Le projet Eskay Creek de Skeena Resources sera alimenté par de l’hydroélectricité produite par le projet Coast Mountain Hydro, qui détient trois centrales électriques : McLymont Creek, Volcano Creek et Forrest Kerr (en photo ci-dessus), située dans le triangle d’or de la Colombie-Britannique et sur les terres de la nation Tahltan. Coast Mountain est la propriété d’Axium Infrastructure, de La Financière Manuvie et du gouvernement central Tahltan. Avec l’aimable autorisation de Skeena Resources

Pour la première fois l’année dernière, Skeena Resources a reçu un questionnaire concernant sa stratégie environnementale, sociale et de gouvernance (ESG) de la part de gestionnaires de fonds commun de placement importants. La société, basée en Colombie-Britannique (C.-B.), venait de demander un financement des marchés publics et privés, concluant de nombreux placements privés et une offre publique de 57,5 millions de dollars.

Skeena a présenté ses projets concernant l’exploitation aurifère d’Eskay Creek dans le triangle d’or de la C.-B., et a mis en avant dès le départ sa démarche prônant les faibles émissions de carbone. En redonnant vie à une ancienne mine d’or, la société pourrait éviter certaines phases de la construction du site générant beaucoup d’émissions. Contrairement aux premiers propriétaires de la mine, qui exploitaient le site avec des équipements entièrement alimentés au diesel et au propane, Skeena bénéficie de trois unités hydroélectriques installées dans la région ces sept dernières années, qui alimenteront en électricité propre le concentrateur et la plupart des installations. Elle n’est pas encore en mesure d’introduire un parc fonctionnant exclusivement à l’électrique, mais prévoit de faire la transition d’ici quelques années, une fois que la technologie sera commercialisée sur des camions de grandes tailles comme les tombereaux. Walter Coles Jr., président et chef de la direction de Skeena, expliquait à l’équipe du CIM Magazine que la société souhaite se rapprocher de la neutralité carbone d’ici 2030.

« Je n’irais pas jusqu’à dire qu’elle constitue le moteur des investissements, mais c’est clairement une question qui a pris de l’importance », déclarait M. Coles. « Cette tendance va prendre de l’ampleur, et les [investisseurs] vont s’intéresser aux sociétés qui abordent les problèmes liés au changement climatique. »

Ces dernières années, une myriade d’investisseurs institutionnels s’engagent à soutenir la transition vers le « zéro émissions nettes » (en d’autres termes, toutes les émissions de gaz à effet de serre, ou GES, produites par l’activité humaine doivent être éliminées à l’aide de mesures de réduction des émissions). L’initiative Net Zero Asset Managers, un groupe international d’investisseurs institutionnels, a réuni 236 signataires représentant 57,5 billions de dollars américains en actifs sous gestion. Au Canada, nombre des plus grandes caisses de retraite, notamment le régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario, le régime de retraite des employés municipaux de l’Ontario (OMERS) et plus récemment, l’office d’investissement du régime de pensions du Canada, se sont engagées à atteindre la neutralité carbone.

À mesure que les capitaux se recentrent autour d’un avenir à faibles émissions de dioxyde de carbone (CO2), les sociétés minières ressentent une certaine pression à devoir prouver leur engagement envers la neutralité carbone et doivent élaborer des plans crédibles afin d’atteindre cet objectif.

« Il faut absolument pouvoir montrer que l’on s’intéresse aux questions ESG et que l’on s’engage à amorcer une transition énergétique d’une manière ou d’une autre. Dans le pire des cas, il faut prouver que l’on en a conscience du point de vue de la gouvernance », déclarait Michael Pickersgill, associé à Torys LLP et directeur du département Mines et métaux du cabinet d’avocats. Son cabinet gère les introductions en bourse des sociétés du secteur. Selon lui, les sociétés minières consacrent plus de temps à la communication d’informations afin d’illustrer leurs stratégies en matière d’ESG et de transition énergétique.

À défaut de parvenir à définir ou à atteindre les objectifs de transition énergétique, le coût en capital pourrait être plus élevé. Toutefois, expliquait Sara Alvarado, directrice exécutive de l’Institute for Sustainable Finance (l’institut pour des finances stables) de l’université Queen’s et professionnelle de longue date dans le domaine de l’investissement, la transition constitue une véritable opportunité pour les sociétés minières, car les investisseurs cherchent comment financer la technologie et les fournisseurs essentiels à cette transition.

« Les métaux et les minéraux extraits au Canada seront nécessaires pour parvenir à un monde neutre en carbone. Prenons par exemple les composants des véhicules électriques à batterie. Les opportunités sont nombreuses pour les sociétés minières canadiennes et les marchés étudient l’intégralité de la chaîne de valeur, depuis l’extraction jusqu’au produit final », indiquait-elle. « [L’]avantage concurrentiel est énorme pour les sociétés qui adoptent la bonne stratégie et la bonne exécution. »

On voit déjà poindre ces opportunités. En mai 2021, la société d’exploration et de développement Foran Mining Corp., basée à Vancouver, annonçait un placement privé de 100 millions de dollars de Fairfax Financial Holdings Ltd. pour développer son projet de mine de cuivre, de zinc, d’or et d’argent de McIlvenna Bay dans la région de la Saskatchewan. D’après la société, l’investissement de Fairfax représentait une « preuve incontournable du soutien de la société » à son projet de construire ce qui constituera la première mine neutre en carbone.

« C’est un signe, je pense, que [les investisseurs] cherchent un réel engagement et que [les sociétés] renforcent leur stratégie de financement dès le départ avec un objectif de neutralité carbone à l’esprit », indiquait M. Pickersgill, dont le cabinet participait à l’opération financière. Foran a décliné notre demande d’entretien.

Stratégie et action

Winter Li, analyste de recherche sur les capitaux propres chez MFS Investment Management, indiquait qu’il observe « un intérêt marqué » envers l’ESG et la transition énergétique dans le monde minier qu’il couvre, lequel inclut principalement des petites sociétés minières mais comprend également quelques grandes sociétés d’une valeur de 10 milliards de dollars ou plus. Toutefois, le secteur accuse encore du retard dans ce domaine.

« Si, de manière générale, cette problématique est au cœur des priorités des sociétés minières, elles ont encore beaucoup à faire pour atteindre ce à quoi aspirent les investisseurs du monde entier. » Il estimait que moins de 10 % des sociétés minières qu’il suit ont fixé des objectifs concrets pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, même si les plus grandes sociétés sont plus en avance. « Si les sociétés n’améliorent pas leur communication d’informations actuelles, elles risquent de perdre une base d’investisseurs ou une source de financement. »

Comment distingue-t-on les sociétés affichant de meilleurs résultats ? Dimi Ntantoulis, directrice du portefeuille des capitaux propres chez MFS, expliquait que le type d’objectifs de réduction que fixe une société est important. Les objectifs de neutralité carbone et ceux reposant sur des preuves scientifiques sont plus crédibles que des objectifs définis par la société que la direction pense pouvoir atteindre. On parlera uniquement d’objectifs reposant sur des preuves scientifiques s’ils s’alignent sur les derniers résultats scientifiques en matière de climat jugés nécessaires pour atteindre les objectifs établis par l’accord de Paris, qui visent à limiter le réchauffement climatique à un niveau bien inférieur à deux degrés Celsius, et de préférence à 1,5 degré Celsius, par rapport au niveau préindustriel. D’après l’initiative Science Based Targets, 26 sociétés minières du monde entier ont défini des objectifs au titre de l’initiative, mais seulement 11 ont obtenu leur validation.

Comme l’expliquait Mme Ntantoulis, si les objectifs nets sont utiles, les directeurs des placements souhaitent également voir si les sociétés envisagent de réduire leurs émissions en valeur absolue.

Il ne suffit plus d’annoncer des objectifs, déclarait Mme Alvarado. Les sociétés doivent montrer l’engagement sans équivoque du conseil d’administration et de la direction et démontrer leur stratégie et leur progrès. « On observe un glissement des engagements et de l’espoir vers l’exécution et les actions concrètes », ajoutait-elle.

MFS, qui fait partie des signataires de l’initiative Net Zero Asset Managers, collabore avec des sociétés du secteur minier et d’autres secteurs dans lesquels elle investit pour mettre en relation les objectifs de transition énergétique et la rémunération des dirigeants afin de motiver ce mouvement, que toujours plus de sociétés souhaitent adopter, indiquait Mme Ntantoulis.


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Le problème avec la communication d’informations

Il est toutefois encore difficile pour les investisseurs de comprendre les profils d’émissions des sociétés. D’après un rapport d’avril 2021 élaboré par les chercheurs de l’Institute for Sustainable Finance, environ deux tiers (150 sur 222) des sociétés cotées à l’indice composé S&P/TSX (bourse de croissance) communiquent actuellement des informations concernant leurs émissions, bien en deçà des sociétés européennes (79 %) et britanniques (99 %), mais légèrement au-delà ou équivalent aux sociétés américaines (entre 55 % et 67 %). Seulement 43 % des sociétés cotées à l’indice S&P/TSX communiquant des informations s’assurent que leurs estimations quant aux émissions sont vérifiées par des tiers.

Le manque de conformité aux normes de divulgation est également flagrant, indiquait Mme Alvarado, même si elle a espoir que cela change bientôt. À l’heure actuelle, le Canada n’oblige pas les sociétés faisant appel public à l’épargne à communiquer leurs informations relatives au climat. Toutefois, les autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) sollicitent un retour quant à leur proposition visant à contraindre la communication d’informations « en grande partie compatibles » avec les recommandations du Task Force on Climate-related Financial Disclosures (TCFD, le groupe de travail sur la divulgation de l’information financière relative aux changements climatiques), bien qu’il y ait peu de différence entre les deux.

Les ACVM ont proposé de laisser de côté les exigences du TCFD visant à communiquer l’analyse de scénarios, à savoir l’évaluation par une société de la résilience de la stratégie d’entreprise dans le cadre de divers scénarios de changement climatique. Elles ont également proposé de donner la possibilité aux sociétés de communiquer leurs émissions de champs d’application 1, 2 et 3 et des risques inhérents, ou de « donner les raisons de leur refus de les communiquer ».

D’après Mme Alvarado, ces changements seraient une erreur. « À défaut de mener une analyse de sensibilité, comment peut-on suggérer des [stratégies] de gestion des risques ? », demandait-elle. « Tout le monde s’intéresse à la communication des émissions de GES. On ne pourra prendre une société au sérieux si elle ne les communique pas. »

Jamie Strauss observe un autre problème avec les approches actuelles à la communication. Fondateur et directeur général de Digbee Ltd., une plateforme de communication des critères ESG spécifique à l’industrie minière qui propose aux sociétés participantes une évaluation et un classement indépendants, il n’est pas certain que le fait de remplir des rapports de communication motive réellement une action future. « Je suis sûr que la plupart des sociétés ont des intentions positives de mieux faire », indiquait-il. « Le problème reste à savoir si cela se produit assez rapidement ou efficacement, et si l’on peut suivre les divulgations de manière crédible. »

C’est quelque chose dont Digbee pourra, selon lui, se charger. Le cadre ESG de la plateforme, soutenu par environ 40 groupes financiers et investisseurs institutionnels dont BlackRock, BMO Marché des capitaux et le cabinet d’investissement Dundee Corporation axé sur le secteur minier, s’aligne sur les normes, notamment celles du Global Reporting Initiative (GRI), du TCFD, de l’initiative Vers le développement minier durable (VDMD) de l’association minière du Canada (AMC) et d’autres initiatives. À mesure que les sociétés remplissent les cadres concernant leur phase de production, on leur demande quelles sont leurs pratiques actuelles, par exemple à quelle source d’énergie elles ont recours pour leurs camps miniers et leur parc de véhicules, et l’évolution qu’elles envisagent dans les deux ou trois années à venir, puis dans les cinq années à venir.

« Le résultat est trop imprécis si on se contente de leur demander ce qu’elles ont fait dans le passé », indiquait-il. « Mais si on leur pose tout un tas de questions leur demandant ce qu’elles comptent faire dans les années à venir, on peut alors les évaluer l’année suivante, ou deux ans plus tard, et vérifier ce qu’elles ont fait ou pas. Si elles n’ont rien mis en œuvre, elles obtiennent une mauvaise note, sauf si elles peuvent justifier et expliquer la raison de leur inaction. Cette approche a une incidence sur le changement. »

Des progrès continus

Mme Ntantoulis expliquait que MFS souhaite voir les sociétés prendre des « mesures progressives » pour atteindre leurs objectifs, même si certaines technologies nécessaires à la décarbonation « doivent encore rattraper les retards pour se montrer à la hauteur des ambitions ».

Certaines sociétés « choisissent d’annoncer leur objectif zéro émission et éliminent l’étape intermédiaire », indiquait M. Li. Il évoquait l’appel du fournisseur d’équipement minier Finning International concernant les bénéfices du quatrième trimestre 2021 de la société, au cours duquel le président et chef de la direction de la société, Scott Thomson, indiquait que le nouveau moteur diesel dynamique de Caterpillar, qui permettait de remplacer 80 % du diesel par du gaz naturel et d’obtenir au final 20 % d’hydrogène sans reclassement, ne faisait pas l’objet d’un grand intérêt de la part des clients du secteur minier.

« La plupart des clients s’intéressent actuellement à l’hydrogène et aux batteries. Nous devons les sensibiliser aux possibilités de réduire leurs émissions sur une période plus courte, de l’ordre de 30 à 40 %, à l’aide de la technologie qui le permet aujourd’hui », indiquait M. Thomson. « Cette technologie ne semble pas susciter d’intérêt croissant, ce qui, je dois l’avouer, me surprend. »

D’après M. Li, ceci est caractéristique des sociétés qui choisissent de définir des objectifs à long terme sans adopter de plans à moyen terme. MFS s’engage avec les sociétés minières à fixer des taux annuels de réduction des émissions ainsi que d’autres objectifs intermédiaires.

Pour M. Coles, la voie qu’adopte Skeena vers la neutralité carbone est une démarche continue. La société a récemment embauché un directeur chargé de l’innovation et des initiatives ESG pour « guider ces objectifs de manière permanente ».

Sans progrès continu, il pourrait se passer des années avant que les sociétés n’opèrent le moindre changement, ajoutait M. Strauss. « Si l’on repousse à 2025 ou 2026, l’impact aggravé qu’il faudra gérer [pourrait] devenir impossible à maîtriser. Il faut le gérer dès maintenant… Cette démarche doit être itérative si l’on souhaite parvenir à notre but. »


 La série Objectif neutralité carbone se poursuivra tout au long de l’année 2022. Elle examinera les difficultés liées à la réduction des gaz à effet de serre et à l’élimination des empreintes carbone, et étudiera également les possibilités qu’offrent ces actions. Si vous souhaitez apporter votre contribution, veuillez nouscontacter à l’adresse : editor@cim.org. 

Traduit par Karen Rolland

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