La productivité accrue des exploitations minières souterraines au Canada s'est accompagnée depuis un demi-siècle d'une augmentation de leur consommation énergétique. Dean Millar est cependant convaincu que les mines peuvent maintenir leur niveau de productivité sans pour autant consommer autant d'énergie.
M. Millar a à son actif une longue liste de qualifications. Il détient un doctorat en mécanique des roches de l'Imperial College London ; est professeur spécialisé à la Bharti School of Engineering (l'école d'ingénieurs Bharti) de l'université Laurentienne ; est directeur du groupe Energy, Renewables and Carbon Management (ERCM, le groupe Gestion de l'énergie, des énergies renouvelables et du carbone) chez MIRARCO ; est l'ancien responsable de la section Energy reduction & optimization (réduction et optimisation de la consommation énergétique) de l'Ultra Deep Mining Network (UDMN, le réseau d'exploitation minière très profonde) ; et est éminent conférencier de l'ICM cette année. Il a grandi au Royaume-Uni et a commencé sa carrière en Afrique du Sud, mais c'est son expérience au Canada qui lui a insufflé sa vision de réduction de la consommation énergétique. D'après M. Millar, il existe déjà de nombreuses méthodes établies qui peuvent aider les sociétés minières à réduire leur consommation d'énergie à moins de 40 % de leur niveau de 2010, une idée qu'il a baptisé la mine à 40 %.
L'ICM : Comment votre carrière dans l'industrie minière a-t-elle commencé ?
M. Millar : J'ai suivi mon cursus scolaire en Angleterre. À la fin de mes années de secondaire, je suis parti en Afrique du Sud travailler dans l'industrie de l'exploitation aurifère pour Anglo American. Quand cette expérience a pris fin, je savais que je voulais poursuivre ma carrière dans ce secteur. Ainsi, avec l'aide d'Anglo American, j'ai pu m'inscrire à la Royal School of Mines [à l'Imperial College London] en 1986 pour étudier l'exploitation minière.
L'ICM : Comment vous êtes-vous retrouvé à l'université Laurentienne à Sudbury ?
M. Millar : Quelques années après avoir commencé à enseigner à la Camborne School of Mines (l'école des mines de Camborne) de l'université d'Exeter, on m'a demandé de présenter mes idées dans le cadre d'un nouveau programme d'ingénierie, et j'ai proposé le thème de l'énergie renouvelable. Cette décision m'a poussé dans une toute autre direction pendant plus d'une décennie. J'ai créé le premier programme d'ingénierie dédié à l'énergie renouvelable et l'ai lancé en 2003.
En 2009, j'ai reçu un coup de téléphone totalement inattendu du Canada. La personne à l'autre bout du fil m'a dit : « Je vois que vous enseignez l'énergie renouvelable dans une école des mines ; avez-vous pensé à associer ces deux thèmes ? ». Je lui ai répondu que j'y avais souvent pensé mais que je n'avais jamais vraiment eu le temps de donner vie à cette idée.
Je suis venu à Sudbury, j'ai rencontré l'équipe à MIRARCO ainsi que le groupe du Centre for Excellence in Mining Innovation (CEMI, le centre d'excellence en innovation minière), et j'en suis ressorti en me disant que l'environnement était parfait. C'était l'endroit idéal pour mener un programme de recherche complet sur l'énergie dans l'exploitation minière. Ainsi, je les ai rejoint il y a cinq ans et demi.
L'ICM : Parlons de votre concept de la mine à 40 %. Qu'entendez-vous par là ?
M. Millar : La mine à 40 % est une façon abrégée d'exprimer ma vision. Cette vision consiste à pouvoir réduire la consommation d'énergie d'une mine à 40 % de son niveau actuel de consommation afin de réduire ses coûts, sans pour autant pénaliser la production. Nous devrions être en mesure d'introduire cette vision dans l'intégralité du secteur minier canadien d'ici 2040, à savoir que toute l'industrie ait réduit sa consommation à 40 % d'ici 2040.
L'ICM : En 1961, les coûts liés à l'énergie dans la production d'une mine souterraine ne représentaient qu'environ 5 % au Canada ; aujourd'hui, ils représentent plus de 15 %. Quelle en est la raison ?
M. Millar : Durant cette période, l'utilisation de diesel dans les mines ainsi que la mécanisation ont augmenté.
Voici ce qui, d'après nous, s'est produit. Si l'on utilise plus de diesel dans une mine, il faudra utiliser plus d'énergie pour l'aérage afin de maintenir le niveau de polluants en dessous du seuil autorisé. Si l'on augmente l'énergie utilisée pour l'aérage, cette augmentation sera proportionnelle à la consommation d'électricité. [Cependant], si la consommation de diesel a augmenté, la consommation d'électricité est, quant à elle, restée relativement identique. Ceci vient suggérer que les diverses mesures de conservation qui ont été mises en œuvre dans les mines se sont finalement traduites par une plus grosse consommation de diesel dans les exploitations. Les mesures de conservation de l'électricité ont réellement été converties pour renforcer la production dans les mines. C'est ce que veulent les ingénieurs miniers.
L'ICM : Quelle est la position du Canada par rapport au reste du monde ?
M. Millar : Le Canada et l'Australie font partie des régions du monde les plus automatisées dans le domaine de l'exploitation minière souterraine. Si l'on devait les comparer à l'Afrique du Sud, par exemple, où l'exploitation minière reste un processus qui requiert une importante main-d'œuvre, l'énergie consommée par tonne serait légèrement supérieure au Canada qu'elle ne l'est en Afrique du Sud.
L'ICM : Que peuvent faire les exploitants miniers pour essayer de réaliser cette vision de la mine à 40 % ?
M. Millar : Le secret pour y parvenir est d'adopter une approche à trois volets. La première chose à faire est d'éliminer les déchets. Ce sont de petits gestes simples à adopter, comme, à notre niveau, éteindre la lumière à chaque fois que l'on sort d'une pièce. L'équivalent dans l'environnement minier concerne l'aérage à la demande ; il faut penser à désactiver la ventilation lorsque personne ne se trouve dans la galerie.
L'étape suivante consiste à utiliser un équipement plus performant, ou à utiliser plus efficacement l'énergie dont on dispose. On pourrait par exemple remplacer les anciens moteurs par des moteurs à haut rendement ou adopter des compresseurs hélicoïdaux à haut rendement.
La dernière étape consistera à utiliser des technologies reposant sur l'énergie renouvelable, comme c'est le cas à la mine Diavik dans les Territoires du Nord-Ouest.
L'ICM : Avez-vous d'autres exemples de sociétés qui ont fait de gros efforts pour réduire leur consommation énergétique à l'aide des technologies disponibles ?
M. Millar : Celle qui me vient immédiatement à l'esprit est la mine Stobie, à Sudbury. On utilise généralement du méthane ou du propane pour chauffer l'air en hiver dans les mines canadiennes, de manière à ce que l'air qui pénètre dans la mine ait une température supérieure à zéro degré. Si cet air pénètre l'environnement souterrain à une température inférieure à zéro, toute l'eau qui croisera son chemin se transformera en glace dans le puits, ce qui constitue un véritable danger.
La façon de procéder à la mine Stobie est différente. En hiver, l'équipe laisse toute l'eau aspirée par pompe au fond du puits entrer en contact avec l'air d'admission glacial. L'eau réchauffe l'air, qui retrouve la bonne température. En réchauffant l'air, l'eau se refroidit tant qu'elle se transforme en neige. Plus tard dans l'année, lorsque l'air frais d'admission devient trop chaud, on laisse cette neige fondre afin de créer un effet de réfrigération.
En fait, si on l'utilise simplement comme système de chauffage, c'est une option vraiment intéressante pour les mines canadiennes car il s'agit d'un système de réchauffement de l'air qui ne dépend d'aucun combustible fossile. Mais si on l'utilise comme système de chauffage et de réfrigération, c'est encore plus avantageux. On ne comprend pas pourquoi il n'est pas davantage répandu. Si l'on prévoit suffisamment à l'avance, le coût d'investissement relatif à l'utilisation d'un tel système est très faible.
L'ICM : Pourquoi, dans ce cas, voit-on si peu de partisans de ce genre de technologies ?
M. Millar : C'est difficile à dire ; mais nous essayons de le promouvoir comme un système permettant aux mines de réaliser de grandes économies. À MIRARCO, nous menons un projet de l'Ultra Deep Mining Network baptisé Wind-to-Ice (du vent à la glace), dont l'objectif est de déterminer les obstacles à son adoption.
L'ICM : L'objectif fixé par votre vision de la mine à 40 % est-il réalisable ?
M. Millar : Certaines technologies révolutionnaires font leur apparition, mais je pense qu'il est plus sage d'envisager d'adopter des technologies qui existent déjà et sont établies depuis des dizaines d'années dans les mines, comme par exemple le système de réchauffement de l'air dans les chambres glacées. Toutes les technologies ne sont bien évidemment pas adaptées à chaque mine, mais en prenant chaque exploitation minière individuellement, nous sommes parvenus à tirer profit des technologies établies pour atteindre notre objectif de réduction de la consommation énergétique à 40 %.
En outre, les données montrent bien que les mines ayant adopté des mesures de conservation de l'énergie ont obtenu des résultats positifs. Ainsi, notre vision de la mine à 40 % ne semble pas être irréalisable. Je suis convaincu que l'on peut y parvenir à partir du moment où l'on a le désir de réduire les coûts liés à l'énergie pour augmenter la rentabilité.
Traduit par Karen Rolland