Le complexe minier Twin Creeks de Newmont. Avec l'aimable autorisation de Roussos Dimitrakopoulos
« C'est la vision du futur. Et nous y sommes presque », déclarait Larry Allen, directeur principal de l'estimation des ressources de Newmont Mining. « Dans les trois à cinq années à venir, c'est ainsi que nous mènerons nos activités. »
De son bureau à Denver dans le Colorado, M. Allen nous expliquait la planification stochastique des mines. Newmont, l'une des rares sociétés menant des recherches dans ce domaine, a récemment testé la méthode d'ordonnancement de pointe dans son complexe d'exploitation aurifère Twin Creeks, dans le Nevada. Pour un plan de mine optimisé de manière stochastique, c'est-à-dire un plan qui, plutôt que d'utiliser des valeurs moyennes, se fonde sur l'intégralité des données simulées dans le corps minéralisé générées dans un projet donné pour l'optimisation et l'ordonnancement, le résultat final pourrait être très concluant. D'après les chercheurs de l'université McGill, on observera une augmentation potentielle de 4 à 9 % de la valeur actualisée nette du complexe minier Twin Creeks en ayant recours à un processus d'optimisation stochastique, qui intègre la mine à la chaîne de valeur du produit, et non à un processus déterministe classique.
Newmont fait partie d'un consortium industriel (dont sont également membres Barrick, BHP Billiton, Vale, AngloGold Ashanti, De Beers et Kinross) qui soutient le laboratoire de planification stochastique des mines COSMO de l'université McGill depuis son lancement en 2006. Le laboratoire COSMO, dirigé par le professeur Roussos Dimitrakopoulos, est à l'avant-garde des efforts visant à développer et mettre en œuvre les processus de planification stochastique des mines dans différentes exploitations aux quatre coins du monde.
« Les optimiseurs dont nous disposons utilisent des blocs miniers à valeur unique », expliquait M. Dimitrakopoulos. « Ils ne peuvent pas utiliser plus de valeurs, ni [toutes] les informations qui sont générées lorsque l'on produit des simulations à partir des teneurs et des types de matériaux ou des propriétés géométallurgiques. Si l'on veut que les choses avancent, il faut déterminer comment réécrire les optimiseurs existants afin d'exploiter au mieux diverses données qui quantifient le risque, et mettre en œuvre l'optimisation simultanée de tous les éléments des complexes miniers, des mines aux produits. »
Si l'on observe de manière holistique tous les corps minéralisés possibles générés durant la phase de simulation, l'optimisation stochastique étudie tous les différents scénarios et trouve un plan de mine qui sera avantageux, quelle que soit la simulation d'un corps minéralisé qui s'avère être la plus proche de la réalité. En tenant compte de l'incertitude dans chaque bloc minier, expliquait M. Dimitrakopoulos, les programmateurs de la planification stochastique peuvent ainsi se rapprocher des objectifs de production prévus, minimiser les risques liés au projet et accroître la valeur économique grâce à un séquençage plus performant.
Informations imparfaites
Comme avec les méthodes déterministes, l'optimisation stochastique se fait en deux étapes. En premier lieu, le corps minéralisé doit être modelé. Les données tirées des carottes de sondage (extraites environ tous les 30 mètres) sont envoyées vers un logiciel de modélisation stochastique des corps minéralisés, qui intercale les mesures entre les trous de forage pour générer des histogrammes individuels comparant les teneurs (distribution des valeurs possibles des teneurs du minerai) pour chaque bloc minier d'environ 10 mètres cubes (m3) représentant le corps minéralisé. Les bons modèles établiront des connexions spatiales et structurelles entre les blocs miniers, ce qui donnera lieu à des distributions qui dépendent des teneurs (les teneurs trouvées dans un bloc dépendent des teneurs trouvées dans le bloc voisin). L'histogramme des teneurs de chaque bloc minier est ensuite sondé de manière aléatoire et la collecte d'échantillons de tous les blocs miniers du gisement génère un scénario simulé. Différents scénarios sont générés en répétant cette procédure. La génération de 15 à 20 simulations crée une large gamme de scénarios possibles pour les corps minéralisés qui quantifient l'incertitude dans tous les attributs intéressants d'un gisement (teneurs, types de matériau, attributs géométallurgiques, autres).
Malgré la simulation de 15 à 20 scénarios géologiques possibles, certaines sociétés minières (dont Newmont, jusqu'à présent) ont été contraintes de choisir un seul scénario « de type moyen » (ou estimé) sur lequel fonder la planification de la mine et les prévisions en matière de production. Il s'agit du modèle de gisement minéral, qui constitue la principale contribution au processus d'optimisation de la planification traditionnelle ou déterministe des mines. Les sociétés minières peuvent utiliser cette série de scénarios pour imposer des limites et des niveaux de confiance quant aux prévisions relatives à la production de n'importe quel plan de mine et calendrier de production sur toute la durée de vie de la mine. L'intégration de la série complète de scénarios simulés à l'étape de l'optimisation et de l'ordonnancement n'était pas envisageable il y a quelques temps.
Avec l'intégralité des valeurs des teneurs de toutes les simulations, expliquait M. Dimitrakopoulos, « on peut comprendre, grâce aux nouvelles formulations que l'on a développées, comment associer les blocs miniers de manière à atteindre les objectifs de production et avoir de bonnes chances que ces résultats se concrétisent ». L'optimisateur stochastique génère des calendriers qui gèrent l'incertitude en « mélangeant » les valeurs économiques de chaque bloc avec la probabilité que ces valeurs se concrétisent. Pour simplifier, les blocs présentant une plus grande certitude sont exploités durant la même période que les blocs présentant une certitude moindre, de manière à ce que la teneur moyenne extraite et traitée pendant chaque période reste proche des objectifs.
Si cette méthode fonctionne ici...
Le cas de Twin Creeks visait à prouver la valeur et la faisabilité de cette méthode dans un cas de figure complexe et bien réel. Le complexe minier comprend deux gisements ayant des géologies différentes (minerai sulfuré et minerai oxydé), des piles de stockage avec 22 différents mélanges sulfurés et des apports à l'usine de trois sources externes. Le minerai sulfuré est traité dans un autoclave dans des conditions de mélange très stricts pour trois composés trouvés dans le minerai (soufre ayant formé les sulfures, minéral carbonaté et carbone organique), et le minerai oxydé est entassé ou envoyé vers un concentrateur ou une solution oxydée de lixiviation. La société peut également ajouter des agents réactifs pour aider à satisfaire les exigences en matière de mélange dans l'autoclave, mais elle est soumise à des limites opérationnelles imposées par la loi concernant la quantité d'acide qu'elle peut utiliser. Les deux fosses partagent le même équipement, aussi l'extraction de chaque bloc dans l'une des fosses se fait aux dépens d'un bloc dans l'autre fosse. Avec un tel niveau de complexité, de petites différences dans les apports véritables au processus peuvent se traduire par des répercussions considérables sur la production.
« La façon dont nous fonctionnons ces dernières années est devenue de plus en plus complexe en raison des mélanges exigés de différents éléments de géochimie », expliquait M. Allen. « Il est devenu primordial de trouver des moyens d'optimiser. »
Soutenus par une subvention de 2,5 millions $ du conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (CRSNG) et un financement de sept partenaires industriels, M. Dimitrakopoulos et son équipe de diplômés et de chercheurs du laboratoire COSMO à l'université McGill ont associé les données des trous de forage de 2013 à des simulations de modèles de corps minéralisés de Twin Creeks de Newmont. Plus d'un million de blocs miniers dans les modèles représentaient 200 millions de verges cubes (vg³) de matériaux dans les domaines minéralisés des deux fosses. « Newmont a simulé les quatre éléments présentant un intérêt [les trois composés importants pour l'autoclave et l'or], et ces 20 simulations », qui totalisaient plus d'un gigaoctet de données sur les corps minéralisés, « correspondent à ce que nous avons utilisé comme apport pour l'optimisation du complexe minier », indiquait M. Dimitrakopoulos. « Étant donné les différences au niveau de l'hétérogénéité des matériaux qui traversent la séquence minière dans le complexe, nous avons pu optimiser le mélange et les destinations de manière à ce que ce qui est envoyé vers l'autoclave dispose de la bonne proportion de chacun des composés, optimisant ainsi la production d'or. »
...elle fonctionnera ailleurs
Twin Creeks est en exploitation depuis les années 1980, aussi elle est limitée à la forme existante de ses fosses et aux matériaux actuellement stockés. Les nouvelles mines verraient des avantages encore plus importants à l'optimisation stochastique. Mais ce cas type prouve que Twin Creeks a encore devant elle de nombreuses possibilités. « Nous espérons bien évidemment mettre à profit les résultats des recherches », indiquait M. Allen. « Les résultats de ce cas type indiquerait le potentiel à générer une valeur additionnelle pour le gisement, ce qui est indéniablement une possibilité à exploiter. Ce cas a également identifié les possibilités en matière de mise en stock qui pourrait nous offrir un meilleur mélange. »
L'étape suivante, ajoutait-il, consistera à commencer à développer et à utiliser en interne cette approche en fonction des besoins propres à Newmont. « Il suffit simplement de s'approprier les outils », indiquait M. Allen, ajoutant qu'il est plus facile de le dire que de le faire. « L'optimisateur stochastique est la partie la plus complexe à développer », expliquait-il, « de la conception et la dérivation des mathématiques et des méthodes aux algorithmes de résolution, aux méthodes informatiques et à la numérisation ». À terme, l'objectif est de placer cette fonctionnalité entre les mains des planificateurs actuels des mines, de façon à ce que les autres personnes chargées des plans de mines puissent simplement utiliser une autre méthodologie.
« La modélisation et la planification stochastiques ont [déjà] fait leurs preuves et montrent qu'elles offrent de plus grands avantages et davantage d'informations », déclarait M. Allen. « Nous devons maintenant mener une analyse détaillée de ces résultats, les comparer aux méthodes que nous utilisions jusqu'à présent, et plaider en leur faveur. Ces résultats montreront qu'il existe des avantages certains à adopter la planification stochastique des mines. »