Sean Boyd, directeur général d’Agnico Eagle. Avec l'aimable autorisation de Agnico Eagle

Depuis 2007, Agnico Eagle a investi 7 milliards de dollars dans le Nunavut afin de développer trois mines et de les exploiter. La société est aujourd’hui le plus grand employeur privé du territoire. Elle se charge de construire et d’entretenir les plus longues portions de route du Nunavut. Elle est le moteur de l’économie de la région de Kivalliq, où elle apporte emplois stables et débouchés commerciaux dans une région du pays qui en manque cruellement.

Pendant toute cette période, Sean Boyd était le directeur général d’Agnico. En novembre dernier, le jour où le gouvernement libéral minoritaire à Ottawa prêtait serment, M. Boyd se tenait devant des chefs d’entreprise et des dirigeants politiques au Canadian Club of Toronto (le cercle canadien de Toronto) pour confirmer publiquement l’engagement de sa société envers le Nunavut. Ce jour-là, il appelait le gouvernement fédéral à emboîter le pas et à investir sur le long terme dans le Nord, évoquant comme exemple de réussite la stratégie claire et cohérente de sa société. Aujourd’hui, il partage avec l’équipe du CIM Magazine ses réflexions quant au développement du nord du Canada.

L’ICM : Les déficits en termes d’infrastructure étaient-ils flagrants la première fois que vous êtes allés au Nunavut ?

M. Boyd : En tant que société minière, nous sommes habitués aux déficits, que ce soit en termes de compétences ou d’infrastructure, dans la plupart des endroits où nous nous rendons. Lors de notre première visite à Baker Lake en 2007, nous nous sommes surtout attardés sur la communauté et sa réaction face à notre présence. Notre société s’est développée sur six décennies en se rendant dans des lieux où nous étions bien acceptés par les locaux. L’exploitation minière est une activité de nature suffisamment complexe pour ne pas chercher à s’imposer dans des régions du monde où l’on ne veut pas de nous.

Nous avons été impressionnés et surpris de l’accueil que nous ont réservé les membres de la communauté de Baker Lake. Nous n’étions pas une menace pour eux. Ils ont simplement cherché à comprendre notre façon de voir cette opportunité et ce que nous pouvions faire ensemble. Notre première impression, je pense, a été celle d’un accueil chaleureux, ce qui était très important pour nous.

L’ICM : Agnico a des exploitations au Québec, en Finlande et au Mexique. Quelles sont les différences entre ces territoires et le Nunavut ?

M. Boyd : Le dénominateur commun est le potentiel géologique (ce que nous avons vu au Nunavut) et une capacité à faire des affaires. La [différence] résidait simplement dans l’absence d’infrastructure. La question devient alors de savoir si les possibilités géologiques sont suffisamment intéressantes pour pouvoir générer un profit sur la base de l’investissement important requis, notamment la construction de l’infrastructure. Il nous a fallu un certain temps pour comprendre. Ces projets doivent être considérés au cas par cas.

On ne peut pas décrire ces premières années comme une réussite fulgurante car nous avons rencontré des obstacles et des difficultés au niveau de la construction et du lancement de Meadow Bank. Le capital dépassait largement nos attentes, principalement en raison de dépassements de budget au niveau de l’infrastructure. Nous avons donc été contraints de réduire la valeur de notre actif en 2011. Ceci ne nous a cependant pas découragés, car nous restions axés sur le long terme.

Notre stratégie nous impose de réfléchir à long terme et de comprendre que nous devons investir dans les personnes et l’infrastructure car nous en verrons les bienfaits au fil des décennies. Si nous avions envisagé le court terme comme d’autres, nous serions probablement partis. Nous n’aurions pas surmonté les difficultés et, en fin de compte, le succès n’aurait pas été au rendez-vous.

L’ICM : Pour quelle raison pensez-vous qu’il est important de publiquement appeler le gouvernement à s’engager envers le Nord ?

M. Boyd : Un grand nombre de sociétés minières canadiennes qui jouaient un grand rôle dans l’histoire du Canada n’existent plus. Notre société est le plus gros producteur d’or au Canada ; ainsi, en tant qu’acteur important sur le marché canadien, nous nous devons de nous impliquer et de plaider en faveur de l’exploitation minière. Le nord du Canada représente une opportunité exceptionnelle et beaucoup ne le comprennent pas ou ne l’apprécient pas à juste titre. Je ne parle pas seulement d’opportunité en termes de développement des ressources, mais d’investissement dans les personnes. Il était temps de partager notre expérience et de l’utiliser comme point de départ pour impliquer le gouvernement fédéral. Cela ne nous empêchera pas de faire des affaires, mais nous souhaiterions que le gouvernement fédéral considère le Nord comme une priorité.

Lorsqu’on envisage de construire quelque chose dans le nord du Canada, l’investissement est généralement bien plus élevé qu’en Finlande ou au Mexique. Ainsi, quand on prévoit ce genre d’investissements, il est bon de savoir que le gouvernement fédéral nous soutient et investit également dans l’infrastructure de ces régions. L’infrastructure ne sera pas nécessairement liée à nos mines ou nos activités, mais le fait de savoir qu’il existe une stratégie visant à développer la région nous permet d’avancer plus sereinement dans notre approche sur le long terme. C’est le lien que nous établissons.


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L’ICM : Quels sont les domaines d’investissement les plus importants actuellement ? 

M. Boyd : Nous nous intéressons par exemple à la construction d’options axées sur les énergies renouvelables telles qu’un parc éolien, qui nous aiderait non seulement à réduire notre dépendance envers le diesel à la mine, mais serait également très utile aux communautés de la région de Kivalliq. Sur le plus long terme, il me paraît raisonnable de raccorder le Nord au réseau par l’intermédiaire de la fibre optique, de lignes électriques et, au final, de routes plus nombreuses. Cela va prendre du temps.

Outre l’infrastructure telle que les ports, les routes et les solutions d’énergie propre, la formation est primordiale. Nous investissons un budget conséquent dans la formation, mais nous devons nous assurer que le système éducatif sur place prépare la nouvelle génération de diplômés à intégrer des programmes d’apprentissage ou l’université. Cependant, ce n’est pas tout. Notre objectif est d’offrir aux jeunes de la nouvelle génération la possibilité de vivre et de perfectionner leur carrière là où ils habitent. Le gouvernement se doit d’investir dans le logement. Nous devons améliorer l’éducation.

Nous avons la volonté de faire ce qui est en notre pouvoir, mais une société minière à elle seule ne peut pas tout assumer. Nous devons continuer nos activités et nous assurer qu’elles se poursuivront sur les 20 à 30 années à venir. La pire chose qui puisse nous arriver est que notre activité ne dure que 5 ans et ne soit pas viable.

Nous sommes particulièrement bien placés en tant que partenaire pour collaborer avec les habitants du Nunavut et les aider à développer les ressources de la région. Le gouvernement doit donc nous aider à développer l’infrastructure, le programme social et éducatif, puis nous devrons ensemble instaurer une stratégie complète permettant au nord du Canada d’avancer.

L’ICM : Quels autres investissements dans l’infrastructure Agnico Eagle est-elle prête à envisager en partenariat avec les gouvernements ? 

M. Boyd : Nous n’envisageons pas d’investir dans la construction des lignes électriques et des réseaux de fibre optique, car c’est une entreprise extrêmement coûteuse. En revanche, nous sommes assurément un client au final. Nous pourrions envisager de contribuer au parc éolien, et avons reçu des propositions.

Nous préconisons la construction d’une université depuis huit ans, et sommes prêts à investir 5 millions de dollars à cette fin. Cette initiative est au cœur des débats. Cela ne veut pas dire que nous nous refusons à d’autres initiatives ; nous voulons simplement revenir sur les paroles de la gouverneure générale Michaëlle Jean il y a plusieurs années, qui déclarait que le Canada est la seule nation circumpolaire à ne pas avoir d’université dans le Nord. L’éducation est tellement importante. Il faut donner la possibilité aux jeunes Nunavummiut de suivre un enseignement supérieur dans leur région, car nous savons à quel point il est difficile de quitter ses sources pour aller dans une grande ville. Nous sommes conscients de l’adaptation que cela requiert, mais il s’agit aussi d’une opportunité et nous en discutons avec d’autres entreprises afin de déterminer si l’on peut parvenir à réunir la masse critique nécessaire pour donner vie à ce projet.

L’ICM : L’absence d’uniformité en termes de financement du gouvernement vient-elle d’un manque de volonté dans le sud du pays ou d’un manque de compréhension ? 

M. Boyd : Je dirais d’un manque de compréhension. Beaucoup ne perçoivent pas les possibilités qu’offre le Nord. Dans le secteur minier, il faut de la cohérence, de la discipline et de l’attention au fil du temps pour réussir. Ceci ne se traduit pas seulement par la façon dont on attribue nos ressources en termes de personnes, mais également en termes de financement. Quel développement peut-on attendre dans le [Nord] si les [gouvernements] distribuent de l’argent au compte-gouttes pendant quelques années, ouvrant les vannes en vue d’une élection puis les refermant aussitôt l’élection passée ? Cette approche envoie des messages très partagés, et nous ne travaillons tout simplement pas vers un même objectif.

La réussite de notre société s’explique par le fait que nous avons des budgets d’exploration homogènes. Nous avons investi de manière régulière afin de faire avancer notre réserve de projets. Le gouvernement doit adopter la même approche disciplinée, ciblée et régulière envers l’investissement. Il ne peut tout simplement pas envisager cela comme un poste de dépense au sein d’un budget. Il doit investir aujourd’hui dans des initiatives qui ne [porteront] peut-être leurs fruits que dans 10 ou 20 ans. C’est souvent difficile à faire en période de contraintes budgétaires. Il faut éduquer le Canada quant à cette possibilité et insister sur l’importance pour le pays de réaliser ces investissements aujourd’hui pour les 20, 30, 40 ou 50 années à venir.

Traduit par Karen Rolland