La batterie au métal liquide du professeur du MIT Don Sadoway utilise des éléments largement disponibles dans le but de réduire le coût du stockage d’énergie. Avec l’aimable autorisation d'Ambri
L’adoption de sources d’électricité renouvelables augmente rapidement en Amérique du Nord à mesure que leur coût dégringole. Aux États-Unis, 11 états ont produit plus de 15 % de leur énergie à l’aide de sources renouvelables non hydroélectriques en 2015, selon les données de l’Agence d'Information sur l'Energie (EIA) américaine. À elle seule, l’énergie éolienne compte pour 41 % de toutes les nouvelles capacités de production depuis 2014.
Mais deux défis se dessinent à l’horizon : la production intermittente à partir de sources comme l’énergie éolienne et solaire, et l’atteinte d’une production de pointe lorsque la demande quotidienne d’électricité culmine. Le stockage d’énergie à grande échelle réglerait ces problèmes, mais à ce jour, aucune technologie n’a fait l’objet d’une acceptation générale sur le marché. Donald Sadoway, le professeur John F. Elliott de chimie des matériaux à l’Institut de Technologie du Massachusetts (MIT), a expliqué le problème lors d’une conférence TED en 2012. « Aujourd’hui, il n’existe tout simplement aucune technologie de batterie capable de répondre aux exigences de rendement élevées du réseau, à savoir une énergie inhabituellement élevée, une longue durée de vie et un coût extrêmement faible ».
M. Sadoway en a donc inventé une lui-même. En créant une batterie qui utilise des éléments à la fois abondants et répandus sur Terre, il espérait réduire le coût du stockage d’énergie à un prix économiquement viable et faire taire le plus important reproche en matière d’énergie renouvelable.
Permettre la technologie
« Il y a deux grands problèmes, tous deux associés à l’électricité sur le réseau », a expliqué M. Sadoway au CIM Magazine depuis son bureau du MIT à Cambridge, au Massachusetts. « Le problème le plus évident pour les gens, c’est l’intermittence des sources renouvelables d’énergie. » Grâce au stockage, les services publics pourraient produire de l’énergie à partir de ces sources lorsqu’elles sont disponibles, la stocker à grande échelle, puis la distribuer sur le réseau lorsqu’elle est requise.
Mais même les réseaux traditionnels pourraient bénéficier d’une capacité de stockage : elle augmenterait leur résistance aux difficultés reliées à la demande, dont les baisses de tension et les pannes d’électricité. Actuellement, les services publics répondent à la demande toujours croissante en augmentant la capacité de pointe à la centrale électrique et en réalisant des mises à niveau coûteuses sur leurs lignes de transport d’électricité. Selon M. Sadoway, « Grâce au stockage, lorsque la demande est faible, on peut transporter le surplus d’électricité sur les lignes et le stocker près du centre de la demande. Puis, lorsque la demande est élevée, on a recours à la fois à ce qui est acheminé sur les lignes et stocké dans le sous-sol ou au poste électrique. »
Si le besoin est si évident et les avantages si répandus, pourquoi personne n’a-t-il réussi à créer une batterie pour le stockage sur le réseau?
« On a affaire aux pires exigences contradictoires : un rendement élevé associé à des prix très bas », a répondu M. Sadoway. Jusqu’à maintenant, les autres options – principalement les génératrices d’appoint au diesel et les dispositifs de pointe au gaz naturel – étaient toujours moins coûteuses que toute solution de stockage adaptable. « Aux États-Unis, environ 50 % des dispositifs de pointe au gaz naturel sont utilisés moins de 2 % du temps », a estimé M. Sadoway. « Le reste du temps, ils ne servent à rien. Mais leur utilisation est toujours moins coûteuse que toute batterie en ce moment. Bref, c’est un très gros problème. »
Une batterie surpasserait la solution de stockage sur le réseau la plus répandue – l’accumulation d’hydroélectricité par pompage – en matière de prix et s’avérerait irrésistible sur un marché qui pourrait atteindre 400 milliards de dollars américains d’ici 2020, selon le Boston Consulting Group. Mais pour y arriver, il faut repenser la batterie de fond en comble.
Une puissante solution
M. Sadoway a une formation en électrométallurgie, et l’utilisation d’électricité pour fusionner l’aluminium nécessite les mêmes connaissances des propriétés électrochimiques des éléments que le stockage d’énergie chimique dans une batterie. En 2006, il a conçu un élément qui dégagerait de l’électricité lorsque deux métaux sont alliés, un peu comme le contraire de ce qui se produit lors de la fusion. Et pour faire bonne mesure, il souhaitait fabriquer cette batterie à l’aide de métaux extrêmement courants – et abordables – plutôt que des métaux rares qu’on trouve dans les téléphones cellulaires et les véhicules électriques.
Et pour que les métaux puissent s’allier et se séparer librement, ils doivent être liquides et posséder une réactivité mutuelle élevée, c’est-à-dire être capables d’accepter, de libérer et de partager des électrons afin de produire une réaction chimique entre eux. Ils doivent également rester séparés dans deux électrodes distinctes... pas facile quand ils sont liquides. Mais le travail avec les processus électrochimiques « extrêmes », c’est le gagne-pain de M. Sadoway.
« À la base, il y a un métal liquide à faible densité sur le dessus, du magnésium ou du sodium, par exemple », a illustré M. Sadoway. « En dessous, il y a un métal à densité élevée et dont les propriétés chimiques sont très différentes, comme l’antimoine, le bismuth ou le plomb. » Entre les deux, un électrolyte de sel fondu sépare les deux électrodes de métal liquide.
Pour décharger la batterie, le métal dans la couche supérieure s’ionise et se dissout dans le sel, pénétrant dans la couche inférieure pour s’allier au métal qui s’y trouve, tandis que les électrons libérés traversent le circuit externe. Pour recharger la batterie, on y fait traverser du courant dans l’autre direction pour séparer les métaux et permettre au métal de la couche supérieure de retourner dans sa solution sur le dessus.
De la chimie à la commercialisation
Lors des premières expériences, M. Sadoway et son étudiant diplômé, David Bradwell, ont utilisé du magnésium pour la couche supérieure et de l’antimoine pour la couche inférieure. Malgré les premières difficultés de fabrication des éléments en laboratoire, MM. Bradwell et Sadoway et une équipe de plus en plus nombreuse ont réussi à fabriquer une batterie au métal liquide rechargeable et fiable. En 2010, les laboratoires du MIT ne répondaient plus aux besoins du groupe : M. Sadoway et M. Bradwell, qui avait alors terminé son doctorat, ont fondé une entreprise, Ambri, afin de commercialiser leur technologie.
Six ans plus tard, M. Bradwell, aujourd’hui directeur de la technologie d’Ambri, estime ne connaître aucune autre entreprise s’intéressant aux batteries au métal liquide. C’est peut-être en partie parce qu’une batterie commerciale nécessite plus que des éléments fonctionnant sur une table de laboratoire. En effet, chaque élément de batterie au métal liquide requiert notamment un joint à température élevée hermétique et à isolation électrique qui ne réagit pas à l’oxygène ni aux vapeurs de métal ou au sel fondu dans l’élément. L’entreprise a consacré les deux dernières années à la mise au point des matériaux et des processus pour fabriquer son propre joint exclusif à l’interne. Ambri a réglé ce problème l’été dernier, et en novembre a fabriqué et commencé à exploiter en laboratoire son premier système prototype doté de 432 éléments et joints.
Afin de simplifier la chose, l’entreprise a conçu la batterie de façon à ce qu’elle soit facile à fabriquer. Chaque élément consiste en un réservoir en acier inoxydable embouti dans lequel on dépose une rondelle de métal déjà allié. On dispose le sel par dessus, puis on ferme le couvercle en le soudant. On empile de nombreux éléments individuels dans un grand contenant pour former une batterie. L’entreprise prévoit commercialiser un système modulaire de près d’un mégawattheure (MWh). Un conteneur d’expédition empilable de 20 pi pourrait accueillir deux de ces unités. On pourrait relier plusieurs systèmes afin de stocker de l’énergie suffisante pour quatre à huit heures d’alimentation provenant d’une éolienne type de deux mégawatts (MW).
« Le rendement du cycle des batteries au métal liquide s’élève à environ 80 %, soit l’équivalent de l’hydroélectricité pompée », a indiqué M. Sadoway. Et les pertes lors des cycles de décharge et de recharge maintiendraient l’état liquide des électrodes des batteries – qui fonctionnent à une température de près de 500 °C. Et fondamentalement, elles ne se dégradent pas au fil du temps, promettant une longue durée de vie. En effet, selon M. Sadoway, lors des essais d’Ambri, les plus vieilles batteries ont réalisé plus de 3 000 cycles de décharge-recharge au cours de trois ans et demi sans diminution de capacité mesurable. « Elles ne perdent simplement pas de puissance.
C’est cette association longue vie et faible coût que la plupart des autres technologies de batterie modernes comme le lithium-ion ne peuvent égaler pour les utilisations à grande échelle sensibles au prix, comme le stockage sur le réseau », a précisé M. Bradwell. Et même si les batteries au métal liquide sont beaucoup plus pesantes que les éléments au lithium-ion équivalents, elles présentent une densité énergétique volumétrique semblable, ce qui signifie qu’elles n’occupent pas plus d’espace.
« Certains éléments au lithium sont plutôt abordables, mais habituellement leur cycle de vie n’est pas long, alors que certaines batteries au lithium-ion ont un long cycle de vie, mais ne sont pas abordables. C’est ce mélange des deux qu’on recherche. Le coût par cycle sur la durée de vie de l’utilisation est un facteur primordial », a ajouté M. Bradwell, « et c’est là où les éléments d’Ambri devraient tirer leur épingle du jeu. »
Même si Ambri n’a pas divulgué le coût de ses systèmes prototypes ou leur prix d’entrée prévu sur le marché, M. Bradwell est convaincu que le coût d’un système entièrement installé sera concurrentiel. « Nous nous attendons à ce qu’il soit légèrement plus abordable que la meilleure option de rechange », a-t-il noté.
Or, il n’y avait pas que le rendement à considérer lors du choix des matériaux : Ambri a créé une nouvelle formulation pour l’élément. « Nous avons examiné les chaînes d’approvisionnement pour les différents matériaux et sels », a affirmé M. Sadoway. « Qu’arrivera-t-il [au marché] en cas d’adoption massive? Nous devons procéder intelligemment, car une forte augmentation de la demande entraînerait une augmentation du prix, et tout notre travail aura été en vain. Si le prix n’est pas intéressant, les gens ne l’adopteront pas. »
Pertinence commerciale
Pour l’instant, Ambri se concentre sur la création, à partir de la technologie, y compris la batterie et les commandes, d’un système commercialement pertinent et facile à adopter : « une boîte qui indique 1 MWh accompagné d’un signe plus ou moins », selon M. Sadoway. M Bradwell estime qu’Ambri achèvera son prototype de système commercial d’ici la fin 2017 et le commercialisera en 2018.
D’ici deux ou trois ans, M. Sadoway espère que son invention sera commercialisée dans les endroits les plus critiques, soit les îles et les régions éloignées sans accès à des réseaux élargis. « Même à 1 000 $ par kWh [de stockage], certaines régions seraient heureuses de disposer des batteries », a-t-il estimé.
Après, il s’attend à ce que la réalisation d’économies de taille permette de réduire le coût. « Pour l’intégration à grande échelle, il faut réduire le coût à moins de 500 $ par kWh », croit M. Sadoway. « Et plus le prix du système diminue, plus il pourra servir pour différentes utilisations. »
Traduit par CNW