Mines Agnico Eagle, dont les exploitations comprennent la mine de Meliadine dans le Nunavut, a plaidé en faveur du programme de garantie de prêts, reconnaissant les possibilités qu'il pourrait offrir aux projets situés dans des régions isolées. Avec l'aimable autorisation de Mines Agnico Eagle

Le programme à venir de garantie de prêts pour les Autochtones du gouvernement fédéral pourrait aider à accélérer le développement de projets d'extraction de minéraux critiques dans tout le pays. Il contribuerait également à la réconciliation économique, déclarent les partisans du programme. Toutefois, des questions restent en suspens concernant les critères qui serviront à évaluer les candidats au programme, ainsi que l'indépendance de ce dernier vis-à-vis du gouvernement fédéral.

Le programme, annoncé dans le budget 2024, accordera jusqu’à 5 milliards de dollars en garanties de prêts pour aider les communautés autochtones à acquérir des participations en capital dans de grands projets, et n'exclut l’investissement possible de projets d'aucun secteur. Le budget a par ailleurs octroyé 3,5 milliards de dollars supplémentaires à Ressources naturelles Canada sur deux ans pour soutenir le financement de la capacité pour les communautés autochtones souhaitant déposer leur candidature à ce programme.

« Il s'agit de créer de la richesse, de renforcer les économies des Premières Nations et de relever le niveau de vie des communautés des Premières Nations », déclarait Niilo Edwards, directeur général de la First Nations Major Projects Coalition (FNMPC, la coalition des grands projets des Premières Nations), qui défend le programme de garantie de prêts depuis la création de l'organisation en 2017. La coalition a aussi exigé du programme qu'il ne tienne pas compte des secteurs, et qu'il inclue les projets pétroliers et gaziers, afin de permettre aux Premières Nations de définir leurs propres priorités et de tirer profit des opportunités qui se présentent à proximité de leurs territoires traditionnels. « C'est un outil très utile, pas seulement pour le financement, mais aussi pour atteindre les objectifs d'une réconciliation économique plus vaste », indiquait M. Edwards.

D'après un communiqué de presse de novembre 2023 de la FNMPC, sur la base de recherches qu'elle a menées qui examinait des sources vérifiées d'information pour les projets prévus, près de 470 grands projets au Canada auront une incidence sur les terres autochtones dans les dix années à venir, ce qui représente plus de 525 millions de dollars en dépenses d'investissement nécessaires. M. Edwards indiquait que cela correspond à 50 ou 60 milliards de dollars de capitaux propres d’Autochtones pouvant être financés.

« On observe une forte activité dans l'espace de l'exploitation minière et des minéraux critiques qui doivent être développés au cours des prochaines décennies, et qui ne verront le jour qu'avec la participation et le consentement des Premières Nations », indiquait-il.

Martin Turenne, président et directeur général de FPX Nickel Corp., indiquait que pour un secteur qui a été « relativement privé » de capitaux cette dernière décennie, « tout ce qui peut entraîner un flux de capitaux dans l'industrie pour la prochaine génération de projets est une bonne nouvelle pour l'industrie ». Il indiquait également que la prise de participation des Autochtones fera avancer les efforts du secteur en termes de partenariat et de collaboration avec les communautés autochtones.

Réduire le coût de l'emprunt

Les Premières Nations essayant de prendre part à des grands projets ont souvent été paralysés par les règles relevant de la loi sur les Indiens, qui empêche les gouvernements des Premières Nations et les personnes ayant le statut d'Autochtone d'utiliser les terres de réserve ou les actifs remis en nantissement. Nombre d'entre eux doivent emprunter 100 % de leur investissement en tant que prêt participatif, ce qui incite les bailleurs de fonds à facturer des taux d'intérêt qui dépasse tout taux de rentabilité que la nation pourrait récupérer.

M. Edwards s'attend à ce que, de manière générale, une garantie de prêts du gouvernement fédéral réduise de 150 à 250 points de base le coût de l'emprunt, et diminue la période d'amortissement des prêts. Il faisait toutefois remarquer que le type de projet aurait probablement une influence sur les taux d'emprunt. Les projets entièrement nouveaux, par exemple, dont les risques liés à la construction et au dépassement de budget sont courants, seront sans doute légèrement plus coûteux. « Vous investissez peut-être 100 millions ou 200 millions de dollars de capitaux propres. Sur la durée de vie d'un projet, c'est un profil de rentabilité de l'investissement intéressant que vous atteignez en réduisant le coût de l'emprunt », indiquait-il.

Alors que d'autres transactions se profilent, il déclarait s'attendre à voir les marchés des capitaux (qui, globalement, ne sont pas utilisés pour prêter aux Premières Nations ou leurs entités) devenir plus à l'aise avec le profil de ces transactions.

Qasim Saddique, conseiller principal à Suslop Inc., une société de conseil basée à Toronto qui se spécialise dans la stratégie de durabilité, la gestion de projet et le développement des communautés, indiquait que sa société avait commencé à s'entretenir avec des clients des Premières Nations concernant le programme. « Nous avons vraiment commencé à l’identifier comme un véritable vecteur d'opportunités », indiquait-il. Il faisait toutefois remarquer que les nations devront faire preuve de toute la diligence appropriée pour tout projet potentiel, notamment en ce qui concerne la durée de vie et si elle correspond à leur horizon d'investissement, ou encore s’il présente des risques d’être confronté à des vents contraires et s’il peut être financé par le marché uniquement.

Dans le contexte minier, M. Saddique indiquait que les Premières Nations peuvent investir dans des projets miniers à proximité ou sur leurs territoires traditionnels, par exemple en proposant le capital nécessaire à la construction d'une partie de l'exploitation. M. Edwards indiquait qu'il a vu des membres de la FNMPC investir dans l'infrastructure nécessaire à un projet générant un flux de rentrées, par exemple une ligne de transmission ou une route.

Pour les sociétés minières situées dans des territoires reculés, où le coût de développement d'un projet est supérieur, il pourrait s'avérer « très utile » de bénéficier de soutien pour les capitaux propres d'une Première Nation, déclarait Alex Buchan, directeur des affaires du Nunavut pour Mines Agnico Eagle. M. Buchan indiquait qu'Agnico Eagle défend le programme avec le gouvernement fédéral, et souhaite aussi que ce dernier reste souple pour les diverses possibilités de projets que les communautés autochtones pourraient vouloir poursuivre.

Les exploitations du Nunavut d'Agnico Eagle se trouvent sur des terres inuites. La société a signé des accords fonciers et de subsurface avec la Kivalliq Inuit Association (l'association inuit de Kivalliq), ainsi que des ententes sur les répercussions et les avantages (ERA) qui incluent des dispositions pour l'embauche et la formation d’Inuits, et l'achat auprès d'entrepreneurs locaux.

Programmes à l’échelle nationale

Trois provinces disposent actuellement de leurs propres programmes de garantie de prêts pour les Autochtones. Celui de l'Ontario, lancé en 2009, porte sur l'infrastructure pour une énergie propre. Depuis mars 2023, il a octroyé 500 millions de dollars en garantie sur 11 prêts. L'Alberta Indigenous Opportunities Corp. (AIOC, la corporation des opportunités pour les Autochtones en Alberta), lancée en 2019, a déjà soutenu sept transactions qui ont accordé plus de 680 millions de dollars de prêts à 42 groupes autochtones dans la province.

La Saskatchewan a annoncé son programme de garantie de prêts en 2022, et le budget de février 2024 de la Colombie-Britannique promet de créer un programme d'un milliard de dollars.

Justin Bourque, fondateur et président d'Âsokan Generational Developments, une société de conseil d'Alberta s'intéressant aux partenariats entre les communautés et les entreprises autochtones, indiquait que les transactions qui ont résulté des prises de participation soutenues par l'AIOC ont donné une meilleure visibilité aux Premières Nations quant à la performance financière, environnementale et réglementaire des actifs. M. Bourque est également le président fondateur d'Athabasca Indigenous Investments, un partenariat de 23 Premières Nations et communautés métisses qui a acheté une participation en capital dans sept canalisations d'Enbridge en 2022 avec une garantie de prêts de l'AIOC. Il est aussi impliqué dans plusieurs autres transactions soutenues par l'AIOC.

« Dans le cadre d'une relation d'entreprise, il existe un partage d'informations et une continuité entre l'entreprise et les parties autochtones qui n'ont jamais existé avant entre une communauté et un promoteur de [projet] », indiquait-il.

Toutefois, certaines questions concernant la manière dont fonctionnera le programme restent encore sans réponse. Jason Rasevych, président de l'Anishnawbe Business Professional Association (ABPA, l'association professionnelle des entreprises d'Anishinaabe), qualifiait l'annonce du budget « d'étape dans la bonne direction ». Il ajoutait toutefois qu'il manque de clarté quant aux critères qui serviront à décider des prêts à garantir, ou quant aux exigences en termes d'impact social au-delà de la rentabilité de l'investissement de la nation.

Il s'inquiétait également du fait que le programme pourrait être sujet aux programmes politiques ou gouvernementaux. De fait, ceci pourrait rediriger la majorité des financements vers des nations qui sont davantage en faveur du développement des ressources et prêtes à accueillir des opportunités, mais ne pas servir celles qui sont encore à la recherche de ressources pour une infrastructure basique dans leurs communautés.

M. Turenne indiquait qu'il souhaite aussi voir plus de détails quant à l'étape des projets à laquelle le financement sera mis à disposition, et quant au montant maximum des transactions pour les garanties de prêts.

M. Saddique espère voir des montants de transactions « qui n'étaient pas prévus jusqu'à présent. Si l'on ne considère pas les transactions importantes en fonction du programme, quelque chose ne fonctionne pas du point de vue architectural. »

Avec de si nombreux projets prévus, plusieurs experts ont suggéré que les 5 milliards de dollars initialement prévus risquent d'être utilisés rapidement. La ministre des Finances Chrystia Freeland, qui s'exprimait lors de la conférence de la FNMPC à la fin du mois d'avril, indiquait que ce montant n'était que le début. « Rien ne pourrait me rendre plus heureuse que de voir ces 5 milliards de dollars sursouscrits, contraignant [le gouvernement fédéral] à mettre en place une réserve encore plus importante », indiquait-elle.

Le gouvernement fédéral indiquait que d’autres renseignements sur le programme seront communiqués d'ici la fin de l'année.

Traduit par Karen Rolland