Le système aérien de la mine repose sur des monorails suspendus au plafond, un système que l’industrie européenne du charbon utilise depuis longtemps. Avec l'aimable autorisation de Torex Gold

“L’exploitation minière est fondamentalement une affaire de logistique, de manipulation », déclarait Fred Stanford, président et chef de la direction de la société Torex Gold Resources Inc. de Toronto. « Certes, on effectue des travaux de forage et d’abattage à l’explosif en amont, accompagnés de travaux de soutènement, mais le reste consiste essentiellement à déplacer des matériaux. »

Depuis 30 ans, M. Ford s’efforçait de trouver une solution à ce problème. Son « passe-temps bizarre » consistait à imaginer un nouveau système minier performant, jusqu’à ce que lui apparaisse, il y a cinq ans vers trois heures du matin, la dernière pièce du puzzle. Ce premier obstacle résolu, il présentait son projet au conseil d’administration de Torex Gold et se fixait l’objectif de réaliser son rêve.

Le système de M. Stanford permet le transport sur deux voies dans une galerie souterraine deux fois moins grande qu’une galerie classique. Il l’a baptisé le système minier Muckahi, d’après un cri de ralliement qu’il lançait à chaque début de poste lorsqu’il était surveillant de mine chez INCO. Dans une mine Muckahi, on installe un système à deux rails (ou système bi-rails) au plafond de galeries étroites et pentues. Au front de taille, des racleurs d’ancienne génération vident le minerai dans un système de transporteur ; ce minerai est ensuite chargé sur des transporteurs suspendus au monorail, puis transféré dans des transporteurs fixés au sol qui l’amènent en surface le long de plans inclinés quatre fois plus pentus et donc bien plus courts que ceux d’une mine souterraine conventionnelle. Le minerai est collecté une seule fois au front de taille, puis déposé au concentrateur, le tout en flux continu. Il n’y a pas de camions, et le système repose sur une technologie adaptée à partir de méthodes anciennes de l’industrie minière et d’autres industries.

« On est aux antipodes du tout numérique », déclarait M. Stanford. « C’est ce qu’on appelle du bon vieux génie des procédés. »

D’après les calculs de M. Stanford, son réexamen complet de l’exploitation minière souterraine réduira de 30 % les coûts d’investissement moyens liés à la construction d’une nouvelle mine ainsi que les coûts d’exploitation de cette mine. Le délai entre l’investissement initial et la phase de production d’une mine générant des revenus peut potentiellement diminuer de 80 % ; quant aux émissions de gaz à effet de serre (GES) sous terre, on pourrait pratiquement les éliminer.

Une option flexible

Remplacer les camions de transport par un système à rails comporte plusieurs avantages, l’un d’eux étant la taille de l’équipement. La tendance dans l’industrie minière est d’adopter des camions toujours plus gros pouvant transporter toujours plus de minerais en un seul trajet ; cependant, cela requiert l’excavation et l’entretien de galeries plus grandes pouvant les accueillir. Pour un camion de 50 tonnes, il faudra une galerie de 5,5 mètres de large et de haut, soit une section transversale de 30,25 mètres carrés. En revanche, deux wagons longs et étroits de 1,5 mètre de large et de la même taille et forme que le tramway de Toronto peuvent se dépasser dans une galerie de 4 mètres sur 4, soit 16 mètres carrés au niveau de la section transversale. Les galeries qui font la moitié de la taille classique requièrent moins d’excavation de roches, et beaucoup moins d’air à ventiler pendant l’exploitation.

Cependant, M. Stanford admettait que les wagons longs et étroits basculent facilement et peuvent dérailler s’ils roulent sur une roche, petite ou de taille moyenne. Pour résoudre ce problème, il s’est tourné vers l’industrie européenne du charbon, qui utilise depuis plus de 40 ans des systèmes de monorails suspendus au plafond. Les rails sont accrochés au plafond car les contraintes de la roche entraînent un soulèvement du sol, ce qui ne se produit pas dans le plafond. En outre, en suspendant les rails au plafond à l’aide d’une chaîne, les maillons de la chaîne peuvent être ajustés de manière à ce que le monorail reste à l’horizontal si la galerie se rétrécit.

Le monorail présente un autre avantage par rapport à un parc de camions, à savoir l’angle auquel on peut l’exploiter. Les camions ne peuvent pas monter une pente supérieure à 10 degrés sans que leurs pneus patinent et sans perdre leur traction ; un monorail, quant à lui, peut monter une pente de plus de 30 degrés. Ainsi, si l’angle des plans inclinés dans les mines traditionnelles est d’environ sept degrés, on peut utiliser le monorail dans une galerie quatre fois plus pentue.

« Si l’on peut augmenter le degré de la pente jusqu’à quatre fois pour parvenir au même changement d’élévation, la galerie que j’envisage fera seulement un quart de la longueur », expliquait M. Stanford. « À un quart de la longueur, on arrive plus vite à destination. »

Toutefois, même avec un monorail suspendu au plafond dans les galeries d’accès droites qui descendent vers le front de taille, il fallait tout de même résoudre le problème du déblaiement des matériaux fraîchement brisés avec un trafic à double sens dans des galeries étroites et incurvées.

« La réponse qui m’est venue à trois heures du matin était qu’on pouvait installer un système de chargement flexible se déplaçant sur le monorail », indiquait M. Stanford. « À distance du minerai, on peut placer des galeries d’accès et des transporteurs rectilignes. Une fois que l’on se rapproche du minerai, il faut pouvoir y accéder en fonction de la géométrie du gisement. Le transporteur doit pouvoir s’incurver. »

Torex Gold utilise des pièces de jumbos sur des monorails suspendus au plafond. Avec l'aimable autorisation de Torex Gold

La solution qu’il proposait consistait à installer des transporteurs flexibles sur le système de monorail qui transportent le minerai du tas de déblais jusqu’à un point de transfert. Les matériaux du tas de déblais sont chargés sur le transporteur installé sur le monorail ; la courroie tourne lentement, acheminant ainsi le minerai jusqu’au bout du transporteur. Lorsque toute la longueur de la courroie de transport est chargée, la courroie arrête de tourner et le transporteur part alors vers le point de déchargement. La courroie recommence alors à tourner et transfère le minerai sur un transporteur fixé au sol, qui l’achemine sur un plan fortement incliné jusqu’à la surface de la mine.

La question était de savoir comment charger ces transporteurs.


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Une solution ancienne à un nouveau problème

L’équipe de Torex a exclu la possibilité d’utiliser une benne à godet ou l’équivalent car ce genre d’équipement de chargement requiert l’excavation d’une galerie plus grande afin de pouvoir se déplacer et tourner.

« La solution était une bonne vielle benne racleuse », indiquait M. Standford. Simple et fiable, il s’agit d’un système treuil à deux ou trois tambours qui tire d’avant en arrière un racleur. Avec le mouvement de traction, le racleur ramasse les matériaux de déblai et les envoie à l’extrémité du transporteur flexible. Avec le mouvement de recul, le racleur revient en arrière pour le chargement suivant. L’industrie minière n’utilisait plus les racleurs depuis des décennies pour des questions de sécurité qui ne pouvaient être résolues à l’époque.

L’un des risques était qu’il fallait placer manuellement la poulie de renvoi là où elle devait se trouver, dans la zone non stabilisée proche du front de taille. Avec un monorail suspendu au plafond, indiquait M. Stanford, un bras articulé qui s’étend au-delà de l’extrémité du système permet de remettre en toute sécurité la poulie de renvoi dans cette zone non stabilisée sans exposer les travailleurs à un quelconque risque. Les matériaux de déblai peuvent être raclés et directement chargés sur le transporteur, également fixé sur le monorail.

« Avec des systèmes à doubles rails dans la galerie, l’un qui entre et l’autre qui sort, on peut avoir un second transporteur flexible en attente sur la voie entrante. Dès que l’un d’eux passe, le deuxième arrive juste derrière lui dans la zone de chargement. De fait, le marinage devient continu. »

La taille n’est pas toujours synonyme de meilleure performance

M. Stanford décrit l’abattage à l’explosif et la fragmentation des roches comme le « talon d’Achille » du système Muckahi. Ce système ne peut en effet pas transporter de grosses roches comme le pourrait un camion de transport gigantesque. Le minerai doit être fragmenté suffisamment fin pour être acheminé par le système de transporteurs jusqu’à la surface. Ceci implique une vigilance supplémentaire de la part des mineurs lors de la planification, du forage et du placement des explosifs. Les trous de forage moins espacés pendant l’étape d’abattage à l’explosif garantissent une fragmentation plus fine, mais le forage et l’abattage à l’explosif coûteront davantage.

« On dépense davantage à cette étape », indiquait M. Stanford. « Mais comme tout le monde le sait, les explosifs restent le moyen le moins coûteux de briser la roche. Ainsi, on s’attend à économiser dans le broyeur SAG l’argent que l’on dépense dans l’abattage à l’explosif. » Les matériaux de déblai les plus fins de la mine passent plus facilement dans le broyeur semi-autogène (broyeur SAG), permettant d’économiser temps et énergie dans le concentrateur.

Plus qu’un projet chimérique

Le complexe El Limón Gaujes (ELG) comprend trois exploitations à ciel ouvert et deux souterraines au sein de la propriété aurifère Morelos de Torex Gold dans la ceinture aurifère Guerrero, au sud de Mexico. Le complexe ELG est en phase de production depuis début 2016. À cette époque, Torex Gold avait engagé Medatech, une société spécialisée dans le génie mécanique, pour la reconception et la modification de l’équipement en vue du nouveau système minier. Torex Gold utilise des pièces de jumbos d’Epiroc et a acheté le train roulant du monorail dans le commerce auprès de Becker Mining Systems, en Pologne. Malgré le peu de nouvelles technologies dans ce système, il a fallu beaucoup de travail pour déterminer comment rendre l’équipement suffisamment étroit et stable pour pouvoir l’exploiter sur le système de monorail.

Au deuxième trimestre 2019, une équipe dédiée a mis en service le système minier Muckahi dans le complexe El Limón Deep (ELD), l’une des deux exploitations souterraines du complexe ELG de Torex Gold. Cet essai, mené durant le troisième trimestre de l’année, s’est révélé convaincant ; ainsi, Torex a nommé le gisement ELD « mine Muckahi ». La société ne s’est pas contentée de tester les pièces, mais a mis à l’essai le système minier intégré Muckahi. Les travaux se poursuivent et avancent bien, indiquait M. Stanford.

Les transporteurs acheminant du minerai sur un plan fortement incliné dans une mine Muckahi fonctionnent à l’électricité et sont reliés au réseau électrique ; ainsi, il n’y a pas besoin de diesel pour transporter le minerai hors de la mine. Les transporteurs flexibles fonctionnant à tous les niveaux sous terre peuvent être alimentés par batterie. Pour le projet Media Luna de Torex, les concepts prévoient un système transportant les matériaux sur un plan fortement incliné dans le sens de la descente. Ce transporteur pourrait convertir l’énergie potentielle gravitationnelle en électricité, de manière à réduire encore plus les coûts liés à l’énergie. « Nous avons un transporteur de ce type dans notre mine ELG », déclarait M. Stanford. « Il produit près d’un mégawatt d’électricité. Au lieu de nous coûter de l’argent, le transport du minerai sur ce système nous en fait gagner. »

L’élimination des camions de transport alimentés au diesel dans l’environnement souterrain réduira les émissions de gaz à effet de serre, les particules de diesel et la poussière dans un espace plus confiné. Ainsi, on dépensera moins d’énergie pour l’aérage de la mine.

Torex Gold prévoit d’achever les essais du système minier Muckahi d’ici un an ou deux. D’après M. Stanford, la société pense pouvoir l’utiliser pour l’exploitation de son gisement Media Luna, à proximité, dont la production devrait commencer d’ici quatre à cinq ans. Media Luna est actuellement au stade de la faisabilité et sera reliée au concentrateur du complexe ELG par une nouvelle galerie de sept kilomètres. Torex Gold pourrait commencer à utiliser la galerie dès le début de l’année prochaine, mais pour l’instant, le concentrateur traite les matériaux du complexe ELG et ce, jusqu’au premier semestre 2024.

« Nous souhaitons intégrer le système minier Muckahi dans la conception de Media Luna », déclarait M. Stanford. En attendant, il discute volontiers avec d’autres de la façon dont ils peuvent mettre cette idée à l’épreuve.

Traduit par Karen Rolland