L’usine de préparation du minerai aux installations de Suncor, à Fort Hills. Une récente décision de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta favorable à Suncor concernant les tests aléatoires de dépistage de drogues au sein des industries lourdes pourrait représenter une lueur d’espoir, dans la foulée de la légalisation du cannabis à des fins récréatives. Avec l'aimable autorisation de Suncor

Après plus d’un an de délibérations et de plusieurs mois de ping-pong législatif entre le Sénat et la Chambre des communes, le premier ministre Justin Trudeau a déclaré que le gouvernement du Canada légalisera la consommation de cannabis à des fins récréatives le 17 octobre, après l’adoption ce mardi par le Sénat du projet de loi sur la légalisation du cannabis. Cependant, les conséquences de cette légalisation pour les gestionnaires de la sécurité en milieu de travail restent toujours à déterminer.

La nouvelle loi autorise les adultes canadiens à posséder et à consommer en toute légalité de petites quantités de cannabis, et définit le cadre applicatif en matière de production, de possession, de distribution et de vente de cette drogue, et des normes de sécurité associées à celle-ci. Cette loi met aussi en place de nouvelles infractions au Code criminel relatives à la vente de cannabis aux mineurs, et établit l’âge légal pour consommer du cannabis à 18 ans, bien que les provinces puissent choisir de l’augmenter.

Malgré les préoccupations formulées par des acteurs d’industries lourdes comme les mines, le transport et le secteur pétrolier, dont les employés doivent manipuler des équipements lourds et dangereux, l’absence de méthodes précises de dépistage de drogues pour le cannabis, la jurisprudence et le droit à la vie privée des employés signifient qu’une refonte importante de la règlementation sur la sécurité en milieu de travail est peu probable.

« Les employeurs ont toujours eu le droit d’empêcher leurs employés de travailler avec les facultés affaiblies, que ce soit par une drogue légale comme l’alcool, ou illégale comme le cannabis. Donc, je ne crois pas que des modifications seront apportées à la loi, a déclaré Rob Champagne, avocat-conseil pour le Syndicat des Métallos. Les employeurs auraient plutôt avantage à consacrer leurs efforts à tenter d’éduquer leurs employés au sujet des problèmes causés par la consommation d’alcool ou de drogue en milieu de travail, et à offrir de l’aide à leurs employés afin d’empêcher que de telles situations se produisent. »

La porte-parole de Goldcorp, Christine Marks, a écrit dans un courriel que la société « envisage d’adopter une approche proactive : c’est-à-dire nous renseigner, partager l’information et éduquer nos employés. » Elle a ajouté « que la notion de facultés affaiblies demeure la même, que celle-ci soit causée par un médicament prescrit ou par une substance récréative. Notre priorité demeure d’assurer une production sécuritaire. »

À l’heure actuelle, les sociétés minières, à l’instar d’autres employeurs au sein d’industries impliquant un risque pour la sécurité, doivent adhérer à la règlementation provinciale en matière de sécurité en milieu de travail. De plus, si elles font affaire avec des travailleurs syndiqués, elles doivent respecter les conventions collectives. La loi concernant les tests de dépistage de drogues auprès des employés est régie par une mosaïque de décisions définies par les tribunaux des droits de la personne, les tribunaux et les arbitres en droit du travail. Historiquement, la vaste majorité des politiques en matière de tests aléatoires de dépistage de drogues et d’alcool ont été invalidées par des arbitres, car elles représentaient une violation du droit à la vie privée des employés.


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En janvier dernier, M. Champagne a travaillé sur le cas d’arbitrage opposant le Syndicat des Métallos à Teck Resources, qui est l’un des plus récents ajouts à la jurisprudence. Une victoire arbitrale du Syndicat des Métallos a mis fin à un programme de tests aléatoires de dépistage de drogues et d’alcool en place depuis cinq ans dans les mines de charbon de Teck Resources, à Elk Valley, en Colombie-Britannique. Ce cas, dont la durée aura été de trois ans et qui aura nécessité 39 journées d’audience, la présence de nombreux témoins experts et des sommes d’argent non divulguées, n’augure rien de bon pour les sociétés minières qui évaluent la possibilité de mettre en place des politiques en matière de tests aléatoires de dépistage de drogue à la suite de la légalisation du cannabis.

« Teck Resources a remué ciel et terre, et, au bout du compte, a échoué, a déclaré M. Champagne. Cela indique aux autres sociétés minières qu’elles ont peu de chances de parvenir à mettre en place des politiques en matière de tests aléatoires de dépistage. »

Toutefois, le résultat incertain d’un autre cas qui oppose Suncor au syndicat Unifor, et qui rebondit d’un tribunal de l’Alberta à un autre, envoie un message plus encourageant aux employeurs qui souhaitent mettre en œuvre des tests de dépistage aléatoires après le 17 octobre. Bien qu’un groupe d’arbitrage provincial ait conclu que le géant des sables bitumineux doit cesser de faire passer des tests de dépistage aléatoires à ses employés parce qu’il s’agit d’une violation du droit à la vie privée, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a annulé la décision au motif que le groupe aurait dû tenir compte des incidents liés à l’alcool et aux drogues impliquant l’ensemble des travailleurs, et non seulement les employés syndiqués, et a ordonné que l’affaire soit entendue par un nouveau groupe. La Cour d’appel de la province a maintenu la révision judiciaire de cette décision. Unifor s’est par la suite tourné vers la Cour suprême du Canada. À la mi-juin, celle-ci a refusé d’entendre l’affaire. Ce dossier devra être soumis à un nouveau processus d’arbitrage. Une injonction imposée par la Cour du Banc de la Reine interdisant les tests aléatoires de dépistage pendant qu’Unifor portait la décision en appel auprès de la Cour suprême est toujours en vigueur.

L’absence de nouvelles lois relatives aux tests de dépistage de drogues en milieu de travail après la légalisation ne résulte pas d’un manque d’efforts de la part de groupes comme Enform, l’association de la sécurité du secteur pétrolier, qui a fait pression auprès du gouvernement fédéral afin que celui-ci mette en place une règlementation interdisant aux employés de consommer du cannabis « en étroite proximité temporelle » du travail, et sur les lieux de travail. La BC Trucking Association a aussi réclamé l’imposition d’un cadre réglementaire qui permettrait aux employeurs d’effectuer des tests aléatoires de dépistage de drogues et d’alcool.

Plus tôt cette année, un comité fédéral dont le mandat était d’étudier la possibilité d’imposer des tests aléatoires de dépistage de drogues aux travailleurs œuvrant au sein d’industries impliquant un risque pour la sécurité, et la manière de s’y prendre, n’est pas parvenu à tirer des conclusions, selon un rapport de la Presse canadienne publié en mars dernier. De plus, le Parti libéral n’a depuis fourni aucune indication selon laquelle le gouvernement du Canada envisageait d’imposer des sanctions aux employeurs qui effectuent des tests aléatoires de dépistage de drogues en milieu de travail. (Le secteur militaire est l’unique secteur au sein duquel de tels règlements fédéraux sont mis en place.)

Les gestionnaires de mines peuvent se tourner en toute quiétude vers les deux types de tests de dépistage de drogues et d’alcool généralement approuvés par les arbitres et les commissions des droits de la personne pour les industries considérées comme impliquant un risque pour la sécurité. Tout d’abord, le test mené pour une raison valable, dans le cas où il pourrait être justifié de faire passer un test de dépistage à un employé dont l’apparence, l’odeur ou le comportement permettent de croire que ses capacités sont affaiblies. Le deuxième type de test est le test de dépistage après un incident, qui est justifié lorsqu’il existe des preuves évidentes que la condition d’un employé pourrait avoir causé un accident grave sur le site. Le test aléatoire de dépistage de drogues et d’alcool n’est autorisé que lorsqu’un employeur est en mesure de démontrer la consommation problématique de substances d’un employé en milieu de travail qui doit être contrôlée, ce que Teck Resources n’a pas réussi à faire au cours de son cas d’arbitrage.

Le problème avec le test de dépistage du cannabis est complexifié par le fait que, contrairement à l’alcool, il n’existe pas encore de test objectif. Les méthodes actuelles, qui utilisent les échantillons d’urine et les tests de salive, portent à confusion. Le THC, la substance psychoactive contenue dans le cannabis et qui cause l’affaiblissement des facultés, demeure dans l’organisme d’un utilisateur occasionnel jusqu’à quatre jours, et jusqu’à huit semaines dans le cas d’un grand consommateur. Par conséquent, ce test indique une consommation antérieure, et non un affaiblissement actuel des facultés.

M. Champagne considère les méthodes de dépistage actuelles comme une « science imparfaite », et a expliqué qu’un résultat positif à un test de dépistage de drogues ne peut être l’unique indicateur des facultés affaiblies par le cannabis. Il ajoute que le résultat positif à un test de dépistage doit être jumelé à « autre chose, comme des troubles d’élocution, une démarche vacillante ou des yeux vitreux. »

À la lumière des difficultés entourant le dépistage et la prévention des risques associés à la consommation de cannabis, les organismes de santé et sécurité provinciaux travaillent en vue de mettre leur règlementation à jour. La Commission de la sécurité au travail et de l’indemnisation des travailleurs des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut a affirmé qu’elle élabore actuellement une nouvelle définition de la notion de « facultés affaiblies » qui ne sera probablement pas axée sur la quantité d’une substance consommée, mais plutôt sur les répercussions de cette consommation et les signes montrant qu’une personne a les facultés affaiblies.