Josephine Morgenroth, ingénieur géotechnique et candidat au doctorat à l'Université York, mène des recherches sur la manière de prévoir des événements sismiques souterrains à l’aide de l’apprentissage automatique. Avec l’aimable autorisation de Josephine Morgenroth

Pour la plupart, lorsqu’on parle d’intelligence artificielle (IA) et d’apprentissage automatique (AA), on imagine des objets reluisants comme des voitures en autopilote. En réalité, ces technologies existent depuis des décennies. Elles n’étaient toutefois pas pratiques pour des applications en temps réel, car les ordinateurs n’étaient pas suffisamment puissants pour exécuter les modèles dans un délai convenable.

La différence aujourd’hui est que nous disposons enfin de la puissance informatique nécessaire pour les rendre viables, et les sociétés minières les embrassent désormais. D’après un représentant du cabinet britannique Global Data spécialisé dans les recherches, l’industrie dépensera 218 millions de dollars américains par an sur des plateformes d’IA d’ici 2024. Il ajoutait que « l’IA a le potentiel d’offrir des avantages tangibles dans toute la chaîne de valeur du secteur minier, de la découverte à l’extraction et à la maintenance ».

Cette technologie peut être utilisée de bout en bout dans le processus minier, par exemple pour mesurer l’activité sismique souterraine, pour garantir la productivité dans les usines de traitement ou même pour optimiser un écosystème minier intégral du moment où le minerai est extrait à celui où il est commercialisé.

Optimiser le complexe minier industriel

Le laboratoire COSMO, une initiative collaborative en génie minier basé à l’université McGill, explore de nouvelles manières d’optimiser ce flux.

« Nous nous intéressons à ce que nous appelons les complexes miniers industriels ou les chaînes de valeur des minéraux », expliquait le professeur Roussos Dimitrakopoulos, directeur du laboratoire de planification stochastique des mines COSMO de l’université McGill. « Ceci signifie que l’on observe le lieu de production des matériaux à partir des gisements minéraux (et dans la plupart des cas, il peut y avoir plus d’un lieu où sont extraits les matériaux), la circulation des matériaux depuis les mines et les gisements miniers jusqu’aux éléments divers, depuis les réserves jusqu’au mélange, aux broyeurs, aux terrils, etc., jusqu’à ce qu’ils atteignent les usines de traitement des minerais. Ensuite, nous relions les usines de traitement des minerais et leur production aux marchés. Ainsi, on a d’un côté les gisements et de l’autre, les marchés. On envisage le tout comme un système unique. »

Au cours des dix dernières années, l’équipe a travaillé sur un modèle optimisé pour le système intégral. Le grand problème était de gérer le degré élevé d’incertitude, ce pour quoi les modèles stochastiques (une technique visant à présenter les données ou à prévoir les résultats qui prend en compte un certain degré d’aléatoire ou d’imprévisibilité) sont conçus. Il existe, indiquait-il, une incertitude pas seulement dans le matériel extrait du sol, mais dans la demande et la tarification du marché. Les modèles quantifient l’incertitude, aidant ainsi les mines à la planification stratégique à long terme. Mais il faut ensuite concrétiser ce plan.

La taille même de ces modèles ajoute à leur complexité. Le laboratoire s’efforce de trouver des moyens plus efficaces d’apprivoiser les monstres computationnels, notamment l’utilisation de l’apprentissage par renforcement, une technique qui prend des décisions en fonction de la façon dont les résultats affectent les objectifs définis. D’après M. Dimitrakopoulos, la technologie d’auto-apprentissage se trouve encore aux premières étapes de recherche, et l’on pourrait avoir besoin de cinq ou dix ans avant de pouvoir en faire un usage effectif dans la production.

« Du côté opérationnel, nous avons bien trop d’informations », ajoutait Yassine Yaakoubi, chercheur universitaire au laboratoire COSMO. « Nous devons comprendre la part d’information qui a le plus d’impact sur le calendrier de la production à court terme dans la mine. On ne peut y parvenir qu’en testant différentes caractéristiques ou en fournissant différentes informations, puis en utilisant et en analysant différentes manières d’intégrer l’apprentissage par renforcement, pour déterminer comment mettre à jour le plan à court terme afin de réguler ces nouvelles informations entrantes. »

Préserver la stabilité des excavations

Si l’équipe du laboratoire COSMO essaie de créer un complexe industriel minier en auto-apprentissage, l’ingénieure en géotechnique et candidat au doctorat à l'Université York Josephine Morgenroth se concentre, quant à elle, sur le souterrain. Elle a travaillé sur l’infrastructure et l’espace minier, et s’est intéressée à la stabilité des excavations souterraines et de surface avant de reprendre le chemin de l’université pour un doctorat à la faculté de génie Lassonde de l’université de York. Ses recherches portaient sur l’utilisation d’algorithmes d’apprentissage automatique pour prévoir la stabilité des excavations souterraines dans les mines.

« C’est là où se trouvent toutes les données, et où l’on est prêt à légèrement repousser les limites », déclarait Mme Morgenroth. « Les mines ont tant d’excavations qu’elles sont prêtes à essayer de nouvelles techniques dans chacun des développements successifs. Alors que dans les tunnels des infrastructures, les réseaux ferroviaires ou ce genre de choses, il faut y arriver du premier coup. Ainsi, personne n’est très enclin à utiliser de nouvelles technologies. »

Son projet actuel porte sur une mine près de Sudbury, en Ontario, qui présente ce qu’elle qualifie « d’environnement minier à contrainte élevée confronté à une forte activité sismique et des dangers liés aux coups de charge ». Elle travaille sur la prévision de l’activité sismique autour des excavations à mesure qu’avancent les opérations, et sur la façon dont les contraintes se redistribuent autour de l’excavation à mesure que les chambres d’abattage sont retirées et que l’abattage se poursuit.

La base de données microsismique contient des millions d’entrées, aussi la société minière calibre ses modèles numériques uniquement en fonction des événements sismiques à grande échelle.

« Ce n’est pas très efficace », faisait remarquer Mme Morgenroth. « Cela implique qu’ils ne peuvent calibrer ces modèles qu’une fois par an, car le temps de calcul et d’immobilisation est considérable. »

Elle propose la solution suivante au problème. Elle a mis au point un algorithme reposant sur une technique conçue pour des données chronologiques, l’a intégré aux données microsismiques et l’a formé pour prévoir les grands événements ainsi que l’état de contrainte qui s’ensuit autour de l’excavation.

« Travailler avec la mine ainsi qu’avec l’expert en mécanique des roches RockEng a été une véritable réussite, qui nous a permis d’automatiser le processus de calibration de ces modèles », indiquait-elle. « L’étape suivante consistera à se servir de cette prévision de l’algorithme d’apprentissage automatique pour mettre à jour le modèle numérique que l’on utilise chaque fois que de nouvelles données sismiques sont recueillies, de manière à améliorer les activités, le coût et l’ordonnancement à l’avenir. »

À terme, le modèle formé pourra servir à accélérer les analyses des cas de figure où les ingénieurs éliminent numériquement une chambre d’abattage pour voir comment sont redistribuées les contraintes. Cependant, nous n’en sommes pas encore là. Actuellement, expliquait Mme Morgenroth, « nous en sommes à l’étape où nous sommes satisfaits de l’algorithme et de la façon dont il a été développé. Nous allons nous servir de ces données de sortie et les intégrer au modèle numérique pour voir s’il reproduit leur point de vue opérationnel. Nous nous trouvons dans cette phase de changement du processus où la recherche commence à être mise en œuvre. Et nous allons découvrir quels sont les avantages. »

Les méthodes sont éprouvées dans d’autres domaines d’évaluation des risques, ajoutait-elle. « Nous avons dépassé le point de bascule. Je pense même que nous pouvons envisager [la production] d’ici trois à sept ans, particulièrement à mesure que des jeunes intègrent la main-d’œuvre. Ils pourront faire un peu ou beaucoup de programmation en fonction de leur parcours. En association avec un jugement d’expert et l’expérience dont dispose déjà l’industrie, nous nous trouvons à un point intéressant actuellement. C’est le moment idéal pour utiliser l’apprentissage automatique comme un outil technique courant. Je précise, l’apprentissage automatique n’est pas une baguette magique qui peut résoudre tous nos problèmes, mais il vient s’ajouter à la boîte à outils du génie. Il serait malavisé pour les sociétés minières d’opposer une quelconque résistante, car la question n’est pas de savoir si cet outil sera couramment utilisé, mais bien quand il le sera. »


À DÉCOUVRIR: L’utilisation de l’intelligence artificielle dans l’industrie minière n’a pas encore tout à fait trouvé ses marques, mais avec les nouvelles technologies, elle pourrait bien avoir une incidence sur chaque aspect d’une exploitation


Des usines de traitement qui fonctionnent toutes seules

À l’autre extrémité de la chaîne, bien au-dessus du sol, la société NTWIST spécialisée dans l’intelligence artificielle appliquée, se concentre sur les usines de traitement. L’une des grandes difficultés, expliquait le gestionnaire de produit Grayson Ingram, est d’utiliser l’IA en toute sécurité dans le contexte des activités autonomes pour l’exploitation minière.

La société s’intéresse principalement aux domaines de l’automatisation qui sont trop complexes ou chronophages pour les techniques traditionnelles, par exemple la caractérisation du minerai avant traitement, le broyage et la récupération. Généralement, elle optimise au niveau du fonctionnement de l’unité, mais sa vision consiste à automatiser toute l’usine. D’après M. Ingram, la société associe les technologies d’apprentissage automatique pour former son IA, notamment l’apprentissage traditionnel supervisé ou non ainsi que les techniques avancées telles que les réseaux neuronaux d’apprentissage supervisés, l’apprentissage par renforcement et la vision informatique reposant sur l’apprentissage profond.

La formation initiale utilise des données historiques, couvrant généralement plus d’une année pour prendre en compte les variations saisonnières. À mesure que la production se poursuit, une évaluation automatique de la performance du modèle a lieu, avec un perfectionnement autonome si nécessaire.

L’un des modules de la solution analyse les données entrantes à partir de chaque instrument afin de détecter une déviation ou une panne, et notifie l’opérateur ou l’opératrice si un problème est détecté. Puis, plutôt que de paralyser le système, le modèle continue de fonctionner à l’aide des sources de données restantes, en communiquant l’impact sur la confiance envers le modèle à l’opérateur ou l’opératrice. Si le modèle détermine qu’il a peu confiance dans les prévisions, il peut demander l’intervention de l’opérateur ou l’opératrice, revenir à une sauvegarde prédéterminée ou utiliser une logique de repli.

NTWIST propose deux types d’utilisation : un circuit fermé, où l’IA exploite les données seules, ou un circuit ouvert, où l’humain est également impliqué. Dans les deux cas, le système s’intègre à l’infrastructure existante de contrôle des procédés.

Prenons par exemple un circuit de broyage qui doit réduire les roches à une granulométrie particulière. Dans un système manuel, l’opérateur ou l’opératrice doit surveiller de nombreux paramètres pour s’assurer de l’exactitude du résultat.

« L’opérateur ou l’opératrice associe l’intuition à certains principes heuristiques ou d’orientation pour essayer de parvenir à un résultat optimal », indiquait M. Ingram. « Nous introduisons notre technologie, qui traitera toutes les sources de données liées au circuit et nous développons un modèle axé sur les données pour refléter les processus physiques. En ce sens, nous pouvons recommander les changements à exécuter dans ce circuit pour parvenir aux résultats optimaux. Ces informations peuvent être mises en œuvre dans le circuit fermé, ou transmises à un opérateur ou une opératrice qui pourra ensuite les utiliser pour orienter le processus décisionnel. Vous faites de chaque opérateur ou opératrice le meilleur de vos opérateurs en lui donnant les informations appropriées pour prendre des décisions optimales. »

L’une des caractéristiques importantes qui aide à inspirer la confiance des opérateurs dans le système est l’intégration d’une IA que l’on peut expliquer, qui décrit la raison pour laquelle l’IA a pris telle ou telle décision. Cela permet de la vérifier. Toutefois, pour M. Ingram, ce n’est pas la partie la plus importante.

« Je sais pertinemment, du point de vue de la technologie, qu’il faut s’assurer que l’on comprend bien l’impact des décisions que l’on prend, et que l’on dispose des garde-fous suffisants pour éviter des résultats qui auront des répercussions sur la sécurité », indiquait-il. « L’utilisation de l’intelligence artificielle et d’outils d’apprentissage automatique sans disposer des garde-fous adaptés pour s’assurer qu’ils fonctionnent comme ils le doivent peut avoir des répercussions importantes en matière de sécurité, de finance ou autres. L’IA est pilotée par les données. Ainsi, il est toujours possible d’avoir des répercussions négatives, si l’on ne prend pas en compte le fait que les données d’apprentissage ne sont pas informées correctement de manière à ce qu’elles représentent les conditions que l’on souhaite modéliser et comprendre à l’avenir », indiquait M. Ingram.

« Nous voulons comprendre quel genre de situation ou cas de figure opérationnels sont représentés par les données historiques utilisées pour former le modèle d’apprentissage automatique », poursuivait-il. « En outre, nous voulons vraiment nous assurer que, dans le cas où une situation n’est pas représentée de manière adéquate dans les données historiques, plutôt que de faire une prévision ou une recommandation fondée sur un ensemble de données inexactes, nous appliquions par défaut une autre action qui est adaptée à n’importe quel cas d’usage que l’on considère. »

Traduit par Karen Rolland