Pendant des années, la mine de niobium Niobec située à Saint-Honoré, au Québec (la seule mine souterraine de niobium et l’un des trois plus grands producteurs de niobium au monde), a connu des variations saisonnières dans ses circuits de flottation qui ont entraîné un déclin global de la récupération du niobium durant les mois d’hiver ainsi qu’une hausse importante de la consommation de réactifs. « Nous nous y sommes habitués sans vraiment penser à ce qu’il allait se passer », expliquait Jean-Sébastien Marois, métallurgiste en chef de Niobec. « Durant l’hiver 2014, la variation saisonnière a considérablement augmenté. Il est devenu évident que nous devions agir. »
Avec une réduction de près de 4 % dans la récupération du niobium cet hiver-là, M. Marois a lancé une enquête ; a suivi une année et demie d’essais et de recherches. En fin de compte, il a compris qu’il n’y avait pas qu’un coupable derrière la perte au niveau de la récupération, et que les variations saisonnières dans la flottation étaient un problème aussi peu compris que complexe. Il a aussi découvert avec son équipe un moyen simple et peu coûteux de régler le problème.
Comme l’expliquait Frank Cappuccitti, président de Flottec, qui travaillait avec M. Marois sur le projet, « ce qui est impressionnant, ce n’est pas la solution en elle-même, mais le procédé qu’a utilisée M. Marois. La logique, la procédure étape par étape qu’il a utilisées, les capacités de résolution de problème, c’est ce qui était véritablement important. »
En quête du coupable
Les procédés de récupération de Niobec comprennent des circuits de flottation inverse pré-pyrochlore qui permettent d’éliminer la pyrite et les carbonates. Le succès du circuit de flottation du pyrochlore suivant dépend des circuits précédents récupérant une quantité fixe de carbonates. Durant l’hiver 2014-2015, M. Marois et son équipe ont commencé par se concentrer sur la flottation des carbonates afin de résoudre le problème de l’effet négatif de la saison hivernale, après qu’ils ont constaté que même en ajoutant quatre fois la quantité classique de réactifs à ces circuits, la récupération de carbonates n’était toujours pas suffisante.
« La flottation des carbonates est un procédé très utilisé, aussi nous nous attendions à ce que d’autres aient rencontré le même problème, mais nous n’avons tout simplement rien trouvé », indiquait M. Marois. « C’était décourageant. Toutefois, dans le cas des variations saisonnières, la première chose à étudier est la température. »
Il a demandé de l’aide à M. Cappuccitti, un expert en chimie des réactifs dont la société Flottec développe et propose des technologies et des services de flottation.
M. Cappuccitti a lui-même essayé de résoudre ce problème et a rapidement présumé qu’il provenait du point de trouble (la température à laquelle les acides gras commencent à cristalliser) des acides gras C4 présents dans le réactif utilisé à Niobec.
« Les acides gras commencent à cristalliser et ne restent pas en solution lorsque la température baisse », indiquait M. Cappuccitti. « En été, on ajoute donc ce réactif au circuit de flottation ; il est totalement soluble et actif, et ne présente aucun problème. La température de l’eau baisse soudain à 2 ou 3 °C ; on ajoute alors environ 100 grammes de réactif, mais la solution se solidifie et gèle, aussi on n’en utilise qu’une petite fraction. »
D’après M. Cappuccitti, un point de trouble moins élevé aurait pu résoudre les problèmes de Niobec. Le réactif utilisé à Niobec, et de fait dans de nombreuses exploitations au Canada et aux États-Unis, est composé d’un acide gras dérivé d’arbres du sud des États-Unis. M. Cappuccitti a alors supposé que les arbres que l’on trouve dans des climats plus au Nord possèdent des acides gras dont le point de trouble est moins élevé. Après avoir mené des recherches avec une société de Scandinavie, un acide gras formulé a été développé à l’aide de tallöl, une résine liquide des pays du Nord. Son point de trouble se situait à 1 °C.
Retour à la case départ
En juillet 2015, M. Marois et son équipe ont testé dans leur laboratoire X200-12 un nouveau réactif mis au point par Flottec, avec des eaux de traitement refroidies dans un congélateur. Il apparaît que l’une des difficultés de l’étude des variations saisonnières dans la flottation réside dans les changements de température saisonniers. « Nous essayions de faire des essais en hiver en réchauffant notre eau de traitement, et en été en la refroidissant », expliquait M. Marois.
Comme le confirmaient les essais, si le nouveau réactif a permis des améliorations en termes de récupération, l’eau de traitement hivernale affichait toujours des performances moindres que celles de l’été, indépendamment de la température de l’eau dans le laboratoire. « C’était le point de départ de notre étude ; nous avons alors compris qu’un autre élément entrait en jeu », indiquait M. Marois. « Nous nous sommes donc demandés quels éléments déjà connus pouvaient affecter le fonctionnement de la flottation des carbonates avec les acides gras. Nous avons envisagé toutes les solutions possibles au vu de ce que nous avions mesuré et analysé dans notre usine, puis avons recherché des variations qui correspondent aux saisons », ajoutait M. Marois.
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Il a alors fait appel au département de l’environnement de Niobec ainsi qu’à la quantité considérable de données sur la surveillance de l’eau que la société avait recueillies au fil des ans. M. Marois a analysé les données et s’est concentré sur les phosphates comme un suspect possible dans les pertes au niveau des récupérations, car on connaît leurs répercussions négatives sur la flottation. « Le problème est que nos coefficients de phosphate sont très faibles, de l’ordre de cinq parties par million (ppm) dans l’eau de traitement, et les essais en laboratoire montraient que la flottation était, de fait, affectée par des concentrations bien plus élevées que cela », indiquait M. Marois. « Nous avons 18 000 ppm de solides dissous, aussi cela nous a paru insignifiant par rapport à tout ce que l’on a trouvé dans l’eau. C’était un point très complexe de notre étude, que nous ne pouvions comprendre entièrement. Nous nous sommes retrouvés devant un mur. Pendant des semaines, nous ne savions que faire. »
À la recherche des phosphates
M. Marois a continué à étudier les données. Un jour, il a remarqué un élément bizarre ; les concentrations en phosphate étaient différentes en fonction du lieu d’échantillonnage de l’eau. L’eau de traitement prélevée dans les bassins de décantation des résidus affichait des concentrations de 8 ppm, mais ces dernières étaient proches de 0 ppm lorsque l’eau était prélevée dans les cuves de flottation. « Lorsqu’on observe de faibles différences au niveau des concentrations dans deux eaux normalement identiques, la première chose à laquelle on pense est qu’il y a une erreur dans l’analyse », indiquait M. Marois.
À la fin de l’hiver 2015-2016, le taux de récupération du niobium avait chuté de 6 %. L’équipe s’est engagée dans une course contre la montre, mais elle a fait marche arrière et a surveillé l’eau pendant toute l’année qui a suivi. « En étudiant ces données, j’ai compris que ce n’était pas une coïncidence. Les concentrations en eau contenant des carbonates étaient sensiblement plus faibles », expliquait M. Marois. « Ces découvertes ont vraiment remis notre étude sur la voie. Si l’on est en présence d’une eau de traitement à 8 ppm de phosphates qui, lorsqu’on la retire de la cuve de flottation, ne contient plus ces phosphates, on se demande immédiatement où ils sont passés. Il est évident qu’ils partent quelque part. »
Les phosphates, concluait M. Marois après plusieurs essais en laboratoire, étaient absorbés par les carbonates. Déconcerté par l’apparition des phosphates, il s’est fait une représentation mentale du concept de mine-to-mill (depuis l’extraction du minerai dans la fosse jusqu’à son transport à l’usine de concentration). Au niveau de l’usine, des quantités importantes d’eau de traitement sont ajoutées pendant le broyage, le déschlammage et la flottation des carbonates pour le contrôle de la densité de la pulpe. C’est à ce moment-là qu’il a compris l’importance de la fréquence de l’entrée en contact des carbonates avec l’eau de traitement. « Nous pensions bien faire les choses au laboratoire en utilisant l’eau de traitement que l’on trouvait dans le concentrateur, à la température du concentrateur, avec le minerai du concentrateur, et avec toutes les conditions qui nous semblaient correctes dans notre flottation. Nous faisions tout dans les règles », indiquait-il. « Nous n’avions cependant pas envisagé ce qu’il se passait avant, et ce qui aurait pu influencer la flottation. Il faut vraiment tenir compte de l’intégralité du procédé lorsque l’on tente de reproduire ce qu’il se passe dans le concentrateur. »
L’équipe a procédé à de nouveaux essais qui reproduisaient l’ajout de l’eau de traitement, et a confirmé qu’à chaque fois que les carbonates entraient en contact avec l’eau, ils absorbaient plus de phosphates. Une question les laissait cependant perplexes. « En été, les bassins se remplissaient d’une prolifération d’algues, mais on ne retrouvait aucun phosphate dans les flux de résidus. Que consommaient donc les algues si le concentrateur n’envoyait aucun phosphate dans les bassins ? Et d’où venaient les phosphates présents dans l’eau de traitement ? », se demandait M. Marois.
Des raisonnements et des essais plus poussés lui ont permis de trouver la réponse à cette dernière question. Les phosphates provenaient du filtre de la solution de lixiviation, mais seulement lorsque la quantité d’apatite à filtrer s’élevait, notamment durant les mois d’hiver. « Tout ceci avait un effet de rétroaction », indiquait M. Marois. La boucle commençait par les faibles performances en hiver de l’acide gras à un point de trouble élevé, qui entraînaient le déplacement des phosphates jusqu’aux étapes suivantes du procédé, lesquels se dissimulaient dans le filtre de la solution de lixiviation et finissaient dans les bassins de décantation des résidus.
M. Marois et son équipe savaient qu’ils devaient trouver un moyen de briser cette boucle de rétroaction en empêchant les phosphates de se retrouver dans le bassin de décantation des résidus. Ils ont alors transféré la solution de lixiviation filtrée du concentrateur vers un effluent plus concentré en phosphates et ont utilisé le réactif d’acides gras à faible point de trouble dans la flottation des carbonates.
« Nous avons pu maintenir une concentration en phosphate relativement faible, et lorsqu’est arrivé l’hiver 2017-2018, nous avons surveillé afin de nous assurer que le bassin ne contenait aucun phosphate », expliquait M. Marois. « Ceci a confirmé que nous avions raison. L’effet saisonnier n’a plus jamais été un problème ; nous sommes en janvier 2019 et tout fonctionne à merveille. »
Traduit par Karen Rolland