Avec l'aimable autorisation de Lana Eagle

Lana Eagle, une consultante installée à Vancouver qui appartient à la Première Nation dakota de Whitecap en Saskatchewan, essaie de faire concorder deux « échéanciers » : celui des sociétés minières qui désirent obtenir des permis pour se mettre au travail, et celui des communautés autochtones qui veulent être entendues et comprises, ce qui implique de parler de la marginalisation et des abus qu’elles ont subis pendant des générations. Mme Eagle affirme que la clé pour les sociétés minières est de prendre part aux discussions en comprenant les difficultés uniques auxquelles les peuples autochtones font face.

Mme Eagle, qui a récemment été nommée présidente du comité consultatif sur la diversité et l’inclusion de l’ICM, a reçu le prix Skookum Jim de l’ACPE pour avoir établi un dialogue entre les communautés autochtones et l’industrie minière. En janvier, elle a rencontré CIM Magazine pour discuter de son travail, de la manière dont l’exploitation minière peut faire partie de la réconciliation et de ce qu’il faut pour avoir un milieu de travail véritablement inclusif.

ICM : Comment vous êtes-vous intéressée à l’exploitation minière?

Mme Eagle : Je crois que c’est tout simplement parce que mon père faisait carrière dans ce domaine. Il travaillait dans l’industrie minière, mais en grandissant, ce n’est pas comme si je voulais travailler à la mine. C’est plutôt que j’ai grandi dans ce milieu, puisque c’est un sujet dont nous discutions à table.

ICM : Parlez-nous du travail que vous accomplissez actuellement.

Mme Eagle : Je suis consultante. Je me retrouve à œuvrer dans la sphère de la réconciliation. C’est quelque chose qui s’appuie sur ce que les entreprises font déjà très bien, c’est-à-dire établir des relations. J’ai fait une présentation à une conférence l’an dernier, et l’un des aînés dans la salle parlait de la réconciliation comme de l’éléphant dans la pièce, un sujet que nous ne devions pas avoir peur d’aborder. Je crois que nous sommes encore en présence de deux échéanciers différents. Les entreprises veulent des permis pour pouvoir aller de l’avant en matière de développement. En raison des difficultés auxquelles elles font face, les communautés autochtones veulent bâtir des liens et parler d’où elles en sont aujourd’hui et pourquoi les choses sont comme elles sont.

Je cherche à rapprocher ces deux échéanciers, ces deux mondes. Selon moi, ce qui est intéressant, c’est que les entreprises qui mènent des activités à l’extérieur du Canada commencent à réaliser qu’elles doivent travailler avec les communautés autochtones et engager des discussions. Elles doivent aussi progresser en fonction d’un processus d’engagement plutôt que de [suivre l’échéancier] en vertu duquel les choses devraient se produire de leur point de vue.

ICM : Dans l’industrie, nombreux sont ceux qui parlent de la manière dont l’exploitation minière peut faire partie de la réconciliation, mais cette conversation semble principalement se concentrer sur l’aspect économique. Pensez-vous que c’est la principale façon pour l’industrie de jouer un rôle?

Mme Eagle : Je crois que l’économie est une avenue, mais je ne crois pas que ce soit la seule. Les communautés cherchent peut-être à être propriétaires ou à obtenir de plus grands pourcentages de participation en matière d’emploi et d’approvisionnement local. C’est de cette manière que certains ont choisi d’évoluer pour améliorer leur qualité de vie, pour réduire la pauvreté et pour apporter ces changements. Certaines personnes souffrent encore de ce qu’elles ont subi dans les pensionnats. Regardez les statistiques relatives à l’incarcération [des Autochtones], à l’alcool et aux drogues, aux sévices et à la violence, aux femmes et filles autochtones disparues ou assassinées et à la pauvreté extrême.

On peut faire valoir que si les gens avaient plus d’argent, ils pourraient résorber ces difficultés. Toutefois, à long terme, comment pouvons-nous nous attaquer à ces problèmes? Certains résultent du fait qu’on a envoyé des enfants dans les pensionnats, car ils ont été retirés de leur famille et ont vécu des situations où il y avait beaucoup de mauvais traitements. Ils ont fini par en sortir, mais sans la capacité d’aimer, d’être un bon parent, de créer des foyers sécuritaires à long terme pour leur famille et de pouvoir faire face aux problèmes sans consommer d’alcool ou de drogue. Ce cycle semble se répéter d’une génération à l’autre.

Je crois que les gens dans le domaine se disent : « Si nous pouvons leur donner de l’argent pour régler ces problèmes, cela devrait suffire. » Je pense qu’il s’agit autant d’une question sociale que d’une question économique. Je crois qu’il faut combiner ces deux approches pour gérer cette situation.


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ICM : Comment les sociétés minières tiennent-elles compte de l’aspect social de la réconciliation?

Mme Eagle : Il faut discuter de certains aspects sociaux. Dans ces conversations, nous établissons un niveau de confiance, car les gens sentent qu’ils peuvent s’ouvrir à vous et évoquer réellement leurs problèmes tout en vous expliquant leurs solutions. Il ne s’agit pas de simplement dire : « Aujourd’hui, nous allons parler des pensionnats. Comment cela s’est-il passé pour vous? » La conversation est plus profonde et plus délicate. Si j’avais vécu cette situation, comment pourrais-je commencer à vous faire confiance?

Si je vous raconte des choses très sombres et profondes, comment puis-je savoir que cette information sera partagée entre vous et moi, et entre la communauté et la société minière? Comment puis-je savoir qu’il y aura une évolution dans la manière de traiter cette situation? Se préparer à avoir de telles conversations représente assurément un défi pour les gens. Je crois qu’une grande part de cette préparation consiste à faire en sorte que les sociétés aient une meilleure compréhension de l’histoire.

Je pense qu’en tant que Canadiens, nous avons su former nos yeux à ne pas le voir. Pourquoi aller dans une réserve si nous n’avons pas à le faire? Le fait qu’aujourd’hui, en 2018, nous ayons encore des communautés qui doivent faire bouillir l’eau, et ce, depuis plusieurs décennies, est inacceptable. Par rapport à la quantité de promesses faites par le gouvernement, l’évolution de la gestion de ces problèmes est lente.

Je crois qu’il est temps que l’industrie se demande ce qu’elle peut faire. Au lieu d’attendre que le gouvernement apporte ces changements, qu’il s’agisse d’électrification ou d’eau potable, ce sont peut-être les sociétés minières qui devraient intensifier leurs efforts. Je crois qu’à l’avenir, la solution ne consiste pas à dire « nous allons vous bâtir une piscine, nous allons vous bâtir une école », mais plutôt de trouver, en demandant aux communautés, ce dont elles ont besoin pour aller de l’avant. Que pouvons-nous faire pour aider?

ICM : Vous avez récemment été nommée présidente du comité consultatif sur la diversité et l’inclusion de l’ICM. Qu’espérez-vous accomplir durant votre mandat?

Mme Eagle : Je pense que nous devons simplement prendre les mesures nécessaires pour avancer. Nous devons nous laisser guider par les membres de l’ICM qui sont précisément confrontés à ces enjeux de diversité et d’inclusion. Comment pouvons-nous commencer à faire tomber ces obstacles et qu’est-ce qui empêche les gens d’aller de l’avant?

ICM : Selon vous, qu’est-ce que les sociétés peuvent faire pour améliorer la diversité de leur main-d’œuvre?

Mme Eagle : Je pense que notre responsabilité dans l’industrie est d’être conscient de [l’histoire des peuples autochtones en ce qui concerne les pensionnats]. Nous devons être davantage au courant de ce qui existe et de la raison pour laquelle cela existe.

Nous avons aussi besoin que les grandes sociétés prennent des engagements [envers la diversité], qu’elles disent « voici ce que nous allons faire et voici comment nous allons progresser », et qu’elles n’aient pas peur de prendre ces engagements. Même s’il y aura toujours des gens pour les critiquer, je crois que les sociétés doivent être suffisamment courageuses pour avancer.

De plus, si vous voulez avoir une main-d’œuvre autochtone, vous devez prendre les sociétés qui travaillent dans le nord de la Saskatchewan comme exemple. Elles ont eu besoin de plusieurs années pour atteindre leur objectif. Prenez Cameco par exemple, qui a gagné des prix [de diversité] et qui est fière d’avoir une troisième génération d’employés [autochtones]. Il lui a fallu plusieurs années pour y arriver, et beaucoup d’histoire.

ICM : Comment pouvons-nous obtenir une industrie véritablement inclusive?

Mme Eagle : Ça demande beaucoup de travail. Je crois que nous devons nous demander ce qu’est l’inclusion. Le moyen le plus facile de la définir est de penser à ce que le sentiment d’appartenance nous fait ressentir. Nous passons tellement de temps dans notre environnement de travail durant la journée; est-ce que nous nous y sentons à notre place? Qu’est-ce que cela signifie exactement? Est-ce une appartenance saine? Je crois que tout le monde doit travailler ensemble pour créer ce nouvel environnement ou cette nouvelle culture.

ICM : Ressentez-vous ce sentiment d’appartenance?

Mme Eagle : Oui. J’ai toujours ressenti ce sentiment d’appartenance en raison de la manière dont j’ai été élevée. Je suis aussi à l’aise dans la salle du conseil que dans le bureau du conseil de bande. Je crois que dans une certaine mesure, il faut être prêt à s’adapter à une nouvelle culture pour en faire partie. Il faut essayer pour que ça fonctionne.

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L’industrie minière : un monde diversifié

Tout au long de 2018, CIM Magazine racontera l’histoire et l’expérience, positive ou négative, de femmes, d’Autochtones et de personne de couleur qui travaillent dans l’industrie minière, à l’aide d’une série de questions et réponses, de rubriques et d’articles sur des enjeux importants à leurs yeux. Vous avez une suggestion d’histoire que nous devrions couvrir ou de personne à qui nous devrions parler? Écrivez à : krolfe@cim.org