Des associations de l’industrie minière préviennent que certaines mesures présentées dans le budget pourraient dissuader les sociétés canadiennes de financer la prospection minière. Photo : Benoit Debaix, par l’intermédiaire d’Unsplash
Le gouvernement fédéral cherche à accélérer le développement de nouveaux projets miniers. Il a présenté des initiatives dans le budget 2024 visant à rationaliser les procédures d’attribution de permis et d’évaluation de l’impact, et à réduire les obstacles à la participation des communautés autochtones aux projets d’extraction des ressources.
Toutefois, les associations industrielles se disent préoccupées de la démarche du gouvernement qui prévoit d’augmenter les impôts sur les plus-values des entreprises, des trusts et des individus fortunés. Selon elles, cela pourrait avoir une incidence négative sur la prospection minière au Canada et réduire la valeur du crédit d’impôt à l’exploration minière (CIEM) récemment prorogé d’une année jusqu’au 31 mars 2025.
Ces changements obligeront les entreprises et les trusts à payer des impôts sur le revenu correspondant à deux tiers de leurs bénéfices tirés des gains en capital. Ils devaient jusqu’à présent s’acquitter de 50 % de leurs bénéfices. Cette hausse concernera également les individus ayant des bénéfices tirés des gains en capital dépassant les 250 000 dollars.
« Selon nous, cette mesure réduit considérablement la valeur du crédit d’impôt à l’exploration minière pour nombre d’individus », déclarait Photinie Koutsavlis, vice-présidente des affaires économiques et du changement climatique à l’association minière du Canada (AMC) dans un entretien avec l’équipe du CIM Magazine.
Mme Koutsavlis indiquait que ces changements pourraient inciter les investisseurs individuels concernés par le nouveau seuil à chercher à investir dans des petites sociétés minières basées dans d’autres territoires. « Nous avons le sentiment qu’il s’agit d’une conséquence non intentionnelle de la part du ministère de la finance, [résultant] peut-être d’un manque de compréhension de l’impact global qu’auront ces changements sur le secteur de l’exploration. »
Lisa McDonald, directrice exécutive de la Prospectors and Developers Association of Canada (PDAC, l’association canadienne des prospecteurs et entrepreneurs), déclarait à l’équipe du CIM Magazine dans un entretien que la PDAC se préoccupait aussi de ces changements. Elle saluait toutefois la décision du gouvernement de renouveler le CIEM.
Dans sa présentation de recommandations sur le budget de février 2024 au comité des finances de la Chambre des communes, la PDAC préconisait que le gouvernement ajuste le traitement des impôts sur les plus-values des actions accréditives pour que moins d’investissement soit exposé à la taxation. Le régime actuel rend intéressantes les actions accréditives principalement pour les individus extrêmement fortunés, ce qui signifie qu’un « groupe relativement restreint » d’investisseurs génère une part démesurée du financement des actions accréditives. Cet ajustement permettrait d’étendre la participation au mécanisme de financement à un groupe plus vaste d’investisseurs canadiens, indiquait la PDAC dans son argumentation.
« Nous pensons que le gouvernement aura la possibilité, d’ici à ce que la loi d’exécution du budget entre en vigueur… d’ajuster cette base de coûts. Ceci pourrait potentiellement compenser ce qui est, selon nous, une conséquence involontaire [des changements dans les gains en capital] », indiquait Mme McDonald.
Délais d’attribution de permis réduit
Le budget promettait de considérablement réduire les calendriers pour les nouvelles mines et pour d’autres projets importants par le biais de nombreuses initiatives. Le gouvernement s’est fixé un objectif à cinq ans ou moins pour compléter l’évaluation de l’impact fédéral et des processus d’attribution de permis pour les projets désignés par le gouvernement fédéral, et de deux ans ou moins pour l’attribution de permis à ceux qui ne sont pas désignés par le gouvernement fédéral.
C’est un changement que l’industrie demande depuis longtemps. Comme l’indiquait Mme McDonald, la PDAC a vu des projets attendre jusqu’à 10 ans, voire plus, pour venir à bout des processus d’attribution de permis et d’évaluation de l’impact.
Le budget allouait aussi 9 millions de dollars sur trois ans au bureau du Carrefour de la croissance propre au sein du bureau du Conseil privé afin de réduire les inefficacités interministérielles, d’améliorer le partage des données entre ministères et de garantir que les nouveaux calendriers pour l’attribution de permis sont maintenus dans tous les ministères fédéraux. Il s’engageait également à nommer un coordonnateur ou une coordonnatrice fédéral(e) préposé(e) à l’attribution de permis, et à développer un tableau de bord sur l’attribution de permis au niveau fédéral pour communiquer sur le statut de grands projets « afin d’améliorer la prédictibilité pour les promoteurs de projet » et de renforcer la transparence.
« Le fait que le budget prévoit des ressources pour ce travail est important. Cela montre à l’industrie que le gouvernement prend cela très au sérieux », indiquait Mme Koutsavlis. Elle ajoutait toutefois qu’elle souhaitait voir le gouvernement avancer vers l’exécution de ses promesses. « Un problème qui pèse sur le Canada depuis des années concerne la confiance des investisseurs quant à la faisabilité du développement des projets. Sans [cela], il n’y a pas d’investissements dans les projets et il est difficile d’avancer. »
Le budget comprenait également un engagement à modifier la loi sur l’évaluation d’impact pour répondre à la décision de la Cour suprême du Canada d’octobre 2023 décrétant que certaines sections de la législation sont inconstitutionnelles.
Programme de garantie de prêts pour les Autochtones
Une autre grande initiative concerne l’engagement du gouvernement fédéral à octroyer jusqu’à 5 milliards de dollars en garanties de prêts pour faciliter l’accès des communautés autochtones aux capitaux. Ce programme vise à soutenir la participation des Autochtones à des projets en tout genre sur les ressources naturelles et l’énergie qui « accordent la priorité à la réconciliation économique et l’autodétermination », lisait-on dans le budget.
La Canada Development Investment Corporation (CDEV, corporation de développement des investissements du Canada), une société d’État fédérale relevant du ministère des finances, lancera une nouvelle filiale chargée d’octroyer les prêts.
La First Nations Major Projects Coalition (FNMPC, la coalition des grands projets des Premières Nations) a salué le programme dans un communiqué de presse du 16 avril. « En promettant ce filet de sécurité pour le soutien financier octroyé à la participation des Autochtones au capital social, le gouvernement du Canada prend une mesure importante pour promouvoir la réconciliation économique dans ce pays », déclarait Sharleen Gale, présidente de la FNMPC et cheffe de la Première Nation de Fort Nelson, dans le communiqué de presse.
« Cette disposition est une étape réellement importante et transformatrice qui facilitera la participation des Autochtones à de grands projets », déclarait Keerit Jutla, président et directeur général de l’Association for Mineral Exploration (AME, l’association pour l’exploration minérale) dans un entretien avec l’équipe du CIM Magazine.
Le budget annonçait également des plans visant à améliorer la capacité des Autochtones en matière de consultation dans de grands projets, et de nommer un coordonnateur ou une coordonnatrice des consultations de la Couronne spécifique à la consultation sur les autorisations relatives aux projets non soumis à des évaluations de l’impact par le gouvernement fédéral.
Crédit d’impôt pour la technologie propre
Le gouvernement a aussi modifié le crédit d’impôt pour l’investissement dans la fabrication de technologies propres (CII-FTC) en réponse aux préoccupations de l’industrie. Le CII-FTC est un crédit d’impôt remboursable égal à 30 % au maximum du coût en capital des nouvelles machines et de l’équipement pour une mine de minéraux critiques. Le gouvernement avait initialement prévu de demander que l’intégralité ou la majeure partie d’un gisement contienne l’un des six métaux nécessaires à la fabrication de batteries. Selon Mme Koutsavlis, cette requête va à l’encontre de la majeure partie de la géologie du Canada. De fait, les gisements canadiens sont principalement polymétalliques, ce qui entraînerait leur non-éligibilité. Le budget a réduit l’éligibilité aux coûts des machines et de l’équipement en lien avec les gisements qui sont « principalement » composés de l’un des six métaux nécessaires à la fabrication de batteries.
Mme Koutsavlis indiquait que l’AMC perçoit ces changements comme une victoire. Toutefois, le fait que les consultations sur les dépenses éligibles n’auront pas lieu avant l’été, et que la législation concernant l’exécution n’est pas attendue avant l’automne, pourrait temporairement dissuader les sociétés minières de faire des acquisitions d’immobilisations, ajoutait-elle.
Elle faisait aussi remarquer que si le crédit d’impôt est un bon départ, l’AMC préconisait d’inclure les coûts de développement afin que les mines existantes puissent financer les agrandissements de leur exploitation ou l’augmentation de la production. « C’est toujours ce que l’on néglige. Plutôt que de ne soutenir que les nouvelles mines, il faut tenir compte du fait que les exploitations existantes peuvent rapidement augmenter leur production de minéraux critiques », concluait-elle.
Traduit par Karen Rolland