Dave Mellor était le président de l'United Steelworkers of America (USW) Local 5762 pendant la grève à Elliot Lake | The Elliot Lake Standard
Il y a 40 ans, à l'occasion d'une conférence à Paris, en France, des représentants du gouvernement de l'Ontario présentent leurs recherches qui mettent en relation le rayonnement et le cancer des poumons. Dans le public se trouvent plusieurs membres de l'United Steelworkers of America (USW), dont le syndicat se bat contre l'industrie minière et le gouvernement de l'Ontario pour obtenir une amélioration des conditions de santé et de sécurité au travail dans les mines d'uranium de Denison et de Rio Algom à Elliot Lake, en Ontario. Outre le grand nombre d'accidents, des centaines de mineurs sont malades ou en phase terminale de silicose et de cancer des poumons qui, selon le syndicat, seraient dus à l'inhalation de poussières de silice. Les représentants du syndicat sont d'autant plus choqués de constater que le gouvernement, qui sait pertinemment qu'il existe une autre raison à l'origine du taux élevé de cancer des poumons (le rayonnement), n'a pas jugé nécessaire d'en informer les mineurs ou de prendre les mesures nécessaires pour les protéger. Les membres de l'USW divulguent cette information à leurs collègues à Elliot Lake, ce qui s'avère être la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Le 18 avril 1974, un millier de mineurs de la mine Denison entame une grève sauvage de trois semaines.
« La grève a découlé des révélations de la conférence, associées au mécontentement général concernant les réglementations et les lois relatives à la santé et la sécurité au travail dans la province à cette époque », explique Fergus Kerr, aujourd'hui vice-président de l'exploitation chez Global Atomic Fuels Corp. Il avait rejoint Denison en 1977 et en est devenu le directeur général une décennie plus tard.
La grève a attiré l'attention des médias, du public et des hommes politiques de l'Ontario. La question de la santé et la sécurité dans l'industrie minière est soudain devenue très sensible.
Le souvenir des mesures prises par les sociétés minières varie en fonction de la personne à qui l'on s'adresse. Certains se souviennent d'une industrie qui s'est ouverte au changement, d'autres sont moins positifs.
« C'est à cette époque-là que le marché de l'uranium s'est considérablement amélioré », explique M. Kerr. « Ainsi, les hommes politiques ont exercé une pression aux niveaux fédéral et provincial, tout comme les syndicats, et l'industrie a réalisé qu'elle devait prendre les mesures nécessaires pour développer ses activités sans compromettre ses travailleurs. Une série d'événements et de circonstances se sont croisés à ce moment-là. »
Leo Gerard, président international actuel de l'USW, a emménagé à Elliot Lake peu de temps après avoir intégré le syndicat en 1977. Il voit les choses un peu différemment. « [Les sociétés minières] ont été impliquées à leurs corps défendant. Finalement, quand il n'a plus été possible d'éviter les changements, vers la fin, elles ont compris que ce problème devait être résolu. »
La naissance de réglementations modernes en matière de santé et de sécurité
En dépit des controverses suivant cette démarche, on ne pourra nier que la décision de William Davis, premier ministre à l'époque, d'instaurer une commission d'enquête parlementaire sur la santé et la sécurité dans les mines était l'une des meilleures choses qui se soient jamais produites dans le secteur minier de la province. Présidée par le professeur en génie James Ham, la commission Ham a présenté en 1975 plus de 100 recommandations. Ce rapport est devenu le fondement de la Loi sur la santé et la sécurité au travail (LSST), qui est entrée en vigueur à l'automne 1979 dans l'industrie minière et dans tous les secteurs.
Vic Pakalnis, aujourd'hui président et directeur général de la société MIRARCO (Mining Innovation Rehabilitation and Applied Research Corporation) et qui travaille depuis 30 ans dans le domaine de la santé et la sécurité au travail pour le ministère du travail de l'Ontario, décrit M. Ham comme le père de la révolution canadienne en matière de santé et de sécurité au travail. « M. Ham a inventé le concept de " système de responsabilité interne " », explique M. Pakalnis, « qui est à la base de cette culture de sécurité propre à l'industrie minière ainsi que de ses réglementations en matière de santé et de sécurité. »
La LSST, que l'on qualifie de « livre vert », est devenue un précurseur en la matière, indique M. Kerr. À ce jour, elle est considérée par les exploitations minières du monde entier comme le meilleur guide en matière de santé et de sécurité des travailleurs.
D'après M. Pakalnis, au milieu des années 1970, l'industrie minière de l'Ontario affichait le taux le plus élevé d'accidents parmi tous les secteurs industriels de la province. « Aujourd'hui, c'est ce secteur qui affiche le taux le plus faible d'accidents », fait-il remarquer. Cette loi a en outre contribué à améliorer la productivité, car de nombreuses innovations technologiques ont été nécessaires pour respecter les normes de sécurité . « Et tout a commencé par cette grève sauvage », indique M. Pakalnis. « Cette grève était illégale, mais tous ont fort bien fait de se battre, et le gouvernement et l'industrie ont aussi pris les bonnes décisions. »
De manière ironique, étant donné que le gouvernement considérait l'uranium (une ressource destinée à l'énergie et aux armes nucléaires) comme relevant de sa compétence, les mineurs d'Elliot Lake n'étaient initialement pas protégés par cette nouvelle loi. « Des balivernes bureaucratiques », explique M. Gerard. « Nous nous sommes battus et avons fini par obtenir une résolution deux ou trois ans plus tard. Nous étions parvenus à négocier la plupart des dispositions de la LSST dans les conventions collectives à Elliot Lake. »
Prochain objectif : réduire les accidents mortels
Malgré la baisse considérable du nombre d'accidents non mortels, le nombre d'accidents mortels dans l'industrie minière n'a pas diminué dans la même mesure au cours des dernières années. La fréquence des accidents mortels est, certes, bien plus faible qu'en 1974, mais au cours des cinq dernières années, ce taux n'a connu que peu de mouvement, avec une moyenne de 5,6 décès de travailleurs par an en raison de blessures traumatiques et des suites de maladies professionnelles. « On se demande encore la raison pour laquelle nous en sommes à ce point », déplore M. Kerr. « Ce problème semble être d'envergure internationale. »
L'USW a exigé qu'une enquête soit menée en 2011 lorsque deux hommes ont trouvé la mort dans l'une des mines de nickel de Vale, dans la région de Sudbury. En février 2013, le gouvernement de l'Ontario a lancé un examen sur la sécurité dans le secteur minier mené par George Gritziotis, directeur général de la prévention du ministère du travail. « Je ne veux pas dire que tous les accidents ne sont pas dramatiques et ne doivent pas nous inquiéter », explique M. Gritziotis, « mais l'éradication des accidents mortels sera au cœur de mes décisions et des mesures que je prendrai durant mon mandat. »
Cet examen, qui comprenait 11 sessions de consultation publique dans toutes les communautés minières de l'Ontario entre mars et mai et tenait compte du retour du public et de l'industrie minière, « fournira des résultats utilisables et des pratiques exemplaires au fur et à mesure que nous progressons », explique M. Gritziotis. « Certaines réglementations pourraient devoir faire l'objet d'une actualisation. »
M. Gerard aimerait qu'une autre enquête soit menée et évoque les améliorations qui ont résulté de la commission Ham, de la commission Stevenson sur le contrôle des terrains et le sauvetage minier en 1986, et de la commission Burkett sur la sécurité des usines et des mines en 1982. « Chacune d'elle a mené à de nouvelles suggestions et recommandations », explique M. Gerard. « Le processus d'examen consiste à évaluer des événements qui se sont déjà produits et ce qui en ressort. Une enquête étudie en profondeur la façon dont les choses sont faites. D'un point de vue historique, cela fait environ 30 ans que la dernière enquête a eu lieu. »
Beaucoup de changements depuis 1979
Personne ne comprend la raison pour laquelle les taux d'accidents mortels n'ont pas bougé, mais beaucoup de choses ont évolué depuis l'entrée en vigueur de la loi sur la santé et la sécurité au travail. M. Kerr, vice-président des embauches du groupe consultatif en charge de l'examen actuel du gouvernement, pense que l'une des grandes difficultés à l'heure actuelle concerne l'uniformité de la formation, étant donné que l'industrie recrute de jeunes travailleurs pour remplacer les baby-boomers qui arrivent à l'âge de la retraite.
« Je me souviens de l'époque à laquelle j'étais à Elliot Lake », déclare M. Kerr. « Les sociétés connaissaient un développement fulgurant. Aucune ne parvenait à trouver des mineurs ou des ouvriers qualifiés. Nous en avions conclu que si l'on ne parvenait pas à embaucher des mineurs, il faudrait en former. Nous avions mis en place des installations de pointe, à l'époque, pour la formation de mineurs et d'ouvriers qualifiés. Nous étions jeunes, construisions nos familles, développions nos compétences et nos connaissances ensemble. Je pense à cette époque avec une grande nostalgie. Elle a eu un grand impact sur la santé et la sécurité, et a permis de former une toute nouvelle main-d'œuvre en partant de zéro à l'aide de pratiques exemplaires. »
M. Gerard se souvient aussi de cette époque. « Nous avons grandi ensemble. Nous avions bien entendu nos petits problèmes avec les personnes qui exploitaient les fonderies et les mines, mais nos enfants jouaient au hockey ensemble », indique-t-il, ajoutant que la vente de plusieurs mines à des sociétés étrangères avait changé cette dynamique.
Traduit par Karen Rolland