L’exploitation minière développera trois cheminées de kimberlite, qui ont été découvertes il y a une dizaine d’années. Tous les photos : avec l’autorisation de De Beers Canada
Après une année difficile, De Beers Canada clôture son exercice 2016 sur une note positive avec l’ouverture de Gahcho Kué. Cette mine, la plus récente en production dans les Territoires du Nord-Ouest, vient redorer le blason du groupe d’exploitations de diamants dans le grand Nord.
Allan Rodel ne se souvient pas de l’heure exacte à laquelle ont été extraits les premiers diamants à Gahcho Kué – probablement car c’était tôt le matin. « Nous étions sur place la nuit précédente et espérions voir nos premiers diamants », se rappelait-il. M. Rodel, directeur du projet Gahcho Kué, et son équipe sont restés éveillés toute la nuit du 29 juin à attendre, mais en vain. Le 30 juin vers 4 h du matin, près de deux mois après le lancement de la phase de mise en service, les premiers diamants ont été récupérés dans l’installation de tri. Plus tard dans la matinée, lorsque toute l’équipe s’était réunie, « nous avons attentivement observé les pierres », déclarait M. Rodel. « C’était un moment très spécial pour l’équipe. »
Fruit d’un travail de construction de plus de 20 ans, l’avènement de la mine de diamants Gahcho Kué, située dans les Territoires du Nord-Ouest (T.N.-O.) à 280 kilomètres (km) au nord-est de Yellowknife, n’aurait pu arriver à un meilleur moment.
Dans les mois qui ont précédé son ouverture officielle en septembre dernier, De Beers Canada a mis en vente sa première mine de diamants dans l’Arctique, la mine non rentable et techniquement complexe de Snap Lake, après l’avoir placée en mode de soins et maintenance à la fin de l’année 2015. La société a ensuite annoncé qu’elle suspendait son projet de développement de la mine de diamants Victor en Ontario jusqu’à ce qu’elle obtienne le soutien de la Première Nation Attawapiskat, qui est propriétaire des terres sur lesquelles se trouve la mine.
Gahcho Kué, une entreprise commune entre De Beers Canada (51 %) et Mountain Province Diamonds (49 %), aidera à compenser la production réduite de diamants de la société-mère. Elle fait aussi souvent les gros titres ; Gahcho Kué, qui est censée produire 54 millions de carats sur toute sa durée de vie, est la plus grande nouvelle mine de diamants au monde construite ces dix dernières années. Sa production, estimée à 4,5 millions de carats par an, représentera près de 3 % du marché mondial des diamants.
Durant les 12 années de vie actuellement prévues pour la mine Gahcho Kué, trois cheminées de kimberlite seront exploitées, ce qui lui permettra sans doute de dépasser la durée de vie de la mine Diavik, située à proximité. Kim Truter, président et chef de la direction de De Beers Canada, est même convaincu qu’elle pourrait dépasser la durée de vie de la mine Ekati de Dominion Diamond, qui a récemment été prolongée jusqu’en 2033 avec le développement de la cheminée du projet Jay. « À l’heure actuelle, notre plan de mine approuvé pour Gahcho Kué s’étend jusqu’en 2028, et il existe selon nous d’autres options pour pouvoir éventuellement le prolonger jusqu’en 2035 », indiquait-il. « Nous espérons pouvoir exploiter la mine Gahcho Kué au cours des vingt prochaines années. »
Les répercussions économiques pour le territoire, et pour le Canada, devraient être considérables. D’après les données communiquées dans le rapport d’impact de De Beers Canada élaboré par Ernst & Young, la mine prévoit d’injecter environ 5,7 milliards $ dans l’économie territoriale. Dans le cadre d’une entente socio-économique signée avec le gouvernement territorial, l’objectif est d’embaucher 55 % des employés de la mine au sein des T.N.-O. La mine a également signé des ententes sur les répercussions et les avantages (ERA) avec six Premières Nations de la région, et s’est fixée des objectifs en matière d’embauche des Autochtones et de choix contractuels d’approvisionnement. La mine dispose actuellement d’une main-d’œuvre de 333 personnes, sans compter les agents contractuels ; 46 % sont originaires des T.N.-O., 20 % sont des Autochtones et 14 % sont des femmes. D’ici la fin de l’année, la mine devrait compter environ 550 employés et agents contractuels sur le site.
En septembre, les représentants officiels et dirigeants locaux de De Beers ont célébré l’ouverture de la mine dans la tradition avec une cérémonie du feu.
La première incursion de la société dans le domaine de l’extraction des diamants en Arctique n’a pas été simple. Outre les graves problèmes liés à la gestion de l’eau, le gisement de kimberlite de Snap Lake ressemble davantage à une plaque qu’aux gisements de kimberlite en forme de carotte que l’on trouve couramment dans l’extraction des diamants ; il a donc fallu recourir à une méthode complexe et coûteuse d’exploitation minière souterraine. Gahcho Kué est cependant une mine plus conventionnelle. Les trois gisements seront exploités de la surface à l’aide de la méthode par camion et pelle mécanique, à un taux d’exploitation de 100 000 tonnes par jour (t/j), et la capacité du concentrateur atteindra les trois millions de tonnes par an (Mt/an). M. Truter indiquait par ailleurs qu’il sera peut-être possible à l’avenir de procéder à l’exploitation minière souterraine. « [Cette] mine est bien moins complexe [que Snap Lake], sa structure de coûts est bien plus avantageuse », indiquait M. Truter. « À première vue, cette mine s’inscrira davantage dans la lignée de la configuration des mines de type Diavik ou Ekati. »
Les matériaux extraits seront traités au concentrateur par concassage, criblage, séparation (ou concentration) par milieu dense et triage par rayons X. « Nous utilisons des trieuses de particules isolées, qui sont des machines de taille au laser dont De Beers a vraiment l’exclusivité », indiquait M. Rodel. Le concentré riche en diamants est trié à la main sur place et envoyé à Yellowknife pour le nettoyage et l’évaluation par le gouvernement.
Pendant les cinq premières années, les résidus fins de la mine (de la kimberlite concassée et broyée) seront stockés sur le site dans ce que M. Rodel appelle une « installation de confinement de la kimberlite traitée », à la suite de quoi cette installation sera définitivement fermée et les résidus fins et grossiers ainsi que les stériles commenceront à être déposés dans la cheminée Hearne exploitée à ciel ouvert. Une fois qu’elle aura été entièrement exploitée, la cheminée 5034 servira également au stockage des résidus, une nouvelle approche dans l’industrie de l’extraction des diamants dans les T.N.-O. qui vise à réduire au minimum la superficie totale des terres perturbées. Le projet, expliquait M. Rodel, est de mener une « réhabilitation continue » tout au long de la durée de vie de la mine ; les installations de confinement de la kimberlite traitée en fractions fines et grossières seront réhabilitées progressivement pendant les opérations, et le lac sera rerempli une fois la production à la mine terminée.
Sur la voie glacée de la production
Le projet Gahcho Kué a commencé en 1995 lorsque Mountain Province découvrait la première cheminée de kimberlite, qui est maintenant devenue le gisement 5034, le premier à avoir été exploité sur le site. Deux années plus tard, mi-1997, De Beers Exploration, qui avait déjà signé une entente de co-entreprise avec Mountain Province, découvrait trois autres cheminées dans cette zone, à savoir les gisements Hearne et Tuzo qui seraient bientôt exploités, ainsi que le gisement Telsa qui, selon M. Truter, « n’était pas totalement à la hauteur » pour être exploité, pour des raisons économiques.
Comme les autres mines de diamants de la région, la situation géographique de Gahcho Kué comportait son lot de difficultés logistiques pour l’équipe, notamment en raison du milieu arctique, de l’isolement des lieux ainsi que de l’assèchement nécessaire du lac Kennady, sous lequel les trois gisements ont été découverts.
Une fois arrivée à pleine production, la mine, qui utilise la méthode traditionnelle d’exploitation par forage,
coup de mine, camion et pelle mécanique, affichera un taux d’exploitation de 100 000 tonnes par jour.
Étant donné le froid cinglant des hivers dans les T.N.-O. (la température moyenne pendant les mois les plus froids de cette saison avoisine les -30°C), la société devait optimiser la productivité pendant l’été, ce qui rendait obligatoires les structures préfabriquées. Des tâches aussi simples que de couler du ciment devaient être effectuées sur de courtes périodes afin de ne pas perturber le calendrier de la construction. « Un grand nombre de choses ne peuvent être effectuées en hiver, ce qui rend difficile l’exécution du projet », expliquait M. Truter. « Il faut identifier ces moments opportuns et s’assurer que l’on est très efficace pendant ces périodes. »
Les bâtiments, livrés en plusieurs parties en empruntant la route d’hiver, étaient assemblés puis fermés hermétiquement pendant l’été, ce qui permettait de poursuivre les travaux à l’intérieur des bâtiments en hiver. Le local d’hébergement de Gahcho Kué était presque entièrement composé de modules préfabriqués, la centrale électrique du site comportait cinq modules et le laboratoire métallurgique en comportait également plusieurs. Certains équipements de la flotte de la mine étaient également démontés en plus petites pièces de manière à pouvoir être transportés par camion sur la route de glace menant au site, puis reconstitués sur place.
Même la route de glace, qui fait plus d’un mètre d’épaisseur et 120 km de long, est une voie latérale à la route menant à Snap Lake qui est seulement ouverte en février et mars chaque année. D’après De Beers Canada, quelque 2 100 chargements de carburant, de matériel de construction, d’équipement minier et d’autres matériaux sont livrés chaque année par cette route.
« Concrètement, avec cette route, il faut vraiment bien réfléchir aux longs délais d’approvisionnement », déclarait M. Truter. Les planificateurs doivent penser à l’année suivante et déterminer les matériaux dont ils auront besoin ; les changements ou caprices de dernière minute n’ont pas leur place dans ce projet.
« La plupart des articles de prix unitaire élevé sont envoyés sur le site par le biais de la route d’hiver et il faut les organiser intelligemment de manière à ce qu’ils soient livrés dans le bon ordre », ajoutait M. Rodel. Les marchandises livrées en vrac comme le carburant et les explosifs sont également transportées par la route d’hiver, et il y a suffisamment d’espace de stockage sur le site pour une utilisation sur une année complète.
En ce qui concerne le carburant, De Beers était soumis à des contraintes liées à la situation géographique de Gahcho Kué. La mine et sa flotte entière sont alimentées au diesel, ce qui oblige la société à amener sur le site environ 47 millions de litres de diesel pour la saison hivernale de 2017. Une route praticable en toute saison aurait pu permettre d’utiliser un bouquet énergétique différent, mais elle n’a jamais été construite.
Cependant, la société fait preuve de créativité ; elle utilise des brûleurs à huiles usagées pour produire de la chaleur grâce à la combustion de l’huile de moteur usagée, et récupère la chaleur résiduelle restante des cinq générateurs du site pour chauffer les bureaux et les espaces du campement à l’aide d’un circuit de glycol plutôt qu’avec le chauffage par plinthes, qui consomme également du diesel.
Pour accéder aux gisements, il a fallu vider le lac Kennady de ses poissons et l’assécher. En 2014 et 2015, des équipes chargées de vider le lac de ses poissons, composées de membres de la communauté et de biologistes, ont attrapé 18 400 poissons dans le lac ; les plus gros ont été nettoyés, découpés en filets et congelés sur place puis distribués aux communautés environnantes pour des événements, remplissant ainsi les congélateurs communautaires. Les plus petits ont été donnés aux équipes cynophiles locales.
La procédure d’assèchement se poursuit ; pendant la phase de construction, expliquait M. Rodel, la mine avait l’autorisation de procéder à l’assèchement d’environ 18,6 millions de mètres cubes (m3) pour abaisser le niveau d’eau dans des sections séparées du lac en vue d’exposer la kimberlite à l’aide d’une série de digues de réservoir. À ce jour, dix ont été construites. Pendant la durée de vie de la mine, 3,45 millions de m3 peuvent être déversés chaque année si le site répond aux exigences très strictes définies par l’office des terres et des eaux de la vallée du Mackenzie. Pour ce faire, il a fallu installer des pompes et des systèmes d’exhaure en plein hiver, ce qui selon M. Rodel était un travail « extrêmement méticuleux. » Une série de 14 digues de réservoir permettra de gérer l’eau de surface sur le site minier.
M. Rodel expliquait que les travaux de pré-décapage ont présenté des difficultés « bien spécifiques. » En effet, du fait que l’équipe procède à l’extraction dans le fond du lac, « l’exploitation en pré-découverte impliquait d’utiliser l’électroplacage et de plus petits équipements pour éliminer de façon sûre et efficace la formation morainique de surface. »
Partir du bon pied
Un agent de surveillance de l’environnement se trouve sur place à plein temps et représente le comité de suivi de la Première Nation Ni Hadi Xa, un comité de gérance de l’environnement constitué de six communautés autochtones. Cet agent de surveillance travaille sous l’autorité du comité et s’assure que la société réponde aux critères requis en matière de permis ; le programme prévoit également la présence de contrôleurs qui mettent en application leurs connaissances traditionnelles en matière d’eau, de terres et de faune pour suivre les impacts de la mine Gahcho Kué sur l’environnement de la région. « Il n’existe pas de procédure plus transparente que d’avoir quelqu’un sur le site travaillant au sein de l’équipe et s’assurant que les règles sont respectées », indiquait M. Rodel. La société a également des projets en matière d’aménagements de la faune et des habitats pour les caribous, les grizzlis, les carcajous et les oiseaux.
Les résultats de la surveillance de l'environnement sont communiqués à un comité constitué de communautés autochtones de la région..
Le lancement de Gahcho Kué s’annonce prometteur. La mine a commencé sa production avec deux mois d’avance sans dépasser son budget de 1 milliard $, et a déjà deux prix à son actif. La section de Montréal de l’association des professionnels en gestion de projet du Québec (PMI) lui a décerné le prix Projet de l’année pour la gestion de projet par Hatch, et la chambre de commerce de Yellowknife lui a attribué le prix de la santé et la sécurité au travail. Malgré le palier actuel du prix des diamants, M. Truter reste très optimiste quant à l’avenir prometteur de cette matière première.
« Les bases de l’industrie du diamant sur le long terme sont très solides », indiquait-il. « Par rapport à d’autres matières premières, notre industrie est l’une des rares qui, sur le long terme, aura du mal à satisfaire la demande. »
En outre, précisait M. Truter, au sein de l’industrie, Gahcho Kué se démarque de ses pairs. « Il s’agit d’une exploitation à marge élevée, qui présente par ailleurs plusieurs cheminées, ce qui est réellement très important », indiquait-il. « L’avenir des Territoires du Nord-Ouest repose vraiment sur Gahcho Kué. »
Traduit par Karen Rolland