Khan Resources, basée à Toronto, était en litige avec le gouvernement mongol depuis que ce dernier avait révoqué les permis de la société minière pour le projet d’uranium Dornod, situé dans l’est de la Mongolie. Avec l’aimable autorisation de Khan Resources
À l’échelle internationale, une vague récente de décisions arbitrales rendues en faveur de sociétés minières met en lumière le défi inhérent à ce mode de règlement des différends : récupérer les sommes adjugées auprès de pays étrangers.
Une décision arbitrale importante a été rendue au Venezuela fin août en faveur de Rusoro Mining, une société minière établie à Vancouver, prouvant que le gouvernement vénézuélien avait exproprié illégalement la société de deux de ses mines d’or en 2011.
La société a lancé le processus d’arbitrage en 2012 dans le cadre d’un traité bilatéral d’investissement entre le Venezuela et le Canada, et s’est vue accorder 1,2 milliard de dollars américains en dommages-intérêts. Dans sa déclaration sur la victoire de son entreprise, le président-directeur général de Rusoro Andre Agapov a remercié les actionnaires pour leur appui dans ce « processus long et pénible » d’arbitrage et indiqué qu’il attendait « avec impatience de percevoir les fonds accordés. »
Sous la direction de son président Hugo Chavez, le Venezuela (riche en ressources) a nationalisé de larges pans de son économie, notamment dans les secteurs du pétrole et de l’or – une initiative ayant entraîné plus de 20 cas d’arbitrage. La somme allouée à Rusoro est la plus récente d’une série d’arbitrages importants rendus en faveur d’entreprises de l’industrie des ressources. En 2014, Exxon Mobil a obtenu 1,6 milliard de dollars américains, alors que Gold Reserve Inc. a obtenu 740 millions de dollars américains en 2015 et que Crystallex International Corp. s’est vue accorder 1,4 milliard de dollars américains plus tôt cette année.
Ces dernières années, des sociétés minières se sont également vues accorder des sommes considérables dans des causes qui les opposaient à des pays étrangers, dont la Mongolie et l’Afrique du Sud. Selon le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), un groupe de la Banque mondiale qui traite 70 %a des arbitrages entre des investisseurs et des États, l’arbitrage international est une activité en plein essor. Le CIRDI a administré le mécanisme de 118 différends dans son exercice financier de 2006, et ce chiffre est passé à 247 au cours de son plus récent exercice ayant pris fin le 30 juin 2016, dont 20 % ont été mis de l’avant par des entreprises de l’industrie extractive.
L’utilisation croissante de ce mode de règlement de différends et les sommes importantes adjugées amènent certains à voir les 10 dernières années comme « l’âge d’or » de l’arbitrage international. Mais le système ne va pas sans difficulté, surtout quand vient le temps de percevoir les sommes accordées en réparation. Bien que les bases de données dressant la liste des cas d’arbitrage soient assez faciles à consulter, celles qui font le suivi des paiements ne le sont pas autant, remarque Andrew Newcombe, professeur de l’Université de Victoria et spécialiste en matière d’arbitrage international. « À ce que je sache, il n’y a pas eu de bonnes études empiriques sur les sommes ayant été effectivement perçues, parce que cette étape revêt habituellement un caractère confidentiel. »
Les sommes sont surtout versées dans les cas où le pays d’origine de l’investisseur et le pays faisant l’objet de la poursuite ont tous les deux ratifié l’accord du CIRDI (dont 153 pays, y compris le Canada, mais non le Venezuela, sont signataires). Dans de tels cas, le CIRDI définit un cadre pour les négociations, et les investisseurs bénéficient d’une « clause spéciale » qui contraint la partie fautive à payer les sommes dues et qui interdit aux tribunaux locaux d’annuler une telle décision.
Dans des causes d’arbitrage où seulement un des pays visés a ratifié l’accord du CIRDI, ce dernier facilite le processus, mais les investisseurs ne bénéficient pas de la « clause spéciale. » Dans de tels scénarios (et lorsqu’aucune des deux parties n’a ratifié l’accord), les causes d’arbitrage sont négociées en fonction du processus prévu dans des accords commerciaux bilatéraux, et le recouvrement des sommes se révèle souvent difficile, surtout lorsque le pays contre lequel la poursuite a été intentée est dans une situation chaotique et éprouve des difficultés financières. Le Venezuela a dénoncé les sentences prononcées contre son gouvernement et refuse, à ce jour, de payer Exxon et Crystallex – bien qu’il ait conclu avec Gold Reserve Inc., un accord lui accordant 55 % des parts dans la société. Au moment de publier, le premier versement de 600 millions de dollars américains était dû à la fin d’octobre.
Les sociétés à la faveur desquelles une décision a été prise peuvent toujours forcer le paiement. En vertu de la Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères (New York, 1958), qui a été ratifiée par plus de 150 pays, dont le Venezuela, et qui se veut un moyen de résoudre l’arbitrage interentreprises, la partie concernée peut rechercher et saisir des biens commerciaux, des éléments d’actif ou des fonds monétaires d’un pays, pourvu que ceux-ci se trouvent dans un pays ayant ratifié la convention.
Toutefois, ce processus est complexe et coûteux. L’investisseur doit obtenir du tribunal du pays où se trouve l’actif le droit de procéder à la saisie. Les pays qui doivent de grosses sommes d’argent ont tendance à prendre des mesures pour protéger leur actif en le cachant ou le préservant dans des territoires de compétence à l’abri de toute saisie. Dans certains cas, des investisseurs sont forcés d’intenter des poursuites onéreuses dans de nombreux pays. « Il n’est pas facile de dénicher à distance un milliard de dollars », affirme Armand de Mestral, spécialiste en arbitrage international, qui enseigne à la faculté de droit de l’Université McGill.
De plus, il est interdit aux sociétés de saisir des éléments d’actif souverains, comme une ambassade, de l’équipement militaire ou des fonds du Trésor stationnés à l’étranger. « Idéalement, il faudrait mettre la main sur un pétrolier et sa pleine cargaison de pétrole brut », ajoute M. de Mestral en parlant des options mises à la disposition de sociétés cherchant à se faire rembourser par le Venezuela.
L’arbitrage international gagne en popularité, tout comme la critique contre cette pratique. Les critiques dénoncent le fait que la crainte que suscite l’arbitrage international n’incite pas les pays en développement à adopter des règles auxquelles les investisseurs peuvent s’opposer et favorise les multinationales détenant les fonds nécessaires pour couvrir tout litige coûteux.
Les critiques surgissent surtout en Europe, où les États se trouvent obligés de limiter ce que les entreprises peuvent gagner. Joshua Karton, professeur de droit à l’Université Queen’s spécialisé en arbitrage international, affirme qu’au cours des dernières années, les causes d’arbitrage sont mieux à même de trouver un équilibre entre les intérêts des pays et ceux des investisseurs.
« Je crois que les causes récentes sont moins avantageuses pour les investisseurs », explique-t-il en prenant la cause Rusoro comme une illustration de la tendance générale. Le Venezuela a seulement été reconnu coupable d’avoir exproprié l’entreprise sans avoir dûment payé. Sur toutes les autres allégations de Rusoro, le tribunal arbitral a donné raison au Venezuela. « L’ensemble de la décision insiste sur la nécessité pour les États d’avoir une certaine marge de manoeuvre pour agir dans l’intérêt du public », conclut M. Karton.
Étant donné les coûts extraordinairement élevés des procédures de saisies commerciales, les entreprises ont tendance à miser sur la négociation pour régler un différend.
Grant Edey, président-directeur général de Khan Resources, en a fait l’expérience. En 2009, la Mongolie a annulé les permis relatifs au projet d’uranium de Khan à Dornod. Deux ans plus tard – après avoir obtenu auprès d’un tribunal mongol une décision favorable qui n’a pas été honorée – Khan a entrepris un processus d’arbitrage avec la Mongolie à Paris.
Quatre ans plus tard, une décision à hauteur de 100 millions de dollars américains a été rendue en sa faveur, soit moins de la moitié de sa réclamation initiale de 350 millions. « Après toutes les démarches que nous avons dû entreprendre, c’est une source de frustration », regrette M. Edey. Khan a approché ses actionnaires à trois occasions différentes pour recueillir des fonds destinés à financer le règlement du litige. Même après la décision en faveur de l’entreprise, la Mongolie a refusé de payer et essayé d’invalider la décision devant les tribunaux français.
Finalement, en mars, après six tournées de négociations distinctes, la Mongolie a accepté de verser 70 millions de dollars américains à Khan. M. Edey croit que le moment choisi – trois jours avant le congrès 2016 de l’Association canadienne des prospecteurs et entrepreneurs (ACPE) – n’était pas le fruit du hasard. « Ils voulaient encourager l’investissement direct. Ils avaient toutes les raisons de conclure une entente. » À la mi-mai, le solde dû a été réglé.
Traduit par CNW et Karen Rolland