Ryan Montpellier. Avec l’aimable autorisation du RHiMAvec l’aimable autorisation du RHiM

Ryan Montpellier a plus de 15 ans d’expérience dans l’identification et la gestion des ressources humaines et des difficultés propres au marché du travail dans l’industrie minière canadienne. Nommé directeur général du conseil des ressources humaines de l’industrie minière (RHiM) en 2008, il dirige toutes les activités stratégiques du conseil et le représente au sein de divers comités de l’industrie et du gouvernement ainsi que des groupes consultatifs. Il a reçu le prix Jeunes leaders canadiens du secteur minier ICM-Bedford et a été éminent conférencier de l’ICM.

En octobre 2023, le RHiM publiait un rapport intitulé « De la salle de classe à la mine : examen des possibilités d’études postsecondaires dans le secteur minier au Canada », ainsi que les résultats d’une étude sur les perceptions et l’intérêt des jeunes Canadiennes et Canadiens quant à une carrière dans le secteur minier. L’équipe du CIM Magazine s’est entretenue avec M. Montpellier pour en savoir plus quant aux résultats obtenus par le RHiM et aux solutions qu’il recommande face aux difficultés identifiées par ces initiatives.

L’ICM : Pouvez-vous nous communiquer certains des facteurs qui ont une incidence sur la pénurie de main-d’œuvre actuelle dans l’industrie minière canadienne ?

M. Montpellier : Beaucoup de facteurs contribuent à ce contexte extrêmement tendu du marché du travail en ce moment. Le premier est que les niveaux d’emploi dans l’industrie minière affichent une tendance à la hausse ces deux dernières années. Ils ont augmenté de 40 % depuis 2022, et des emplois sont ajoutés dans tous les sous-secteurs, pas seulement l’extraction, mais aussi dans les services d’appui au secteur minier, la minéralurgie et l’affinage, les minéraux primaires et la fabrication des métaux.

Il est important de noter que la croissance de l’emploi ne tient pas encore compte de la forte hausse de l’investissement dans les minéraux critiques dans le pays. À l’automne 2023, Ressources Naturelles Canada (RNCan) publiait une liste de grands projets en préparation (en cours de développement avancé ou en construction) pour les 10 années à venir. En outre, les nouveaux projets miniers équivalent à près de 100 milliards de dollars. Si tous ces projets ne se transforment pas en mines, nombre d’entre eux le deviendront, et beaucoup sont déjà en cours de construction. Lorsque ces nouvelles mines entreront en service, le besoin d’emploi dans l’industrie sera démultiplié.

Dans un premier temps toutefois, sur le plan de l’offre, le chômage est extrêmement bas. Le taux de chômage dans l’industrie minière canadienne se situe à environ 1,6 %. Quelque 10 000 postes ne sont pas pourvus, aussi nous ne sommes pas en mesure d’assurer aujourd’hui la relève de la main-d’œuvre. Ces facteurs créent une véritable tempête de forte demande et de forte croissance à une époque où la main-d’œuvre actuelle vieillit et quitte le secteur (environ une personne sur cinq dans notre industrie est âgée de plus de 55 ans, et nous allons assister à un départ massif lorsque les besoins seront à leur comble). En outre, le vivier de talents qui, autrefois, garantissait la disponibilité de la main-d’œuvre pour l’industrie minière, n’est plus intéressé par les carrières que propose ce secteur.

L’ICM : Le RHiM a récemment mené une étude auprès des jeunes Canadiennes et Canadiens afin d’évaluer leurs perceptions des carrières dans le secteur minier. Pouvez-vous m’en dire davantage sur les résultats de cette étude ?

M. Montpellier : En 2020, le RHiM a fait appel à Abacus Data pour mener un sondage auprès de 3 000 jeunes Canadiennes et Canadiens âgés de 15 à 30 ans pour savoir ce qu’ils pensaient des carrières dans l’industrie minière. En août et septembre 2023, nous avons réitéré le sondage, cette fois-ci avec un échantillon plus restreint de 1 500 étudiantes et étudiants, mais venant de toutes les régions du pays, rurales et urbaines, nord et sud. L’objectif était de mieux comprendre ce que pensaient les jeunes des carrières dans le secteur minier, notamment par rapport aux autres industries, et ce qui motive leurs décisions en matière d’orientation professionnelle.

Les résultats ont apporté des bonnes et des mauvaises nouvelles. La mauvaise nouvelle est que seulement 27 % des jeunes interrogés ont une vision positive du secteur minier. Les 73 % restant avaient une vision négative, très négative ou neutre de l’industrie minière. En comparant leurs impressions sur le secteur minier par rapport à plusieurs autres secteurs, tels que la haute technologie, la construction, les services financiers, les transports, la fabrication, les soins de santé ainsi que le secteur pétrolier et gazier, l’industrie minière arrivait tout en bas de la liste.

Le sondage montrait également que l’idée que se font les jeunes de l’industrie est très désuète et inexacte. Lorsqu’on leur demandait quels termes ils associaient avec le secteur minier, les 10 premiers comprenaient notamment « dangereux », « sale », « travail difficile » et « charbon ». Le manque de sensibilisation aux carrières dans le secteur minier est flagrant. La plupart des enfants n’ont pas grandi dans une ville minière, et ils ne sont pas confrontés à l’exploitation minière au quotidien.

Après avoir creusé un peu plus profondément, et après leur avoir demandé ce qu’ils pensaient spécifiquement du secteur, ils nous ont répondu que pour eux, le secteur minier était intéressant en termes de rémunération et d’avantages, d’emplois convenables offrant de bonnes perspectives d’avancement professionnel, mais que ce métier était également dangereux et n’offrait pas de bon compromis entre la vie privée et la vie professionnelle. Nous avons passé les 30 à 40 dernières années à rendre plus sûr le secteur minier dans ce pays, et je dirais que le Canada est un chef de file mondial en termes de sécurité dans les mines. Toutefois, ce message n’est pas clair en dehors de l’industrie.

Les données issues du sondage étaient très instructives, et nous ont aidés non seulement à identifier la place du secteur minier vis-à-vis d’autres secteurs, mais aussi les obstacles spécifiques qui empêchaient les jeunes d’envisager une carrière dans cette industrie. Nous devons transmettre un message différent, dissiper ces perceptions et stéréotypes négatifs, et établir le lien entre ce qu’offre réellement l’industrie minière et les choix professionnels qui existent dans l’industrie pour attirer davantage de jeunes dans des villes telles que Toronto, Montréal, Ottawa et Vancouver [qui participent à l’activité minière] afin de replacer ce secteur comme une industrie de l’avenir.

L’ICM : Pourquoi le RHiM a-t-il décidé d’examiner la filière de l’enseignement postsecondaire au Canada pour le secteur minier, et quelles grandes difficultés les cursus universitaires dans ce domaine rencontrent-ils actuellement ?

M. Montpellier : Nous souhaitions mener une évaluation plus méthodique du système actuel d’enseignement postsecondaire au Canada, et déterminer s’il répond ou non aux besoins de l’industrie. Nous avions observé des tendances alarmantes en ce qui concerne le déclin des inscriptions, et voulions approfondir l’origine de ces tendances afin de mieux comprendre le moteur du changement, et l’ampleur des difficultés. Il s’agit, je pense, de la première recherche approfondie sur le sujet. En tout cas, c’est une première pour le RHiM.

Le plus grand enseignement à retenir est que les programmes miniers au Canada sont de petite envergure en comparaison des autres programmes [hors secteur minier], et qu’ils s’amenuisent à un rythme effrayant.

Pour vous donner un exemple, dans les 10 universités qui proposent des cursus de génie minier, l’inscription a baissé de 50 % depuis des inscriptions records en 2014. Nous observons des tendances similaires dans les cursus des sciences de la Terre et des techniciens miniers, qui ont toujours été la source principale de main-d’œuvre qualifiée pour l’industrie minière. Ces petits programmes diminuent non seulement rapidement, mais les étudiantes et étudiants sont souvent inscrits à ces programmes car ils n’ont pas été admis dans les programmes qu’ils avaient choisis initialement. Ainsi, le domaine minier est leur deuxième ou troisième choix, et ils optent pour le génie minier car ils n’ont pas été admis en cursus de génie civil, électrique ou mécanique.

La déconnexion entre la demande de l’industrie et les inscriptions à ces cursus universitaires est aussi très alarmante. Ces trois ou quatre dernières années, on a constaté une forte augmentation de la demande en diplômés en génie minier. Malheureusement, les inscriptions à ces programmes n’ont pas suivi.

En outre, le fonctionnement de ces programmes est coûteux, et certains tournent avec un nombre d’étudiants inférieur à 50 % de la capacité normale. Ce n’est qu’une question de temps avant que les universités ne décident qu’il n’est plus possible de poursuivre ces cursus. L’université Dalhousie a déjà mis fin à son programme de génie minier. Cette année sera malheureusement la dernière pour les étudiantes et étudiants de ce programme. Notre préoccupation est que d’autres programmes de génie minier emboîtent le pas à cette université, ce à quoi nous ne souhaitons vraiment pas assister.

L’ICM : Que recommande le RHiM pour faire face aux difficultés mises en exergue dans le rapport et par le sondage auprès des jeunes ?

M. Montpellier : Le RHiM prend de nombreuses mesures pour y faire face, notamment la campagne « Nous avons besoin de l’industrie minière. L’industrie minière a besoin de vous ». Le site Internet de la campagne regorge de ressources telles que des guides sur les carrières, des profils de carrière et des vidéos qui présentent l’industrie minière moderne dans nos communautés. Nous voulons dissiper certains mythes associés à l’industrie minière, par exemple en mettant en avant l’incidence positive de l’industrie minière sur la transition vers une économie à faibles émissions de carbone, le besoin en minéraux critiques pour cette économie, ainsi que l’excellent bilan de santé et sécurité de cette industrie, qui est incontestablement plus brillant que celui de nombreux autres secteurs dans le pays. Cette campagne vise à offrir des informations contemporaines et précises concernant les carrières dans l’industrie minière canadienne, et à transmettre aux jeunes les véritables perspectives.

Nous avons mis en œuvre d’autres programmes visant spécifiquement à soutenir les jeunes, notamment le programme Ambassadeur des carrières, en partenariat avec l’ICM, qui consiste à faire intervenir des dirigeants de l’industrie dans les salles de classe pour parler de l’industrie minière moderne, et de leur fournir les bons outils pour y parvenir.

En 2023, le RHiM a octroyé plus de 2 millions de dollars aux facultés afin qu’elles proposent des bourses dans l’espoir d’attirer des étudiantes et étudiants dans des programmes d’enseignement postsecondaire dans le domaine minier. Le RHiM propose aussi des subventions salariales, au travers notamment de son initiative Équiper la relève, qui aide les employeurs à embaucher des étudiantes et étudiants dans le cadre d’alternance travail-études dans des domaines relatifs à l’industrie minière au travers de possibilités d’apprentissage intégré en milieu de travail.

L’industrie minière a la possibilité de mobiliser une main-d’œuvre plus diversifiée. Il faut faire évoluer la culture et les pratiques de l’industrie pour éliminer certains des obstacles et pour rendre l’industrie plus attrayante pour les femmes, les nouveaux citoyens canadiens, les personnes handicapées, les personnes de couleur. Ce sont des difficultés auxquelles est confrontée notre industrie aujourd’hui. Pourtant, quand on étudie les données relatives aux inscriptions à des cursus postsecondaires en lien avec le domaine minier, seulement 15 % ou 16 % des étudiantes et étudiants inscrits dans le génie minier sont des femmes. Nous faisons fausse route si nous pensons pouvoir tout à coup attirer des centaines de femmes en génie minier. Elles ne choisissent tout simplement pas ces cursus d’études. Nous devons commencer bien plus en amont pour bâtir une filière de talents diversifiés, de manière à attirer une main-d’œuvre plus variée. Une partie des objectifs de nos diverses initiatives consistent à faire face aux divers problèmes rencontrés dans la filière de talents, de manière à détecter les causes originelles plus tôt.

En 2024, l’un des objectifs du RHiM sera de rendre opérationnelle la campagne « Nous avons besoin de l’industrie minière. L’industrie minière a besoin de vous » afin d’obtenir l’appui et le soutien de l’industrie, et de mettre au point une stratégie pancanadienne pour collaborer plus étroitement afin d’élargir le réservoir de main-d’œuvre au niveau de l’industrie. Ces initiatives sont pour moi la solution. Si nous parvenons à attirer plus d’étudiantes et d’étudiants dans les salles de classe, la filière de talents s’élargira et se renforcera et, en fin de compte, le réservoir de main-d’œuvre sera plus fort.

Un effort de collaboration plus intense de la part de l’industrie est nécessaire pour attirer la prochaine génération de main-d’œuvre du secteur minier dans ce pays. Les sociétés minières doivent intensifier et soutenir plus largement les efforts de l’industrie afin d’attirer davantage de personnes dans les carrières du secteur minier. À terme, les salles de classe des programmes universitaires dans le domaine minier se rempliront, et les sociétés pourront se distinguer en tant qu’employeurs privilégiés et se tailler une place de choix dans le réservoir de main-d’œuvre. Ce n’est pas quelque chose que le RHiM, l’ICM, la Prospectors and Developers Association of Canada (PDAC, l’association canadienne des prospecteurs et entrepreneurs) ou les associations minières peuvent faire seuls.

Traduit par Karen Rolland