Nicholas Brereton

Nicholas Brereton, spécialiste en biologie végétale à l'université de Montréal, s'intéresse aux aspects scientifiques servant de base à la phytoremédiation, un procédé de décontamination des sols utilisant certains végétaux (notamment les saules) qui supportent et éliminent facilement les métaux lourds et les hydrocarbures de certains sites contaminés. L'équipe du CIM Magazine s'est entretenue avec M. Brereton quant à cette initiative pluridisciplinaire et au potentiel révolutionnaire de la nature pour assainir les sols et l'eau à peu de frais.

L'ICM : Pour quelles raisons vous êtes-vous intéressé aux applications pratiques des végétaux ?

Brereton : J'ai grandi à Stoke-on-Trent, près de Manchester, au Royaume-Uni. J'ai obtenu mon doctorat à l'Imperial College London, où je dirigeais un centre d'analytique de la biomasse comptant diverses cultures, notamment des graminées et des arbres à croissance très rapide ; c'est ce qui m'a poussé à m'intéresser aux saules. Plus tard, j'ai travaillé à Rothamsted Research, la plus ancienne école d'agriculture au monde. Mes travaux à l'école portaient notamment sur la culture d'arbres dans du sable, un environnement extrêmement complexe qui nous apprend à comprendre les principes fondamentaux de ce dont toute vie a besoin pour se développer.

L'ICM : En quoi les saules peuvent-ils contribuer à l'assainissement des sites contaminés ?

Brereton : L'Amérique du Nord et le monde entier sont parsemés de pans entiers de friches industrielles où rien ne pousse, et ces terres sont très difficiles à assainir. En général, on les laisse telles quelles. Les saules sont incroyablement tolérants ; en grande quantité, ils sont capables d'absorber une grande partie du métal contenu dans le sol, et peuvent parfois l'immobiliser. Ce sont des arbres difficiles à endommager et qui poussent très rapidement.

L'ICM : Vous avez passé beaucoup de temps à essayer de comprendre la façon dont les saules interagissent avec les bactéries, les champignons et d'autres organismes dans leur environnement proche pour nettoyer les hydrocarbures et les métaux lourds. D'après vous, que se passe-t-il sous terre ?

Brereton : L'action chimique qui permet aux saules de tolérer la plupart de ces polluants est encore un grand mystère pour nous. Environ un cinquième des organismes que j'ai trouvés sous terre et qui interagissent avec les racines des saules sont inconnus du monde scientifique. Nous suspectons que des éléments tels que les champignons et les bactéries du sol produisent des substances chimiques contribuant à la dégradation des hydrocarbures, par exemple, et au fil du temps échangent et reformulent l'azote en une forme que les saules peuvent assimiler. En retour, les saules fournissent du sucre aux champignons.

L'ICM : Comment peut-on tirer parti des plantations de saules sur un site contaminé ?

Brereton : Sur un site, le rendement de ces arbres à croissance rapide peut être très élevé sur une courte période. Les saules absorbent une grande quantité d'eau, de l'ordre de cinq à dix millions de litres par hectare et par an. L'une de mes premières découvertes est que nous pouvons tirer parti de tout ce bois et l'utiliser pour créer une bioénergie propre et durable, notamment du bioéthanol. Les arbres sont composés de 70 % de sucre, ce qui correspond à une énergie pratiquement pure ; le sucre est la ressource de base pour toute sorte de microbe que l'on souhaite développer, ou pour la fermentation dans la fabrication du bioéthanol. Par ailleurs, cet arbre a développé une chimie très complexe ; il produit et exsude environ 8 000 substances chimiques qui lui permettent de manipuler l'environnement pour survivre. Nous pouvons en extraire certaines pour les vendre ; et je parle de substances chimiques non polluantes tels que des antioxydants et des huiles essentielles. On peut prendre la décision d'améliorer nos terres d'un point de vue environnemental, et également d'en tirer des substances chimiques non polluantes ainsi qu'une bioénergie potentiellement renouvelable. Pour les terres qui sont depuis des décennies à l'état de friches industrielles, on peut aussi générer des forêts verdoyantes. Dans cette perspective, nous réunissons de nombreuses disciplines scientifiques.


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L'ICM : Vous indiquez qu'il s'agit de plantations à croissance rapide. Qu'entendez-vous par rapide ?

Brereton : En fonction du type de saule, ces arbres peuvent atteindre de cinq à six mètres de haut. Notre objectif est de cultiver 15 tonnes par hectare et par an dans nos plantations et de les récolter tous les trois ans. Nous possédons de nombreuses variétés résistantes au froid, ce qui est également très utile.

L'ICM : Pouvez-vous nous indiquer l'approche qu'adoptera typiquement une société pour utiliser des plantations de saules sur un site ?

Brereton : Il existe deux approches différentes pour cultiver des saules sur des terres très mal entretenues, souvent contaminées par des hydrocarbures ou des métaux. La plupart de ces terres sont laissées en jachère car la stratégie visant à les nettoyer consiste généralement « à creuser et à déverser » [à savoir à creuser un sol contaminé et à le déverser en dehors du site], une pratique très coûteuse. Ainsi, l'une des stratégies consiste à planter sur ces terres. L'autre approche consiste à se débarrasser des eaux usées, par exemple celles issues des bassins de décantation des résidus. L'une des façons d'y parvenir est de procéder à l'écoulement goutte à goutte des résidus dans la plantation de saules, qui captera pratiquement l'intégralité des polluants afin qu'ils soient potentiellement éliminés au moment de la récolte.

L'ICM : Comment peut-on introduire une plantation de saules sur un site ?

Brereton : Nous plantons simplement des bouts de tige, que l'on enfonce dans le sol. La tige doit ensuite créer des couverts et développer des racines. Si le site est vraiment pollué, la première année est le moment le plus critique. C'est la raison pour laquelle, dans la plupart de ces friches industrielles, on ne verra souvent croître que quelques broussailles. Les forêts ne se propagent pas naturellement dans ces environnements ou sur des sols trop mal entretenus. Cependant, si les racines du saule se fixent dans le sol, on peut voir apparaître ce genre d'environnement, qui se développera bien.

L'ICM : Quels végétaux autres que les saules s'avèrent prometteurs pour une utilisation sur des sites assainis ?

Brereton : Les fétuques, des graminées, absorbent les métaux. L'un de mes étudiants en doctorat mène actuellement une expérience avec de l'arsenic présent dans l'eau et le sol ; il les place en condition de stress pour quantifier leur capacité à survivre dans des environnements extrêmes. La biologie interne de cette graminée a la capacité de tolérer de très hautes concentrations de métaux, de l'ordre de 100 fois plus que toute autre plante.

L'ICM : Comment explique-t-on que des graminées tels que la fétuque ou des arbres tels que les saules aient évolué de manière à tolérer des toxines qu'aucune autre forme de vie ne supporte ?

Brereton : Un saule se développant dans un sol très contaminé semble mieux se défendre contre les attaques de pucerons ou de tétranyques, ce qui explique son rendement si élevé. Les insectes détestent toutes ces substances chimiques toxiques. Les végétaux tels que les fétuques utilisent les métaux pour devenir rebutants pour les nuisibles qui essaient de les ronger.

L'ICM : Pouvez-vous me parler de l'un des projets sur lequel vous travaillez ?

Brereton : L'un de nos projets porte sur le lixiviat d'un site d'enfouissement ; il s'agit de l'un des polluants les plus diversifiés, qui renferme toutes sortes de choses peu ragoûtantes. Nous travaillons également sur un projet partagé à Shanghai, une ville où environ 95 % des quartiers dépassent les seuils autorisés en matière de concentration en zinc dans le sol. Là-bas, les essais sont menés sur un seul hectare de terrain ; il s'agit uniquement d'une plantation destinée à la recherche. Nous avons récemment obtenu un nouveau financement du Québec et du gouvernement chinois pour mener davantage de recherches ; le potentiel semble important en Chine, où la pollution constitue un problème urgent.

L'ICM : Je suppose qu'il existe différentes sortes de saules. Certains sont-ils plus adaptés que d'autres à des tâches spécifiques ?

Brereton : Absolument. On compte environ 400 espèces de saules, mais il existe différentes variétés ; un génotype peut être adapté à la production d'antioxydants ou à celle d'huiles essentielles ; certains saules sont exceptionnels pour la production de biocombustibles, d'autres absorbent divers polluants. Certains deviendront gigantesques, d'autres moins.

L'ICM : Quelles sont les perspectives d'augmenter l'utilisation des saules et d'autres végétaux pour assainir les sites pollués à l'avenir ?

Brereton : La prochaine étape consistera à déterminer si l'on peut développer cette approche et réellement l'exploiter. De nos jours, les mines effectuent beaucoup de prétraitement ou de travaux techniques pour les eaux usées et les résidus miniers, des procédés très coûteux ; il s'avère qu'elles peuvent procéder autrement. Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas remplacer une grande partie des méthodes techniques traditionnelles pour parvenir au même résultat. Nous ignorons encore beaucoup du fonctionnement de cette approche, et devons nous appliquer à mieux la comprendre. En tant que scientifique, je n'aurai de cesse de répéter que nous devons mener davantage de recherches.

Traduit par Karen Rolland