Claire Deschênes, professeure de génie mécanique à l'université Laval, a cofondé trois organisations à but non lucratif qui soutiennent et promeuvent les femmes dans les domaines des sciences et du génie. Avec l'aimable autorisation de Claire Deschênes.

Claire Deschênes est professeure dans le département de génie mécanique de l'université Laval. Elle est la première femme à avoir enseigné le génie au sein de cet établissement. Experte de renommée mondiale en technologie des turbines hydrauliques, en hydrodynamique et en mécanique des fluides, Dr Deschênes a fondé en 1989 le laboratoire de machines hydrauliques (LAMH), un centre reconnu à l'échelle mondiale qui mène des recherches sur les turbines hydrauliques. En 2015, elle est nommée membre d'Ingénieurs Canada et à deux reprises, Dr Deschênes est nommée lauréate Le Soleil et Radio-Canada dans la catégorie des sciences et de la recherche en reconnaissance de ses contributions remarquables. 

Dr Deschênes est également dévouée à la promotion des femmes dans les domaines des sciences et du génie. De 1997 à 2005, elle est titulaire de la chaire CRSNG/Alcan pour les femmes en sciences et en génie et devient cofondatrice de trois organisations à but non lucratif qui soutiennent et promeuvent les femmes dans les domaines des sciences et du génie - l'International Network for Women Engineers and Scientists (INWES), l'association de la francophonie à propos des femmes en sciences, technologies, ingénierie et mathématiques (AFFESTIM), et l'INWES Educational and Research Institute (ERI). En 1999, elle est nommée première récipiendaire du prix Femmes de mérite de l'YWCA pour la région de Québec dans la catégorie des sciences, de la technologie et de la santé et en 2002, le conseil canadien des ingénieurs (CCI) lui décerne un prix pour son soutien aux femmes dans le domaine du génie. L'année dernière, l'université d'Ottawa lui confère un doctorat honorifique.

Comment caractériseriez-vous votre expérience d'étudiante de premier cycle ?

Le premier jour, j'ai été très surprise de constater que j'étais la seule femme dans la salle de classe. Je n'oublierai jamais ce moment ; tout le monde avait les yeux rivés sur moi, le professeur et les étudiants. Je suis devenue toute rouge. J'ai vu une chaise vide et m'y suis installée. Tout le monde devait se demander ce que je faisais là. Les premiers mois étaient difficiles car pour la première fois, j'étais loin de chez moi, et j'étais la seule fille inscrite à ce cours. J'ai échoué mon premier examen. Je me suis dit que je n'étais pas à ma place, mais petit à petit, les choses se sont améliorées. J'ai créé des liens avec des collègues et certaines de leurs petites amies, ou avec les secrétaires, afin de ressentir une plus forte présence féminine dans ma vie. Beaucoup de professeurs trouvaient cela étrange ; ma présence dans leur classe les laissait perplexes. Un jour, un professeur m'a dit de ne pas écrire mon nom sur la copie de mon examen mais plutôt mon numéro d'étudiante, car il ne voulait soi-disant pas me repérer. Cependant, j'étais la seule à avoir un numéro ! À l'époque, je ne me rendais pas compte du préjudice dont pouvaient être victimes les femmes. Aujourd'hui, après avoir lu tant de choses sur la condition des femmes dans les domaines des STIM, je me rends compte de la différence de traitement dont j'aurais pu bénéficier. Dans ma famille, les femmes étaient dominantes, ce sont elles qui dirigeaient la maison. Ma mère m'a toujours encouragé à suivre la voie que je souhaitais, ce qui m'a donné confiance en moi. En optant pour des études de génie, je me sentais spéciale et privilégiée. La confiance se développe aussi lorsque l'on découvre que l'on manque tous un peu d'assurance.

Être la première femme professeure de génie à l'université Laval, cela vous a-t-il intimidé ?

J'ai en effet été intimidée, car à l'époque, en 1989, j'étais une jeune professeure et je n'avais pas encore passé mon doctorat. J'étais responsable d'une très grande classe de 200 étudiants où j'enseignais la mécanique des fluides. C'était dur. La tuerie de l'École polytechnique de Montréal a eu lieu le 6 décembre 1989. Je suis encore envahie de fortes émotions quand je repense à cette journée tragique et à celle qui a suivie. J'ai immédiatement ressenti l'attaque sur les femmes dans les domaines des STIM, une attaque qui m'a profondément affectée sur le plan personnel. Cependant, cet événement et la thèse de doctorat que je soutenais début janvier 1990 sont devenus un « rite de passage » important pour me préparer à une carrière universitaire. À partir de là, je me suis sentie plus à l'aise. J'étais fière d'être professeure de génie. Je savais que j'étais capable de faire ce travail, et j'espérais être en mesure d'aider les femmes qui suivaient ma trace.

De quelle étape de votre carrière êtes-vous la plus fière ?

Je pense avoir fait évoluer les choses dans l'industrie de l'hydroélectricité. J'ai aidé l'industrie canadienne à devenir plus compétitive. De nos jours, il faut adapter la conception et l'exploitation des turbines à l'introduction de sources moins stables d'énergie dans les réseaux électriques, telles que l'énergie éolienne et solaire. J'aime à penser que mes recherches ont permis de mieux comprendre le comportement des turbines au-delà de leur point optimal d'efficacité, point auquel il faut les faire fonctionner plus souvent de nos jours. J'espère que mes travaux ont contribué à améliorer l'exploitation des turbines dans ces modes étendus de fonctionnement, pour lesquels elles n'étaient pas conçues jusqu'à récemment.

Vous étiez titulaire de la chaire du CRSNG pour les femmes en sciences et en génie de 1997 à 2005. En quoi votre carrière a-t-elle été influencée par vos efforts de promotion des femmes dans les domaines des STIM ?

La promotion des femmes dans les domaines des STIM fait partie de mes activités sociales et bénévoles. Ce n'est pas difficile pour moi de trouver la motivation de travailler sur cette question car je suis convaincue que les femmes dans les domaines des STIM contribueront à façonner un monde meilleur ; je suis absolument fascinée par les interactions entre la promotion des femmes dans les domaines des STIM, le changement social et les questions relatives aux sciences dures. J'espère que mes travaux sur ses questions ont été, et sont encore, utiles. La chaire a été un tournant important dans le développement de ma carrière. Elle m'a permis de renforcer mes aptitudes à diriger et à créer un réseau de femmes pouvant offrir conseils et soutien. J'ai réussi à mieux comprendre les questions sociales et historiques touchant les femmes. Cette chaire m'a donné un moyen d'interpréter des situations quotidiennes, et de renforcer ma confiance en moi. J'ai eu la grande chance de participer à de nombreux comités. J'ai appris le fonctionnement des mondes de la recherche et universitaire. Je suis encore connue et reconnue aujourd'hui, et je côtoie beaucoup de personnes travaillant dans des universités et au gouvernement. Ces éléments ont tous eu leur importance dans le développement de ma carrière scientifique.

Dans quelle phase de votre recherche pensez-vous avoir été la plus innovante ?

Au LAHM, nous mesurons les écoulements au sein de modèles de turbines, et les modélisons à l'aide d'un logiciel de DFC sophistiqué. Nous plaçons les turbines en situation où elles ne fonctionnent pas parfaitement, ou dans des situations où se produisent des vibrations et des déformations qui pourraient potentiellement les endommager ; nous essayons ensuite de comprendre ce qui se produit en analysant les données. De fait, le principal banc d'essai du LAHM, son équipement et les outils logiciels ont évolué avec le temps et offrent maintenant une compréhension plus profonde et optimale. L'équipe du LAHM recueille les données et développe des connaissances fondamentales. Ces connaissances sont ensuite utilisées par l'industrie pour identifier la façon dont elles peuvent servir à améliorer les turbines ou à augmenter leur durée de vie utile. L'équipe se fonde sur les informations contenues dans les bases de données pour valider son propre logiciel.

C'est très gratifiant pour moi de penser que j'ai mis au point un modèle de recherche s'appliquant spécifiquement à l'industrie canadienne de l'hydroélectricité et tenant compte de ses réalités. Même si mes recherches portent sur une technologie apparemment obsolète, nous avons toujours besoin d'innovations pour ajuster la production d'énergie à notre monde en pleine évolution.

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