Andy Robertson, directeur des ressources humaines et de l’engagement communautaire, affirme que sa société misera sur la proximité du bassin de maind’oeuvre de Labrador West ainsi qu’une stratégie de regroupement d’achats pour maintenir ses coûts d’exploitation et de capital au plus bas | Avec l'aimable autorisation de

Il y a quelques années, lorsque les aciéries chinoises fonctionnaient à plein régime et que le monde entier traversait une ruée vers le fer sans précédent, bon nombre de projets ont démarré dans la fosse du Labrador, dans l’espoir de toucher une part du gâteau. Le prix de la tonne de concentré (qui, jusqu’en 2004, ne s’était guère éloigné des 15 $ depuis des décennies) est soudainement monté en flèche pour atteindre près de 190 $ en 2011.

Près de quatre ans plus tard, les choses ont bien changé. Nombre des projets lancés au cours de la fièvre du fer ont commencé la production et les grands acteurs comme Rio Tinto, BHP Billiton et Vale ont inondé le marché mondial, tirant les prix vers le bas jusqu’à atteindre 80 $ la tonne et poussant les les petits acteurs sur le bas-côté. Dans la fosse du Labrador, les projets en développement doivent maintenant travailler fort pour obtenir un financement.

Parmi ceux-ci, le projet Kami d’Alderon Iron Ore est clairement dans le peloton de tête. « Dans les années à venir, Alderon sera le plus susceptible d’aller de l’avant », déclare Jackie Przybylowski, vice-présidente et analyste des métaux et mines à Valeurs mobilières Desjardins. Alderon a déposé son étude de faisabilité en janvier 2013 et s’efforce actuellement de conclure son financement avant de pouvoir commencer la construction. « Nous travaillons sur la partie dette en ce moment », dit Tayfun Eldem, président et chef de direction à Alderon. « Une fois que nous aurons terminé, nous irons sur le marché des actions. Quand nous serons entièrement financés et sanctionnés par le conseil, il nous faudra environ 26 mois pour construire. » Le montage financier consistera à 70 % de dette et 30 % d’actions ordinaires.

Assembler les pièces du casse-tête

Au-delà de son gisement, le projet Kami jouit d’un certain nombre d’atouts, le premier étant son emplacement. « L’un de nos plus grands avantages est que nous sommes proches d’infrastructures existantes, autant ferroviaires qu’électriques », dit M. Eldem. « Nous n’avons pas à construire une longue ligne de chemin de fer pour nous connecter au réseau de transport ; il se trouve à seulement 14,5 km. Quant à l’électricité, nous sommes à environ 15 km du réseau principal d’alimentation à haute tension [à Labrador West]. »

Malgré qu’Alderon ait pris part, en août 2012, à l’étude de faisabilité du CN pour une nouvelle ligne de chemin de fer entre Labrador City et Sept-Îles au Québec, elle a toujours fondé ses projections sur l’utilisation du chemin de fer du QNS&L. Elle ne s’est donc pas retrouvée en mauvaise posture lorsque le CN a décidé d’annuler l’étude en février 2013. « Le chemin de fer de QNS&L prendra notre tonnage, car il a une obligation en tant que ligne de transport publique », dit M. Eldem. « Une fois que nous serons à environ un an du début de la production, nous conclurons un accord avec lui. »

Cette chance n’est pas donnée à toutes les sociétés. « QNS&L a encore une certaine capacité disponible sur sa ligne de chemin de fer », explique Nochane Rousseau, chef de groupe de l’industrie minière pour le Québec chez PricewaterhouseCoopers Canada. « Mais sera-t-il en mesure de répondre à la demande de tous les projets à venir dans la fosse du Labrador ? Non. » Le calendrier avancé de Kami lui permet d’assurer sa part sur la capacité restante du transporteur. QNS&L a la possibilité d’ajouter 45 millions de tonnes (Mt) aux 35 présentement réservés à IOC, Cliffs et Labrador Iron Mines.

Quant à l’énergie électrique, M. Eldem qualifie de « déterminante » à la faisabilité de son projet la construction d’une troisième ligne de transmission de la centrale de Churchill Falls à Labrador West par Nalcor Energy. « Elle nous assure 62 mégawatts pour alimenter nos premières activités », dit-il. Kami fournira jusqu’à 65 millions $ en dépôts de garantie, qui lui seront remis une fois que la ligne commencera à alimenter le projet. Un premier dépôt de 21 millions $ a été versé en février dernier et Nalcor a déjà déboisé 20 km de terrain pour la future ligne. Mais les travaux sur la ligne de 240 km n’avanceront pas tant que Kami ne fournira pas les 44 millions $ restant en dépôts de garantie. Nalcor a suspendu les travaux le 2 octobre en raison de retards dans le financement du projet Kami.

La dernière pièce du casse-tête est le nouveau quai multiusager du port de Sept-Îles, pour lequel Kami a revendiqué sa place. Ce projet de 220 millions $, lancé en 2012 dans la foulée du Plan Nord, viendra ajouter de 50 Mt à 60 Mt à la capacité actuelle du port ; Alderon s’en est réservé 8 Mt. Les sociétés minières ont été sollicitées pour contribuer au financement et ainsi assurer leur accès. « Notre accès au port est garanti, comme pour trois autres sociétés minières », dit M. Eldem. « Nous avons déboursé 20,5 millions $ pour la construction comme paiement initial. Nous allons récupérer notre apport en capital lorsque nous commencerons nos expéditions, car nous bénéficierons d’une réduction, tout comme les autres utilisateurs qui ont contribué à la construction. »

Se faire des amis

Tout cela, cependant, ne signifierait rien si Kami n’était pas sûr de vendre ses 8 Mt de concentré. En 2012, Hebei Iron and Steel Group, le plus grand producteur d’acier de Chine, a stratégiquement investi plus de 180 millions $ pour mettre la main sur 20 % des parts d’Alderon et 25 % des parts du projet Kami lui-même. En retour, le sidérurgiste s’engage à acheter 60 % de la production totale de Kami, avec une réduction de 5 %. Selon l’aciériste chinois, l’investissement était raisonnable car Alderon est l’un des rares « projets de minerai de fer de haute qualité en phase finale de développement » sur le marché des acheteurs. En juillet dernier, Alderon a signé un autre accord d’écoulement pour les 40 % restants avec Glencore, moyennant une réduction de 2 %. « Glencore étant maintenant impliqué, notre production est entièrement vendue », dit M. Eldem. « Quand nous allons commencer la production, nous aurons automatiquement une source de revenus de ces deux contrats à long terme. »

Enfin, avec les prix du concentré avoisinant les 80 $ la tonne, il était essentiel de limiter les dépenses en capital et l’ensemble des coûts de production. Dans un environnement aussi concurrentiel, la productivité est clairement la base de tour. « Nous visons un coût de production de 43 $ par tonne fret à bord», affirme Andy Robertson, directeur général des ressources humaines et de l’engagement communautaire à Alderon, alors qu’il traverse la taïga brûlée qui recouvre la concession d’Alderon. « Pour y parvenir, nous avons tiré des leçons des expériences passées dans la fosse du Labrador. » En juin dernier, Alderon a signé un accord forfaitaire avec Metso pour la fourniture de la plupart de ses équipements. « Pour limiter les dépenses en capital, il faut regrouper les achats autant que possible », explique M. Eldem. « L’accord avec Metso est un excellent exemple. Notre broyeur AG, notre broyeur à boulets, notre concasseur giratoire et notre tombereau de wagons proviendront tous de Metso. »

 

Accélérer ou ralentir ?

Les estimations de l’industrie prévoyant un prix du concentré en dessous de 100 $ la tonne dans les années à venir pourraient convaincre nombre de projets d’attendre les jours meilleurs. « Les sociétés n’exécuteront pas leurs plans comme elles l’espéraient », admet Mme Przybylowski. « Trouver le financement dans ce contexte sera difficile. » Même Alderon prend déjà plus de temps que prévu.

Alors, pourquoi ne pas tout simplement susprendre le projet ? « Nous avons une vision à long terme de l’évolution des prix du concentré de fer », dit Eldem. « Nous nous trouvons au point le plus bas de ce graphique en dents de scie observé ces derniers temps. Gardez à l’esprit qu’il nous faudra entre deux et deux ans et demi pour terminer la construction et commencer les activités. Si vous développez un projet, relâcher l’accélérateur alors que le marché est en baisse limite votre capacité à être prêt lors de sa remontée. »

Il y a des avantages évidents à maintenir le cap lorsque les autres sont au ralenti. Les fournisseurs d’équipement et de services ainsi que l’ensemble de l’industrie de la construction ont refroidi depuis la surchauffe de 2011, lorsqu’ArcelorMittal et IOC lançaient leurs projets d’expansion. De plus, avec le ralentissement des activités chez Labrador Iron Mines et Wabush Mines, trouver des travailleurs n’est plus aussi problématique qu’il y a trois ans, lorsque ceux-ci devaient être amenés et logés par centaines dans de nouveaux camps. « L’avantage pour les projets allant de l’avant est qu’il y aura moins de concurrence pour les infrastructures portuaires et ferroviaires ainsi que pour la main-d’oeuvre, de sorte qu’ils devraient être plus attractifs en termes économiques », dit Mme Przybylowski.

Dans ce contexte, la proximité de Labrador West et ses 10 300 habitants est inestimable pour Alderon. « Labrador West a été construit pour soutenir les activités d’exploitation minière dans la région, aussi il existe déjà une grande expérience et un solide réseau de soutien », dit M. Eldem. « Vous avez une multitude de fabricants de matériaux, de personnel technique, d’ateliers de réparation et d’entrepôts dans la région. »

En ce qui concerne la main-d’oeuvre elle-même, Alderon favorise clairement l’emploi local plutôt que le modèle des non-résidents, communément appelé fly-in fly-out. « Si une excavatrice tombe en panne à deux heures du matin, votre spécialiste doit se trouver à proximité, pas à Montréal », dit M. Robertson. « On ne peut pas attendre huit heures pour la réparer. » Si la mine de Wabush Mines ne reprend pas ses activités, des logements pourraient même être déjà disponibles.

« Nous sommes partisans du modèle de l’employé résident », dit M. Eldem. « Il est d’une part moins cher et favorise le sentiment d’appartenance des employés. Ces derniers s’impliquent dans la communauté et soutiennent la sociéte. » Avec l’accès au port, au chemin de fer, à l’électricité, à des clients et à une main-d’oeuvre bien intégrée, beaucoup attendent avec impatience de voir quand, et comment, la société jouera ses cartes.