Cinq génératrices Wärtsilä à haut rendement de 5,6 mégawatts alimentent en électricité la mine de Meliadine d’Agnico Eagle dans le Nunavut. La chaleur récupérée dans les gaz d’échappement des moteurs des génératrices circule dans tout le site minier ; elle réchauffe les bâtiments de l’exploitation en surface et la mine souterraine reliés au circuit d’eau chaude. Avec l’aimable autorisation de Nicholas Allen

La construction et la mise en service de la mine de Meadowbank d’Agnico Eagle (la première incursion de la société d’exploitation aurifère dans le Grand Nord) ont été une expérience enrichissante, assortie d’une courbe d’apprentissage abrupte. Les difficultés rencontrées sur les plans logistique, opérationnel et des ressources humaines ont mis à l’épreuve l’ingéniosité de la société. Elles lui ont aussi appris à mener une mine jusqu’à la phase de production et à continuer à l’exploiter, des enseignements qu’Agnico Eagle a mis en pratique à Meliadine, sa deuxième mine située dans la région du Bas-Arctique au Canada.

Ces enseignements concernaient également la centrale électrique du site. Le système de récupération de la chaleur de Meadowbank, qui utilise la chaleur résiduelle des génératrices produisant de l’électricité pour chauffer l’exploitation, fonctionnait bien en théorie, mais moins bien en pratique. « La plupart du temps, la conception prévoit le fonctionnement des groupes électrogènes à plein régime et à température élevée, alors qu’on sait bien qu’en général, ces derniers fonctionnent toujours à un régime légèrement plus bas de manière à garder des réserves et à éviter des pannes », déclarait Nicholas Allen, ingénieur mécanique à BBA. Agnico Eagle a fait appel à cette firme de génie-conseil pour optimiser la centrale entre 2012 et 2014. « Dès lors que l’on s’éloigne des conditions optimales de fonctionnement, le processus n’est en réalité pas du tout efficace. »

Il est pourtant primordial d’exploiter de manière optimale les systèmes de récupération de la chaleur dans le Nunavut, une région où Agnico Eagle dépend du diesel pour toutes les sources d’énergie utilisées sur le site. « Nous avons des mines dans le sud du Québec, et plus au sud dans d’autres pays. Si l’optimisation énergétique reste au cœur de nos préoccupations dans ces mines, nous franchissons une tout autre étape au Nunavut », indiquait Éric Lavoie, ingénieur électricien à Agnico Eagle, qui a travaillé étroitement avec M. Allen sur la conception de la centrale de Meliadine (sa mise en service remonte à novembre 2018, et la production commerciale a débuté en mai 2019). « Au Nunavut, nous comptons chaque kilowatt disponible, et nous nous efforçons de trouver une utilité à cette énergie. »

Étapes vers la récupération

Afin d’optimiser la récupération de la chaleur à Meadowbank, BBA a orienté ses efforts sur des mesures spécifiques à petite échelle, par exemple en mettant en place des procédures de nettoyage visant à améliorer les taux de récupération de la chaleur des gaz d’échappement des moteurs des génératrices, tout en tenant compte du contexte global. « La société n’a jamais clairement officialisé sa stratégie de tolérance au risque en cas de pannes », déclarait M. Allen. C’est un point important, car si les opérateurs de centrales électriques ne paient pas pour le carburant, ils se sentent responsables des pannes. Ainsi, il est courant qu’ils fassent tourner tous les moteurs à une charge inférieure. Si cette pratique consomme davantage de carburant, elle a le mérite de donner aux opérateurs une réserve immédiate dans laquelle puiser si la charge atteint un pic ou si une génératrice tombe subitement en panne. M. Allen et son équipe ont demandé aux dirigeants d’Agnico Eagle « quel nombre de pannes ils acceptaient par an et combien d’argent la société perdait, et s’il était préférable de faire tourner tous les moteurs à plus bas régime ». Par conséquent, les génératrices fonctionnaient à plus haute température, à un facteur de charge supérieur, ce qui a amélioré les taux de récupération de la chaleur.

Ces changements et d’autres ont permis de réduire la consommation annuelle de diesel d’environ deux millions de litres au site de Meadowbank, sans aucune amélioration ni modernisation majeures de l’équipement. Quand vint le moment de procéder à une conception détaillée de la centrale de cogénération à Meliadine, le second projet d’Agnico Eagle dans le Nunavut, la société a de nouveau pris contact avec BBA pour lui demander d’intégrer à sa nouvelle mine les enseignements que son équipe avait tirés à Meadowbank.

Immédiatement, Agnico Eagle a souhaité faire participer l’équipe des opérations au processus de construction et à la mise en service de la centrale, de manière à ce que le personnel de Meliadine maîtrise mieux les systèmes afin de parvenir aux taux souhaités de récupération de la chaleur. « C’est un projet difficile, car la complexité des systèmes est proportionnelle à la quantité de chaleur que l’on veut récupérer », indiquait M. Allen. « Si les utilisateurs ne gèrent pas le système correctement, nous aurons beau concevoir la centrale électrique la plus performante, elle n’atteindra jamais son rendement optimal. »

Le système conçu par BBA injecte de l’énergie thermique récupérée dans les groupes électrogènes dans un circuit d’eau chaude qui réchauffe l’usine de traitement et tous les autres bâtiments de l’exploitation en surface reliés au réseau. Un deuxième circuit chauffe ensuite l’air dans la mine souterraine à environ deux ou trois degrés Celsius (°C) avant de revenir dans l’usine où l’eau refroidie est de nouveau chauffée. Ce système de distribution de la chaleur s’étend au total sur plus de cinq kilomètres. D’après M. Allen, il chauffe en toute fiabilité les bâtiments en surface, mais a besoin d’aide pour chauffer la mine souterraine lorsque la température descend en dessous de -25 °C.

L’efficacité énergétique totale de la centrale de cogénération est estimée à 80 %, indiquait M. Allen. « En d’autres termes, chaque kilogramme de diesel contient approximativement 43 mégajoules, dont environ 19 mégajoules sont converties en électricité et 16 mégajoules en chaleur en hiver », précisait-il.


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La fiabilité, un facteur crucial

La fiabilité est un facteur capital à prendre en compte dans les centrales électriques hors réseau. Une panne de génératrice entraînerait l’immobilisation de la production dans toute l’exploitation, ce qui pourrait s’avérer coûteux. Afin de minimiser ce genre de désagréments, Agnico Eagle a mis en œuvre un plan de délestage des charges, qui permet à l’opérateur de faire fonctionner les moteurs à des charges optimales afin d’obtenir le meilleur rendement des génératrices. « Si l’un des moteurs s’arrête instantanément pour un problème quelconque, il suffit de délester les charges, par exemple en coupant l’électricité à la cafétéria ou dans les logements, ou en arrêtant une partie du processus qui n’affectera pas la productivité », indiquait M. Allen. « Aucun investissement supplémentaire n’a été nécessaire. Il fallait simplement envisager le réseau de manière intelligente. En cas de problème, il suffit de délester les charges d’un secteur que l’on a choisi au préalable. » L’opérateur dispose ainsi du temps suffisant pour activer la génératrice de secours, et l’électricité est rétablie dans les zones affectées quelques minutes plus tard.

Agnico Eagle a aussi renforcé la fiabilité de la centrale de Meliadine en achetant des génératrices Wärtsilä à haut rendement de 5,6 mégawatts. Ces groupes électrogènes de 720 tours/minute fonctionnent à faible vitesse, ce qui signifie que le moteur s’use moins vite et est plus fiable. Leur rendement est également supérieur de 5 % à celui des génératrices de 900 tours/minute utilisées à Meadowbank. Ce gain d’efficacité se traduit par une économie d’environ 2,5 millions de litres de diesel par an.

Mais les gains ne s’arrêtent pas là, expliquait M. Allen. Agnico Eagle ne peut s’approvisionner en carburant que pendant quatre mois de l’année, lorsque la glace fond dans la baie d’Hudson. De fait, cette économie engendre une réduction du nombre de cuves de stockage nécessaires et du carburant à transporter sur le site, ainsi que du nombre de camions sur les routes. Elle se traduit également par une réduction du risque de marées noires et des émissions de gaz à effet de serre (GES). « Quand on vit dans le Nord, les avantages d’une baisse de la consommation de diesel sont innombrables. »

BBA a fait valoir les facteurs de rentabilité des groupes électrogènes plus coûteux. Les économies de diesel n’étaient pas le seul élément à prendre en compte avec chacune des gigantesques génératrices de 100 tonnes. « Pour réduire la vitesse et obtenir la même quantité d’électricité, il faut un plus gros moteur, d’où le coût supérieur », indiquait M. Allen. « Il faut aussi plus d’espace dans votre bâtiment, et une plus grande capacité portante. » Agnico Eagle a pris la décision d’investir car le délai de récupération de l’investissement dans ces génératrices, par rapport à celles utilisées à Meadowbank, était de deux années seulement (la durée de vie prévue de la mine de Meliadine est de 12 ans).

Le transport des génératrices jusqu’au site a posé quelques difficultés logistiques, notamment en raison de l’absence d’un port en eaux profondes dans le Nunavut. Chaque génératrice a été transférée d’un bateau ancré en eaux profondes vers un semi-remorque à plusieurs essieux placé sur une barge. Lorsque la barge est arrivée à terre, les semi-remorques ont été tractés sur le rivage puis sont partis en direction de Meliadine, à 35 kilomètres de là. Cinq génératrices et les éléments de huit bâtiments préfabriqués de 50 tonnes pour la centrale de cogénération ont été envoyés à la mine de cette manière. Avec l’arrivée tardive de l’été en 2018, le calendrier a été décalé.

Des carburants pour l’avenir

Dès le début, Agnico Eagle s’est fait une priorité de limiter les risques à Meliadine en s’assurant que sa centrale serait compatible avec le gaz naturel liquéfié (GNL) et les énergies renouvelables. Les raisons de cette décision coulaient de source. De fait, si la mine utilise des dizaines de millions de litres de diesel par an et que le prix de ce carburant augmente ne serait-ce que de 0,50 dollar, la société se retrouve coincée et les coûts d’exploitation augmentent de dizaines de millions de dollars.

On trouvait déjà sur le marché des génératrices bicombustibles fonctionnant au diesel et au GNL, expliquait M. Allen. « Le problème est que si l’on utilise la technologie bicombustible mais que la machine tourne au diesel, on se retrouve avec un rendement inférieur de 3 % en attendant [l’intégration possible] de l’option gaz naturel [ultérieurement]. » Après s’être entretenue avec de nombreux fabricants, Agnico Eagle s’est tournée vers la société finlandaise Wärtsilä qui lui a proposé une solution lui permettant, plus tard, de facilement convertir ses génératrices au GNL. « Ces moteurs sont tout aussi performants que ceux fonctionnant au diesel, mais si l’on décide de les convertir en moteurs bicombustibles, cela ne prend que deux semaines ; l’investissement dans la conversion a lieu à ce moment-là, et on peut rapidement commencer à les utiliser », précisait M. Allen. La société pourrait échelonner l’adoption des groupes électrogènes de manière à ne pas perturber les activités.

La centrale permet également l’intégration des énergies renouvelables. « Nous avons mené des études en interne sur un parc éolien et nous y travaillons depuis maintenant environ deux ans », indiquait M. Lavoie. « Il nous faut de nouveau garder l’esprit ouvert et chercher les occasions qui s’offrent à nous. »

Cette flexibilité à modifier le cours des choses dans un contexte où les vents changent signifie que tant que Meliadine produira de l’or, Agnico Eagle tirera profit de son investissement initial et sera récompensée pour la planification préalable de sa centrale de cogénération.Traduit par Karen Rolland