Amanda Hartin contrôle à distance une chargeuse frontale souterraine à partir d’une salle de contrôle en surface à la mine Northparkes de CMOC. Avec l’aimable autorisation de CMOC-Northparkes

Dans une mine de charbon souterraine, un mineur désactive le système de neutralisation de l’arrêt d’urgence d’un engin minier de manière à ce que l’engin continue de fonctionner lorsqu’il se trouve dans une zone « de fermeture » détectée à proximité. Le mineur meurt écrasé par l’engin.

Un camion de transport autonome prend un virage auquel ne s’attend pas le conducteur du camion-citerne. Le camion de transport ne fait aucune manœuvre d’évitement et les deux véhicules entrent en collision, entraînant des dégâts des deux côtés.

Ces deux exemples bien réels mettent en avant les accidents qui peuvent se produire lorsqu’un(e) conducteur(– trice) ne saisit pas totalement, ou ne respecte pas les systèmes automatisés avec lesquels il ou elle interagit chaque jour. Robin Burgess-Limerick, professeur spécialisé dans les facteurs humains au Minerals Industry Safety and Health Centre (le centre dédié à la santé et la sécurité dans l’industrie minière) de l’université du Queensland, en Australie, étudie ces exemples et d’autres afin de comprendre comment les sociétés minières peuvent améliorer la conception de systèmes automatisés qui tiennent compte des possibilités infinies pour leurs employés de travailler avec des machines.

L’intégration des systèmes humains (ISH), expliquait-il, prend en compte les limites et les capacités des humains à concevoir des technologies et des systèmes sûrs. Cette technologie doit constituer la base de l’appréhension par les sociétés minières des systèmes automatisés.

L'une des principales raisons invoquées par les sociétés concernant l’intégration de l’automatisation est qu’elles souhaitent éloigner les humains de zones dangereuses ou de tâches subalternes, où l’attention de l’opérateur(– trice) peut diminuer. Les systèmes automatisés introduisent cependant des dangers potentiels. « Les systèmes deviennent suffisamment complexes pour que surviennent des conséquences négatives même en l’absence d’une défaillance quelconque », expliquait M. Burgess-Limerick, en faisant référence à un incident récent où un camion de transport automatisé avait dû être déplacé manuellement. Un opérateur est monté dedans pour démarrer son système informatique ; ce faisant, le camion est devenu détectable par le parc de camions de transport automatisés en service dans le circuit. Malheureusement, l’opérateur est descendu de l’engin avant que l’ordinateur ne soit totalement activé, entraînant une collision avec un véhicule autonome qui n’avait pas détecté la présence de cet autre engin. « Dans cette situation, aucune défaillance n’est intervenue. Tout fonctionnait comme prévu ; simplement, personne n’avait envisagé cette situation. Rien ni personne n’a informé le conducteur qui a pris la main sur le camion automatisé que l’engin n’était pas détecté par le système automatisé », indiquait-il. « Ceci montre bien que les moyens traditionnels permettant d’évaluer ce qui pourrait mal tourner ne sont pas nécessairement adaptés lorsqu’on a affaire à des systèmes complexes comme ceux-ci. »

Les opérateurs doivent participer

Afin d’intégrer correctement l’automatisation, expliquait M. Burgess-Limerick, les concepteurs des systèmes et les opérateurs qui les actionneront doivent travailler de pair afin de comprendre les conséquences humaines potentielles de son adoption. « Il s’agit réellement d’un processus de conception en collaboration, dans lequel les ingénieurs et les opérateurs travaillent de concert pour concevoir l’interface et les systèmes », indiquait-il. « Selon moi, cette approche a plus de chance de réussir que si les ingénieurs fabriquent un système seuls et le présentent au site minier en indiquant aux employés qu’ils ne leur restent plus qu’à l’utiliser. »

Cette leçon a été tirée d’une étude menée à la mine Northparkes de CMOC en Nouvelle-Galles du Sud (Australie), que M. Burgess-Limerick a rédigée en collaboration avec deux autres professeurs et Joe Cronin, qui a contribué à la mise en œuvre réussie d’un projet d’automatisation d’un chargeur-transporteur (LHD, de l’anglais load-haul-dump) en 2009, alors que la société appartenait encore à Rio Tinto. Cette mine de cuivre-or est l’une des premières à avoir utilisé des chargeuses frontales automatisées pour l’exploitation au moyen du foudroyage par blocs. À l’heure actuelle, les opérateurs de la salle de contrôle commandent trois chargeuses souterraines chacun ; ils prennent le contrôle manuellement pour charger le minerai aux points de soutirage, puis laissent l’engin fonctionner automatiquement pour décharger le minerai dans le concasseur souterrain. Six ans après l’achèvement du projet en 2013, la mine Northparkes est 23 % plus productive qu’avant, à 76 % du coût, tout en ayant réussi à éloigner ses employés des dangers potentiels que comporte l’environnement souterrain.

Il a fallu beaucoup de travail pour y parvenir. La première chose que M. Cronin a faite après avoir été désigné pour diriger le projet était de réunir toute la société dans une même pièce. « Nous avons fait venir toute l’équipe et avons suspendu toute activité minière », indiquait-il. Ensemble, ils ont dressé une liste de chaque activité qui se produit dans la mine chaque jour, grisant un mur entier avec les tâches quotidiennes. M. Cronin a ensuite demandé quelles tâches parmi celles décrites pourraient théoriquement être affectées par le système de chargeuse proposé. « En fin de compte, toutes les activités étaient affectées par l’automatisation. » De l’accès réduit en souterrain à la programmation des changements de postes, toutes les activités étaient concernées.

Intuitivement, M. Cronin savait que les opérateurs de chargeuses qui effectuaient ces tâches sous terre depuis des années étaient les plus à même de fournir des informations utiles pour documenter la conception du système. « La seule façon de parvenir au meilleur résultat est d’intégrer les préposés aux opérations dans l’équipe du projet dès le début », indiquait-il. « L’une des principales causes de l’échec de la technologie dans l’exploitation minière est que l’équipe de projet impose un projet d’automatisation depuis son bureau, totalement isolée, et décide du plan à suivre. » Les personnes qui vont utiliser ce système se retrouvent totalement laissées de côté, ce qui rend difficile de leur passer la main.

M. Cronin établit une relation de confiance en demandant aux opérateurs de prendre part à chaque décision. « Je leur explique que si mon rôle est de faciliter le processus, le leur est d’assurer le fonctionnement. » Lorsque l’équipe se rencontre pour discuter des problèmes, les opérateurs se réunissent et trouvent des solutions. « Nous n’avons eu besoin ni d’experts, ni d’ingénieurs miniers ni de conseillers opérationnels. »


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Excès d’informations

L’un des grands problèmes qu’a rencontré l’équipe de M. Cronin dès le début portait sur la quantité massive d’informations que recevaient les opérateurs de leurs machines par le biais des interfaces de la salle de contrôle. « Ils étaient bombardés de messages d’alarme », indiquait-il. Des fenêtres apparaissaient constamment sur leurs écrans, mais aucune différence n’était établie entre la mise à jour d’un diagnostic et les alarmes critiques. Pour ne pas prendre de retard sur leur travail, les opérateurs s’adaptaient en fermant les fenêtres une à une sans nécessairement consulter leur contenu. « Ils ont simplement pris l’habitude de cliquer », expliquait M. Cronin.

Un jour, un opérateur a envoyé une chargeuse dans le mur. « Nous avons mené une enquête et il est apparu que la chargeuse avait envoyé une alerte indiquant ne pas savoir où elle se trouvait », ajoutait-il. L’opérateur ou l’opératrice peut cliquer pour accuser réception du message d’alarme et transmettre à la machine l’information de poursuivre sa mission. L’engin se déplace alors de cinquante centimètres pour que l’analyseur essaie de le resituer. « Nous avons conclu que [l’opérateur ou l’opératrice] avait accusé réception de ce message et avait indiqué à la machine de poursuivre sa mission 19 fois avant qu’elle ne heurte la paroi », ajoutait M. Cronin en plaisantant. « Si personne n’en tient compte, à quoi servent les alarmes ? »

En fin de compte, l’équipe a mis à jour son logiciel pour éliminer les avertissements non critiques. Pour les alertes importantes, par exemple si la chargeuse encourt des dégâts ou ne fonctionne plus, l’équipe a créé une fenêtre secondaire qui apparaît pour confirmer que l’opérateur ou l’opératrice en a bien pris note. Il est indispensable de régulièrement ajuster les systèmes, insistait M. Cronin ; de fait, les produits des fabricants d’équipement d’origine (FEO) ne peuvent tout simplement pas être acquis dans le commerce et propulsé dans n’importe quelle exploitation.

Les machines sont nos amies

Il est probable que les travailleurs fassent de la résistance face à l’automatisation par crainte que ces systèmes ne les remplacent. Le personnel peut faire preuve d’un certain ressentiment envers ces systèmes et même essayer de les saper par souci de préservation.

M. Cronin a cependant assisté à l’effet inverse. S’il ne travaille plus à la mine Northparkes (il a depuis lancé sa propre société de robotique), il y retourne souvent pour tester ses inventions dans l’environnement souterrain ; il s’y trouvait d’ailleurs cet été. « L’un des plus anciens opérateurs m’a pris à part et m’a remercié. Je lui ai demandé pourquoi et il m’a expliqué que dix ans auparavant, sa carrière semblait toucher à sa fin. On l’envoyait travailler dans les chargeuses, il se réveillait le matin avec des courbatures douloureuses et ne pensait pas pouvoir continuer. Aujourd’hui, il travaille dans un bureau confortable à la surface, et il remplit plus de godets qu’il n’a jamais remplis physiquement dans la chargeuse sous terre. Il a gagné dix ans de carrière. »

Quant à M. Burgess-Limerick, il a obtenu des fonds de l’Australian Coal Association (ACA, l’association australienne du charbon) pour mettre sur pied une équipe des universités du Queensland et de Pittsburgh, de l’U.S. National Institute for Occupational Safety and Health (NIOSH, l’institut national américain pour la sécurité et la santé au travail), de l’université Laurentienne et de BHP qui devra déterminer quelles parties de l’intégration des systèmes humains requièrent un examen plus détaillé afin de concevoir des systèmes automatisés plus sûrs dans l’exploitation minière. La tendance, expliquait-il, est d’étudier les échecs afin de s’assurer qu’ils ne se reproduisent pas. Il est aussi d’avis que l’on peut tirer des enseignements en étudiant les réussites. « Si l’on ne sait pas comment on a procédé pour réussir la fois précédente, comment savoir si l’on va réussir la prochaine fois. »

Traduit par Karen Rolland