Le Saskatchewan Research Council (SRC) souhaite donner une option aux producteurs pour le traitement des éléments des terres rares en Amérique du Nord. Avec l’aimable autorisation du Saskatchewan Research Council
Si l’on a une leçon à tirer de la pandémie de COVID-19, c’est que de nombreux pays ont compris les avantages d’une chaîne d’approvisionnement nationale et plus localisée pour les biens essentiels. Cette prise de conscience s’étend à l’industrie minière, et particulièrement au secteur des éléments des terres rares (ÉTR).
D’après le Foreign Policy Research Institute (FPRI, l’institut de recherche sur la politique étrangère) de Philadelphie, en Pennsylvanie, la Chine « continue de fournir entre 70 et 77 % des ÉTR à l’échelle mondiale ». Cette mainmise est devenue inquiétante pour certaines nations, notamment pour les États-Unis (le président a signé un décret-loi sur les ÉTR) et l’Australie (qui travaille sur une alliance avec l’Inde, le Japon et les États-Unis afin de réduire la dépendance envers les ÉTR chinois). Les États membres de l’Union européenne (UE), quant à eux, ont lancé l’European Raw Materials Alliance (ERMA, l’alliance européenne pour les matières premières).
Au Canada, la Saskatchewan a récemment annoncé son intention de construire la première installation de traitement des terres rares du Canada, qui sera détenue et exploitée par le Saskatchewan Research Council (SRC, le conseil de recherche de la Saskatchewan). Le gouvernement provincial s’est engagé à investir 31 millions de dollars dans le cadre du plan de croissance à l’horizon 2030 de la province.
Au vu de la hausse prévue de la demande mondiale en ÉTR dans la décennie à venir, le centre du SRC contribuera à établir une chaîne d’approvisionnement canadienne en ÉTR. Les sociétés minières du monde entier auront désormais l’option de vendre leurs matières premières à un centre d’Amérique du Nord. Le projet, dont l’étude de faisabilité est terminée, entre maintenant dans la phase de l’étude technique. La préparation de terrain est en cours et la construction du site devrait commencer en novembre 2020. Ce centre d’environ 6 400 m², qui sera détenu par un propriétaire du secteur privé et loué par le SRC, devrait être totalement opérationnel d’ici 2022.
Le Canada abrite 12 % des ressources en ÉTR du monde. Lorsque le SRC a annoncé la création de ce centre de traitement à la fin du mois d’août, le Premier ministre de la Saskatchewan Scott Moe, qui se présentait une seconde fois aux élections fin octobre, indiquait que ce nouveau site serait un « catalyseur qui stimulerait le secteur des ressources en Saskatchewan et partout au Canada, offrant la chaîne d’approvisionnement nécessaire dès les premières étapes pour générer un flux net de trésorerie, un investissement et la croissance industrielle du secteur ».
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D’après Lucinda Wood, directrice de la prospection de clientèle pour le groupe Mines et énergie du SRC, ce nouveau centre sera réellement important car il deviendra un moteur de la chaîne d’approvisionnement en terres rares au Canada et en Amérique du Nord. « De nombreuses possibilités dans le secteur des mines en Amérique du Nord sont entravées par le fait qu’il n’existe actuellement pas de développement de chaîne d’approvisionnement moyenne en dehors de la Chine », déclarait-elle.
Outre l’expertise locale, la technologie et les relations existantes avec les sociétés minières, Mme Wood expliquait que la Saskatchewan s’est révélée être un lieu idéal en raison de son industrie de l’uranium dynamique et de son expertise subséquente en matière de gestion des matériaux radioactifs. « L’industrie de l’uranium produit des flux de déchets qui ont des concentrations de terres rares relativement élevées. Une grande partie de nos travaux technologiques ont été possibles car nous avions ces matières premières à portée de la main », expliquait-elle. « C’est la région idéale pour attirer des entreprises développant des initiatives dédiées aux terres rares. »
La fabrication de produits issus des ÉTR à partir du concentré de monazite (dérivé d’un minéral qui contient des ÉTR et que l’on trouve partout dans le monde) nécessitera deux principaux procédés, à savoir le traitement et la séparation. Dans la première étape, le concentré de monazite, qui contient environ 60 % d’oxydes de terres rares, servira de matière première. Pour le traiter, le concentré sera broyé à une taille de 43 microns. Ensuite, on aura recours à des procédés de digestion caustique et de lixiviation sélective à l’acide chlorhydrique pour produire une solution de chlorure de terres rares. À l’étape de la digestion caustique, le phosphate trisodique (PTS), un produit dérivé, est récupéré pour une réutilisation, tout comme l’hydroxyde de sodium (la soude caustique) qui n’a pas réagi. La plupart des impuretés, dont le thorium, l’uranium, le fer et l’aluminium, sont également éliminés dans la lixiviation sélective à l’acide. Le radium est ensuite éliminé pour réduire davantage la radioactivité du matériau.
La solution au chlorure est alors prête pour la séparation et peut servir à la production d’un produit final mélangé sous forme de carbonate de terres rares destiné à la vente. Une séparation plus raffinée peut également isoler le lanthane, le cérium, le néodyme et le praséodyme. Parmi les nombreux matériaux que l’on peut extraire, le néodyme et le praséodyme (que l’on utilise ensemble sous la dénomination Nd-Pr) sont particulièrement intéressants car on s’en sert dans les aimants permanents nécessaires aux véhicules électriques à batterie.
« La deuxième séparation entraîne un mélange de l’oxyde de Pr et de Nd, qui se rapproche de l’application dans les aimants permanents », indiquait Baodong Zhao, ingénieur principal des procédés et superviseur en charge du traitement des minerais au SRC.
L’oxyde de cérium(IV) peut servir de matériau de polissage de haute qualité dans le marché croissant des téléviseurs grand écran ainsi que des écrans d’ordinateur et de téléphones portables.
Les ÉTR moyens, dont font partie le samarium, l’europium et le gadolinium, peuvent être vendus en groupe pour une séparation supplémentaire. Enfin, on peut vendre les ÉTR lourds en groupe ou après la séparation du terbium et du dysprosium.
Comme l’expliquait Jack Zhang, directeur de la section Éléments des terres rares du SRC, l’industrie des terres rares canadiennes est restreinte. Toutefois, le SRC fait des recherches sur les terres rares depuis plus de dix ans, ce qui lui concède une position de force pour modifier les activités afin d’optimiser l’efficacité, laquelle se traduira également par une réduction des déchets. L’eau sera recyclée, de même que l’hydroxyde de sodium. Le PTS éliminé sera vendu aux agriculteurs et aux jardiniers comme engrais. « Nous adoptons différentes approches par rapport au traitement classique de la monazite », expliquait M. Zhang.
Le centre du SRC ne réinventera pas la roue. « Il n’est pas question de propriété intellectuelle ou de secrets de fabrication au niveau des activités du centre », expliquait Mme Wood. « Le SRC apporte son expertise en termes de combinaison et de personnalisation des activités du centre, affinée au fil des ans. Les membres du SRC ont une idée très claire de la façon d’optimiser les activités du centre pour cette matière première spécifique. Il existe des critères très sensibles que l’on doit gérer du point de vue du traitement. »
Le SRC propose une variété de services liés aux ÉTR, notamment le développement de technologies de traitement des terres rares et le traitement des résidus de minerais d’uranium.
Comme l’expliquait M. Zhao, l’optimisation des procédés existants constitue une priorité.
« C’est très important en termes de récupération, de pureté et de conformité aux spécifications », expliquait-il, qualifiant le procédé de séparation des « beaux-arts » de l’industrie des terres rares. « La conception des activités du centre est extrêmement complexe. »
Ce nouveau site devrait employer 24 personnes à plein temps, mais la plupart des opérations sont automatisées, d’une part pour optimiser le rendement et d’autre part, en raison des matériaux radioactifs qui sont traités. Si des études techniques détaillées sont encore en cours, l’intention est de faire de ce site un centre aussi intelligent que possible. « Nous devons, dans la mesure du possible, tenir le personnel loin des cuves », indiquait M. Zhao. Pour l’étape de l’extraction par exemple, le contrôle des matières premières se fera à distance, y compris l’ajustement du débit de l’alimentation et de la vitesse de traitement.
Le projet a déjà attiré de nouveaux partenaires. Vital Metals, une société australienne, a annoncé son intention de construire une centrale d’extraction adjacente à l’usine de séparation du SRC. Le centre de Vital Metals convertira les mélanges de carbonate de terres rares en oxydes de terres rares séparés de qualité commerciale.
Si la planification et l’exécution sont encore loin d’être terminées, les personnes impliquées sont très enthousiastes à l’idée de ce projet et de la possibilité de construire un nouveau circuit de A à Z.
« Nous participons au Canadian Rare Earth Elements Network (CREEN, le réseau canadien dédié aux éléments des terres rares) et nous découvrons les obstacles que rencontre ce marché depuis 2012 », indiquait Mme Wood. « Le monopole de la Chine, tout comme l’ampleur restreinte du marché des ressources au Canada, est problématique. Pour moi, le gouvernement de la Saskatchewan [a] fait preuve de courage en prenant le risque de mener une action concrète afin de catalyser cette industrie au Canada. C’est très stimulant de voir une si grande idée arriver sur le marché. »
Cet enthousiasme ne se limite pas à ce centre en particulier, indiquait M. Zhao, mais à la promesse croissante de l’exploitation des terres rares au Canada. « On ne se contente pas de construire une usine. Ce site sera un centre de R&D qui nous permettra de mieux servir l’industrie », indiquait-il. « C’est un bon exemple de leadership visant à élargir les possibilités pour l’avenir. »
Traduit par Karen Rolland