La Cour supérieure de l’Ontario a révoqué le permis de forage exploratoire d’une petite société minière sur le territoire traditionnel de la Première Nation d’Eabametoong dans le nord de l’Ontario, après avoir statué que la société et la province n’avaient pas rempli leur obligation de consulter adéquatement la Première Nation.

Dans son jugement rendu à la mi-juillet, la juge Harriet Sachs a écrit que Landore Resources Canada et le ministère du Développement du Nord et des Mines de l’Ontario (MDNM) n’ont pas mené un processus de consultation de la Première Nation Eabametoong « digne de l’honneur de la Couronne ».

La juge estime en outre que Landore et le MDNM n’ont pas fait preuve de transparence dans leurs négociations avec les Eabametoong, omettant de tenir la Première Nation au courant des motifs de leurs décisions et des processus décisionnels, et excluant celle-ci de certaines parties du processus consultatif.

La juge Sachs a renvoyé le permis d’exploration au gouvernement « jusqu’à la tenue d’une consultation digne de ce nom » auprès de la Première Nation.

« La Couronne et son délégué, Landore, ont créé des attentes claires sur la manière dont ils entendaient remplir leur obligation de consulter. Ensuite, sans répondre à ces attentes ni offrir d’explication quant à ce manquement, la Couronne a modifié le processus d’une manière telle que celui-ci ne pouvait être raisonnablement considéré comme une véritable tentative de "discuter dans le but d’en arriver à un commun accord" », a écrit Harriet Sachs dans son jugement.

L’un des avocats qui ont représenté la Première Nation d’Eabametoong, Krista Robertson, confie que le jugement a été accueilli avec soulagement par les gens de la communauté.

« Un procès comme celui-ci est une dure épreuve pour une Première Nation. C’est coûteux. C’est stressant. Personne ne souhaite que ce genre d’affaire se rende devant les tribunaux, affirme Krista Robertson. J’espère au moins qu’à l’avenir, le proposant et le gouvernement assumeront leurs responsabilités et feront un meilleur travail, pour éviter aux Premières Nations de recourir au système judiciaire. »


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Cameron Ferguson, porte-parole du MDNM, a déclaré que le gouvernement n’interjettera pas appel de la décision et « ira de l’avant dans le respect des exigences établies dans la décision de la Cour divisionnaire ».

« Le ministère accorde une grande importance à sa relation avec la Première Nation d’Eabametoong, ajoute Cameron Ferguson. Nous collaborerons volontiers avec la communauté dans l’avenir. Le gouvernement de l’Ontario procède à un examen et à une évaluation de son approche en matière d’exploration et de développement minier, y compris son obligation de consulter, en collaboration avec les communautés autochtones, les partenaires de l’industrie et d’autres intervenants. »

Landore n’a pas répondu aux questions de CIM Magazine.

Le permis d’exploration de la société visait des concessions sur des terres du Traité no 9 près des lacs Miminiska et Keezhik, à environ 40 kilomètres à l’ouest de la Première Nation d’Eabametoong. Ce territoire est fréquemment utilisé par les membres de la Première Nation pour la chasse et la pêche et revêt une valeur spirituelle.

Les relations entre Landore et la Première Nation d’Eabametoong s’étaient pourtant amorcées dans la courtoisie. Au début du processus de demande de permis, en 2013, Landore avait avisé la Première Nation qu’elle ne procéderait à aucun forage avant d’avoir conclu un protocole d’entente.

Après deux rencontres entre les représentants des deux parties, le chef de la direction de Landore a promis une troisième rencontre qui aborderait certaines des préoccupations des Autochtones d’Eabametoong. Les membres de la Première Nation souhaitaient notamment examiner les plans de forage de la société et commencer à négocier le protocole d’entente, mais Landore n’a jamais répondu au courriel de la Première Nation proposant une date pour cette troisième rencontre.

Le ministère et Landore ont tous deux cessé toute tentative de fixer un rendez-vous avec la Première Nation d’Eabametoong. Le jugement nous apprend que lors d’une rencontre privée avec le ministère en janvier 2016, Landore a révélé qu’elle était en négociations préliminaires avec Barrick Gold en vue d’une acquisition. Landore aurait alors pressé le ministère d’approuver le permis le plus rapidement possible, à cause de ces négociations.

Le MDNM a fini par envoyer un courriel à la Première Nation l’informant qu’elle avait cinq jours ouvrables pour approuver une liste énumérant les conditions proposées du permis de Landore. En dépit des objections des Eabametoong quant au délai et aux conditions, le ministère ontarien a approuvé le permis.

Durant le processus de consultation, la Première Nation avait envoyé sa propre liste de doléances au gouvernement de l’Ontario, qui a fait la sourde oreille. En cour, il s’est avéré que le ministère avait fait un examen approfondi de cette liste, mais n’avait jamais fait part de son analyse à la communauté.

Tous ces éléments témoignent d’un processus de consultation bâclé, a écrit la juge Sachs.

Le jugement ajoute : « Il n’y a jamais eu de véritable volonté, ni de la part du ministère, ni de la part de Landore, d’accorder quelque attention que ce soit aux doléances des Eabametoong, d’y répondre ou de discuter pour trouver des solutions (si possible). À la place, ces doléances ont été notées, les discussions promises ont été abandonnées sans explication, et le ministère a agi de manière unilatérale (sans consultation et sans explication) pour rendre sa décision. »

La juge Sachs ajoute que la conduite du ministère « ne peut être raisonnablement considérée comme le type de conduite favorable à une réconciliation entre la Couronne et les peuples autochtones ».

L’avocate Robertson signale qu’un examen du processus peut paraître impressionnant, « mais en réalité, ce n’était pas une véritable consultation, il n’y a pas eu de réciprocité. Je crois que Landore est le principal fautif à cet égard, mais l’Ontario porte aussi une part du blâme ».

Elle ajoute que le jugement, dont la conclusion est qu’une consultation ne se résume pas à faire cocher des cases dans un formulaire, enverra un message clair à toute l’industrie. « Je crois que ce jugement rappellera à l’Ontario et aux sociétés minières qu’elles ont des responsabilités en matière de consultation, et que tout litige peut être porté devant les tribunaux et examiné à la loupe. Et qu’elles perdront leur cause si elles ont négligé ces responsabilités », conclut Robertson.