transparence, M. Batise n'est pas du même avis. Les groupes autochtones partagent déjà les données financières des EIA avec leurs membres, indiquait-il. « Nous faisons preuve de transparence envers les personnes avec qui cela est nécessaire. »

L'association minière du Canada (AMC) s'est également prononcée en défaveur de ce volet de la loi, et le président et chef de la direction Pierre Gratton déclarait en juin 2015 à Northern Ontario Business que « [l'AMC] avait débattu de cette question avec des ONG dès le départ...et nous étions tous d'accord sur le fait qu'elle est trop complexe et requiert une consultation importante que nous n'avons pas les moyens de mener ».

Certains, cependant, pensent que les divulgations obligatoires pourraient constituer un bon développement. 

« Nous devons rendre public ce que nous payons », indiquait Louise Grondin, première vice-présidente de la section Environnement et développement durable chez Agnico Eagle. « Tout le monde doit être mis au courant des contributions des sociétés minières. C'est une manière de reconnaître que nous contribuons au développement du Nunavut, par exemple. »

Mme Grondin précisait qu'Agnico Eagle, dès ses premières négociations avec la Kivalliq Inuit Association (l'association inuit de Kivalliq), a insisté pour rendre publiques les données financières de l'EIA signée dans le cadre de son projet Meliadine. « Nous avons souhaiter jouer cartes sur table et avons insisté sur ce point dès le début. L'association a accepté, un peu à contrecœur car c'était une première pour elle », déclarait-elle. « Lorsque personne n'est au courant, cela n'aide pas les sociétés minières. On ne sait pas à quoi s'attendre. »

Larry Chartrand, professeur à l'université d'Ottawa spécialisé dans le droit des autochtones, déclarait être favorable à cette loi. Il expliquait que la divulgation publique des transactions financières permettra d'éviter la corruption, un problème que l'on rencontre souvent dans les gouvernements, autochtones ou non.

M. Chartrand est convaincu que le nouveau gouvernement du Canada ne cherchera pas à récupérer les sommes déjà versées. « Sous le précédent gouvernement, ce scénario aurait été plus probable », indiquait-il. « Mais le gouvernement libéral est bien conscient des coûts financiers élevés nécessaires pour rétablir un équilibre entre les Premières Nations et les communautés non autochtones, et les membres du gouvernement savent bien qu'ils ne peuvent se permettre de le faire avec des paiements de transfert uniquement. »