Fin mai, Rio Tinto terminait une série d’abattages à l’explosif dans le cadre de l’agrandissement de son exploitation de minerai de fer dans la région de Tom Price, en Australie-Occidentale. L’expansion de la mine Brockman 4 permettrait à Rio Tinto d’obtenir du minerai de haute qualité pour son mélange Pilbara, la norme internationale qui sert de critère de comparaison pour les autres minerais de fer.

À l’automne dernier, la société approuvait des dépenses de près de 750 millions de dollars américains pour l’exploitation de Tom Price. Cet investissement, expliquait un porte-parole de Rio Tinto, présentait un « taux de rentabilité interne intéressant » grâce à la valeur du minerai et aux améliorations au niveau de la productivité telles que le transport autonome. La nouvelle production aurait aussi une empreinte carbone inférieure par tonne produite.

Pour 2020, la production des mines de Pilbara de Rio Tinto était estimée à environ 325 millions de tonnes. Ajoutée au rendement d’autres sociétés minières, ces productions équivalaient à plus de 900 millions de tonnes pour l’année précédente. Ces sociétés contribuaient donc de manière non négligeable au produit intérieur brut (PIB) du pays, employaient plusieurs milliers d’Australiennes et Australiens et fournissaient des matières premières pour la production industrielle au monde entier.

L’un des désagréments de cet agrandissement concernait les dommages probables qui résulteraient du dynamitage de la grotte de Juukan Gorge, où des signes d’une occupation humaine il y a 46 000 ans en arrière avaient été découverts. La société minière, les autorités réglementaires et les peuples Puutu Kunti Kurrama et Pinikura (PKKP), qui percevaient des revenus issus de l’exploitation minière, avaient déterminé en 2013 que les avantages l’emportaient sur les désagréments. Comme l’explique la société dans son rapport présenté au parlement australien à la fin du mois de juillet, l’appel à arrêter le dynamitage a été donné à la dernière minute, alors que les trous avaient déjà été chargés d’explosifs. Leur retrait aurait été dangereux et difficile. Ce même rapport, cependant, précisait qu’après une étude plus poussée des grottes de Juukan en 2014, la société avait pris conscience de leur valeur culturelle et de leur importance pour les peuples PKKP.


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Avant l’explosion qui a endommagé les grottes de Juukan, la société s’était montrée sensible à l’importance de l’engagement des parties prenantes et au caractère précaire du permis social d’exploiter qui accompagne le développement d’une exploitation minière au XXIe siècle. Dans son rapport stratégique de 2019, publié en début d’année 2020, Rio Tinto qualifiait « les risques pour les communautés et autres parties prenantes importantes » de « risque à très fort impact », dont l’importance ne cessait de croître. La société avait également une entente sur les répercussions et les avantages avec le peuple PKKP et s’était engagée à se conformer aux principes miniers de l’International Council on Mining & Metals (ICMM, le conseil International des mines et métaux) en matière de développement durable. Ces principes requièrent le respect des droits des peuples autochtones et exigent que des efforts soient faits pour obtenir leur consentement préalable libre et éclairé. Une société de conseils indépendante a garanti que Rio Tinto s’était consciencieusement appliquée à évaluer les risques. Si le niveau de risque à la mine de Brockman 4 avait augmenté, le plan de mine n’avait pas changé.

Le week-end où Rio Tinto décidait de dynamiter la grotte de Juukan Gorge, George Floyd périssait sous le genou d’un officier de police à l’autre bout du monde. Rio Tinto présentait ses excuses publiquement et, le jour suivant, la population australienne défilait dans les rues pour protester contre les inégalités raciales de longue date. Moins de deux semaines plus tard, une enquête parlementaire était lancée, et l’Australie-Occidentale annonçait la refonte des statuts impliquant des sites du patrimoine des peuples autochtones. Enfin, en septembre, Rio Tinto n’étant pas parvenue à imposer des sanctions à l’échelle du problème, son président et chef de la direction J‑S. Jacques, entre autres, démissionnait. Cela reste, à ce jour, le signe le plus clair et le plus fort que les règles ont changé.

Traduit par Karen Rolland