Le programme RACE21 de Teck Resources Ltd ne s’est pas contenté d’accélérer la transformation numérique des activités de la société. Il a aussi entraîné des changements majeurs dans la main-d’œuvre.

En l’espace de deux ans depuis le lancement du programme, Teck a embauché plus de 300 nouveaux employés ayant des qualifications technologiques généralement peu communes dans le secteur minier. Parmi eux figuraient des scientifiques des données, des développeurs d’application, des responsables de produits et d’autres talents que l’on n’avait jamais envisagé dans l’industrie minière jusqu’à présent.

« Il y a quelques années en arrière, maîtres de mêlée et experts en intelligence artificielle (IA) de divers types ne faisaient pas partie de la liste des offres d’emploi de la plupart des sociétés minières », déclarait Dean Winsor, premier vice-président et dirigeant principal des ressources humaines (DPRH) de Teck.

Embaucher du personnel ayant de toutes nouvelles compétences a « fondamentalement changé » la façon dont Teck cherche et sélectionne ses talents, de même que la façon dont elle présente une carrière dans la société aux candidats potentiels à l’embauche, indiquait Patrick Doyle, directeur de la transformation des ressources humaines (RH) et associé des RH pour la technologie et l’innovation de la société.

« Ce groupe de talents a tendance à regrouper un public plus jeune. Leurs priorités en termes de carrière sont bien différentes », indiquait-il. « La façon dont nous abordons les futurs employés potentiels et la proposition de valeur de l’emploi que nous leur proposons tournent souvent autour de l’identité de notre société, notre but et l’impact positif que nous avons sur le monde. »

Alors que le secteur adopte toujours plus l’automatisation et les technologies numériques pour renforcer la sécurité des mines et augmenter la productivité, les sociétés minières cherchent maintenant à embaucher des talents proposant des compétences encore jamais vues dans l’industrie minière. Elles font face à une forte concurrence de la part du secteur technologique très en demande ainsi que d’autres industries en proie à leurs propres transitions technologiques.

« Notre industrie fait concurrence aux secteurs des technologies de l’information (TI) et de la programmation logicielle. Ces derniers ont déjà mené leur propre course aux talents et avaient déjà dû se distinguer en tant qu’employeurs exemplaires offrant des avantages concurrentiels ainsi qu’un mode de vie et un équilibre entre travail et vie personnelle permettant d’attirer les talents jusqu’à eux », indiquait Ryan Montpellier, directeur général du conseil des ressources humaines de l’industrie minière (RHiM).

« Pour que les sociétés minières puissent attirer ces talents, elles doivent communiquer leur proposition de valeur aux personnes qui exigent des sociétés qu’elles négocient une rémunération concurrentielle et proposent tous les autres avantages que pourraient leur offrir d’autres secteurs ».

Une demande croissante

Plus de la moitié (52 %) des directeurs d’exploitations minières à l’échelle mondiale indiquait qu’ils cherchent à recruter du personnel dans d’autres industries afin d’acquérir « les compétences nécessaires pour la mine du futur », lisait-on dans une récente étude de Ernst & Young Canada (EY Canada). Cette société de conseil identifiait la main-d’œuvre ainsi que le numérique et l’innovation comme deux des dix principaux risques et possibilités d’affaires en 2022. Elle prévoyait que le secteur aurait davantage recours à la science des données, à la modélisation et à la planification de scénarios dans les années à venir. Les personnes interrogées par EY indiquaient qu’elles prévoyaient d’accroître leurs investissements dans l’automatisation et les centres des opérations à distance.

D’après un récent billet de blogue de Deloitte, les compétences dans les domaines de l’intégration et du développement de systèmes avancés, des sciences des données, de l’habileté numérique, et de l’analyse et de l’exploitation des systèmes d’information des entreprises font partie des « nouvelles compétences principales » que recherchent les sociétés minières. Deloitte indiquait que la capacité à travailler avec l’intelligence artificielle, l’apprentissage automatique, les outils de réalité augmentée et la robotique deviendra essentielle.

Toujours d’après Deloitte, le personnel qualifié en technologies deviendra encore plus important dans un contexte où les sociétés minières tentent d’atteindre leurs objectifs de décarbonation. La société de conseil indiquait que les sociétés minières ont beaucoup à gagner d’une main-d’œuvre qualifiée et spécialisée dans l’IA, car elle les aidera à gérer la consommation d’énergie, des technologies émergentes telles que les jumeaux numériques pour les activités d’exploration et la planification sans impact sur l’environnement. Elle les aidera aussi à créer des modèles de forage et d’abattage et des prévisions de la durée de vie de la mine. « La création de jumeaux numériques, de modèles virtuels et de calendriers de travaux requiert des compétences nouvelles et uniques qui incluent un esprit critique, une visualisation des données et un processus décisionnel anticipateur basé sur l’analytique prédictive. »

M. Doyle indiquait qu’il ne s’attend pas à ce que la demande en compétences technologiques se stabilise maintenant que Teck a embauché des centaines de personnes pour le programme RACE21. « Je ne pense pas que nous avons atteint un sommet. Le besoin de compétences technologiques dans des rôles traditionnels ou non continuera de croître dans l’industrie minière. »

Mais la concurrence pour ces compétences s’échauffe. D’après Indeed Hiring Lab, les offres d’emploi pour les postes du domaine technologique tous secteurs confondus ont bondi, depuis mars 2021, de 30 % au-delà des niveaux de la période précédant la pandémie, et n’ont cessé d’augmenter. Les données relatives à l’emploi de janvier 2022 du site de recherche d’emploi ont constaté que les offres de postes dans le domaine du développement logiciel ont augmenté de 120 % par rapport aux niveaux de février 2020.

Don Duval, directeur général de NORCAT, déclarait que cette demande croissante se reproduit également dans le secteur des services et des fournisseurs miniers. De fait, la demande des sociétés minières en technologies innovantes a augmenté, et les marchés des capitaux et les investisseurs privés ont injecté des fonds dans cet espace. NORCAT s’en est tout de suite rendu compte. Son centre de recherche souterraine, où les sociétés de technologies minières peuvent tester leur technologie émergente dans un contexte minier, est devenu le secteur d’activité du centre affichant la plus forte croissance.

« L’écosystème technologique de l’offre et des services fait face à des contraintes importantes concernant les spécialistes en sciences des données, les développeurs de logiciels, les personnes qui comprennent l’IA et l’analytique des mégadonnées, la télémétrie et le logiciel en tant que service », indiquait M. Duval, ajoutant que ces sociétés ont considérablement renforcé leurs modèles de rémunérations et ont fait preuve de créativité en ce qui les concerne afin d’attirer et de préserver les talents dont ils ont besoin.

Devenir compétitifs

Les sociétés minières et les fournisseurs ont adopté des approches différentes pour rendre leurs offres plus intéressantes auprès des nouveaux employés spécialisés dans la technologie.

Chez Hard-Line Solutions, une société basée à Dowling, en Ontario, le président Walter Siggelkow expliquait que la société d’automatisation des technologies minières avait changé son approche envers la rémunération et les avantages ces dernières années, car la concurrence s’était intensifiée.

« Ce ne sont pas des mineurs que [nous] embauchons, aussi nous avons dû comparer nos salaires à ceux d’autres secteurs. Notre choix repose [aussi] davantage sur les compétences de la personne, et non plus uniquement sur l’endroit où elle vit », indiquait-il. « Nous avons dû revoir les salaires avec bien plus d’attention ces dernières années… On ne peut plus se contenter de s’asseoir à la table des négociations et d’annoncer au candidat ou à la candidate à ce poste qu’on l’embauche, et que le salaire s’élève à tant. Les pratiques ont changé aujourd’hui. »

La société a également modifié sa politique de congés, afin de refléter un désir croissant de la main-d’œuvre de disposer de davantage de temps libre. Hard-Line avait pour habitude d’accorder deux semaines de congé aux nouveaux employés, puis d’augmenter ces congés à trois semaines après cinq années dans la société. M. Siggelkow indiquait qu’il négociait désormais davantage de congés payés dès la phase d’embauche.

Hard-Line autorisait le travail à distance bien avant la pandémie afin d’attirer des personnes qualifiées. Une approche nécessaire, selon M. Siggelkow, car nombre des candidats potentiels ne souhaitaient pas venir s’installer dans le nord de l’Ontario. La société compte désormais des employés travaillant à distance sur tout le territoire canadien, et à partir de contrées aussi lointaines que Salt Lake City en Utah, Lima au Pérou ou encore Santiago au Chili.

Le travail à distance et flexible est une difficulté que l’industrie va devoir apprendre à surmonter, indiquait M. Doyle. D’après une étude d’octobre menée par Angus Reid pour le compte de Cisco Canada, légèrement plus des trois quarts des employés canadiens (77 %) indiquent que la flexibilité en termes de lieu et d’horaires de travail aurait une influence directe sur leur décision de maintenir ou non leur emploi.

« Les sociétés purement spécialisées dans le numérique proposent de nombreuses autres options de travail totalement à distance, plus que ce que l’industrie minière ne pourra jamais proposer pour être suffisamment à l’aise », ajoutait-il. « Notre approche à l’emploi est flexible, mais nous observons une plus grande flexibilité dans d’autres secteurs par rapport au secteur minier. La flexibilité fait partie des critères auxquels les talents du numérique accordent une grande valeur. »

Dépeindre une nouvelle image

Pour promouvoir une carrière dans l’industrie auprès d’un nouveau type de candidats, il a aussi fallu anticiper au niveau du recrutement et clairement mettre en avant la possibilité de faire changer les choses dans le secteur minier.

« Nous avons eu nombre de débats sur la transition de la narration traditionnelle des sociétés minières vers une narration axée sur les objectifs, [et] sur la façon dont nous pouvons attirer une génération de personnes souhaitant s’identifier au bien collectif », indiquait Janine Nel, associée de Deloitte Canada et conseillère spécialisée pour la région des Prairies. D’après la Global 2021 Millennial and Gen Z Survey de Deloitte (l’étude mondiale 2021 de Deloitte sur les générations Y et Z), la moitié des personnes interrogées dans les deux groupes d’âge (44 % et 49 % respectivement) ont fait des choix au cours des deux dernières années concernant le type de travail qu’elles souhaiteraient faire ou les organisations pour lesquelles elles accepteraient de travailler conformément à leur éthique personnelle.

Kyle Lebofsky, préposé à l’acquisition de talents à Mines Agnico Eagle, expliquait que la société a commencé à contacter des candidats, dans le cadre d’une démarche anticipatrice, alors qu’elle commence à embaucher des spécialistes en sciences des données et des analystes des données. La société a dû redoubler d’efforts pour embaucher pour ces postes, ce que M. Lebofsky attribuait en partie à la concurrence dans un marché du travail très tendu, mais aussi au fait que ces postes sont relativement nouveaux pour l’industrie. « Devoir nous tourner vers d’autres industries pour trouver les profils adaptés à notre offre nous a contraints à faire preuve de plus d’initiative et a compliqué notre tâche à cet égard. »

Une grande partie des efforts de recrutement de la société consistaient à démentir les images obsolètes qu’avaient les candidats de l’industrie minière, indiquait M. Lebofsky, ajoutant qu’il s’attend à ce que cela devienne une priorité pour l’ensemble de l’industrie.

« Ce n’est pas uniquement d’un point de vue technologique. Certaines idées préconçues sur notre industrie prévalent, et elles ne reflètent pas nécessairement la réalité », indiquait-il. « Nous devons nous efforcer de sensibiliser davantage la société, d’éliminer ces perceptions et de mettre en avant les projets intéressants et l’évolution de l’industrie. »

Les salons de l’emploi et du recrutement organisés par Agnico s’adressaient à d’autres industries. La société a organisé des présentations sur les engagements de l’industrie en matière d’environnement et sur la place des femmes dans les sciences, indiquait Natalie Frackleton, directrice des communications externes d’Agnico. « Nous essayons d’identifier des événements en dehors de l’industrie minière où nous pouvons aussi nous positionner. »

M. Doyle indiquait que lorsque Teck a commencé à recruter pour le programme RACE21, son équipe a également contacté des candidats ayant des compétences recherchées dans le numérique ainsi que des associations industrielles, des universités et d’autres groupes. La société a par ailleurs commencé à organiser des hackatons (des marathons de programmation) afin de réunir des talents en vue de résoudre des problèmes tout en présentant son programme et en identifiant des candidats potentiels.

« Nombre des personnes possédant les compétences que nous recherchons pensent en premier lieu à Google, Facebook et Microsoft comme employeurs. Nous essayons de leur faire découvrir l’industrie minière quand nous collaborons avec des universités et participons à des hackatons », ajoutait-il.

Si Teck a quelque peu modifié son offre d’avantages sociaux dans le contexte de la pandémie de COVID-19 et face à des conditions de marché du travail toujours plus tendues, la société considère « très concurrentielle » son offre de rémunération dans le monde de la technologie. Teck a concentré la plupart de ses efforts de recrutement sur les objectifs de la société et sur le rôle croissant de la technologie pour gérer l’incidence sur l’environnement des activités minières et pour atteindre d’autres objectifs de durabilité.

« Ce que nous offrons à nos futurs candidats, ce n’est pas uniquement de prendre part à la transformation de notre organisation, mais à celle de l’ensemble de l’industrie, de nos objectifs et de nos valeurs », concluait M. Doyle. « C’est ce qui fait, selon moi, la véritable différence [pour] les talents que nous parvenons à attirer vers notre industrie. »

Traduit par Karen Rolland