Clarence Pyke, Mathew Edler et Chris Pedersen de Cheetah Resources devant l’amas de minerai de Nechalacho. Avec l’aimable autorisation de Cheetah Resources/billbradenphoto

La première chose que l’on aperçoit lorsque l’avion monoplan Otter se pose sur le lac Thor est une douzaine de cabanes en bois modestes se décrochant de la toile de fond, une forêt d’épicéa au-dessus d’un rivage rocailleux. Dans d’autres circonstances, on pourrait penser que l’on vient d’arriver dans un village de pêcheurs, environ 110 kilomètres au sud-est de Yellowknife, dans les Territoires du Nord-Ouest (T.N.-O.).

La réalité est toute autre. On se trouve sur le tout premier site minier canadien (et le second en Amérique du Nord) de production d’éléments des terres rares (ÉTR). Si le projet de Nechalacho de Cheetah Resources n’est pas prêt d’infléchir la prédominance de la Chine sur le marché, la société et sa main-d'œuvre principalement locale et autochtone s’engagent à prouver que les terres rares peuvent être exploitées, triées et extraites de manière responsable.

Toutefois, malgré les ambitions plus vastes de ce projet de démonstration à grande échelle de trois ans, toutes les personnes travaillant sur le projet de Nechalacho prennent bien garde de tempérer les attentes. La phase initiale du projet portera sur l’obtention du permis social d’exploitation auprès des parties prenantes autochtones, et sur l’exploitation de la zone T Nord à haute teneur, qui affiche des ressources mesurées et indiquées de 9 102 tonnes d’oxydes de terres rares (OTR) légers, obtenues à partir de 120 000 tonnes de minerai à une teneur de 9,01 %. Des milliers de tonnes de concentrés de terres rares (de la bastnaésite broyée et triée qui ressemble énormément à du gravier rose) seront transportées par péniche de l’autre côté du grand lac des Esclaves jusqu’à la rivière Hay, dans les T.N.-O. Là-bas, ces concentrés seront entreposés avant d’être expédiés vers le sud par train et par camion vers l’usine d’extraction (ou de fragmentation) de Cheetah, en cours de construction à Saskatoon. Cheetah vendra ensuite son produit final, un carbonate de terres rares, que les clients utiliseront pour fabriquer des produits issus des terres rares séparées que l’on trouve dans les aimants permanents très puissants, pièces indispensables à la fabrication des véhicules électriques et des éoliennes.

Cheetah Resources mettra à profit ces trois années pour prouver que les produits issus des terres rares des Territoires du Nord-Ouest sont acceptables sur le marché international, et pour obtenir le permis social d’exploitation auprès des parties prenantes autochtones. Si elle parvient à convaincre, la société pourra agrandir la mine et exploiter la zone Tardiff, plus vaste, jusqu’au sud. Cela permettrait à la société de poursuivre ses affaires dans le Nord pour des générations.

Commencer petit

Cet été, Cheetah Resources a foré, fait sauter, transporté, broyé et trié du minerai de la zone T Nord sans interruption. Le projet est de terminer toute l’exploitation minière avant l’arrivée du gel en hiver. Ensuite, elle passera les deux étés suivants à trier le reste du minerai de bastnaésite, qui renferme des terres rares, à partir de gangue de quartz. Ces travaux donnent au site une allure étrangement belle. « Nous avons construit nos propres routes à l’aide de stériles », déclarait Clarence Pyke, directeur de la mine, alors qu’il conduisait le long de cette portion cahoteuse de deux kilomètres reliant le camp principal à la fosse, une voie recouverte de quartz rose et blanc broyé et brillant.

Dans la fosse, quatre tombereaux de transport Komatsu de la série HD400 déplacent le minerai vers un circuit de concassage mobile, où le minerai à haute teneur est broyé à des largeurs de 10 à 20 millimètres, et celui à faible teneur à des largeurs de huit millimètres. Gord Peckford, surintendant du site, nous expliquait pourquoi le minerai à haute teneur n’est pas broyé trop finement. « Lorsqu’on crée de la poussière, on perd le minerai, n’est-ce pas ? »

La route de glace de 130 kilomètres a permis de garantir la viabilité commerciale de Nechalacho. Avec l’aimable autorisation de Cheetah Resources/billbradenphoto

La plupart des équipements de Nechalacho (de son parc de véhicules de location à ses génératrices diesel et son circuit de concassage) ont été amenés sur le site en empruntant une route de glace. Paradoxalement, Geoff Atkins, chef de la direction de la société australienne Vital Metals, qui est propriétaire de Cheetah Resources, expliquait que le climat froid de la région n’est pas une entrave au bon développement du projet, bien au contraire. « Étant originaire d’Australie, je dois reconnaître que l’une des choses que je n’ai jamais vraiment pu apprécier est la beauté d’une route de glace, car du point de vue de l’investissement, son intensité de capital est très faible. On peut créer une route de glace sur 130 kilomètres pour peu d’argent. Cela fait vraiment une grande différence quant à ce que l’on peut et ne peut pas faire pour un projet », ajoutait-il. Cheetah Resources a dépensé environ 20 millions de dollars dans les coûts de construction et d’exploitation à Nechalacho. « Si, en supplément, on devait ajouter 40 ou 50 millions de dollars pour construire une route, cela changerait totalement l’aspect final que doit avoir le projet. »

Le système de triage du minerai à capteurs COM Tertiary XRT de la société TOMRA est l’un des équipements les plus importants à avoir traversé le grand lac gelé des Esclaves à partir de Yellowknife. Environ 80 % des applications minières pour les systèmes de triage de la société viennent du secteur diamantifère, indiquait Russ Tjossem, ingénieur d’applications à TOMRA, qui était sur le site à la fin du mois de juillet pour la mise en service et la formation des exploitants autochtones. « C’est une première pour le secteur des terres rares », indiquait-il. « Le triage n’a jamais été aussi simple. Ce matériau est fait pour être trié. »

En fond sonore des tambours de la Première Nation des Dénés Yellowknives pendant la cérémonie de mise en service, le système de triage du minerai à capteurs COM Tertiary XRT. Avec l’aimable autorisation de Cheetah Resources/billbradenphoto

Le système de triage permet à Cheetah de séparer encore plus de stériles de son minerai, ce qui permet d’expédier 35 à 40 % de concentré total d’oxyde de terres rares à plus haute teneur vers l’usine d’extraction.

C’est Jeremy Catholique, préposé au triage originaire de Łútsël K’é dans les T.N.-O., et qui vit maintenant à Yellowknife, qui a démarré le système de triage. Il nous expliquait le procédé. Du minerai broyé est envoyé sur un convoyeur menant jusqu’au système de triage. Là-bas, un rayon X scanne le matériau et, avant qu’il n’ait avancé de 60 centimètres, une valve envoie un jet d’air sur chaque roche, la propulsant sur l’un des deux convoyeurs. L’un mène à la pile de concentrés de terres rares, l’autre à un amas de roches stériles. « Il y a 192 valves », indiquait M. Catholique. « Elles sont minuscules. »

Cruze Jerome, préposé au triage originaire d’Inuvik, dans les T.N.-O., et qui vit aussi à Yellowknife, nous propose une visite rapide de la salle de contrôle. Il peut prendre un instantané du matériau à l’intérieur du système de triage à tout moment, tout en recevant des mises à jour régulières sur le volume total de minerai ainsi que les pourcentages de minerai et de déchets. À cette étape de la mise en service, Cheetah envoie le minerai à faible teneur dans le système de triage. D’après M. Jerome, cela représente environ 10 % du concentré.

CanNor, l’agence canadienne de développement économique du Nord, a octroyé à Cheetah 1,26 million de dollars en prêt sans intérêt pour l’aider à payer son système de triage et son installation, sur la base de l’utilisation innovante de la technologie. Cheetah remboursera ce prêt en versements mensuels sur 10 ans.

À ce jour, Cheetah a investi environ 15 millions de dollars à Nechalacho et à Saskatoon, indiquait Mathew Edler, vice-président directeur de Cheetah. Des coûts supplémentaires liés à l’exploitation et aux produits de consommation seront à envisager à l’usine de la Saskatchewan. Une fois la construction terminée, le coût total devrait atteindre les 40 millions de dollars.

Décrypter le code

Dans l’installation d’extraction de Saskatoon, le concentré de terres rares est broyé en sable, placé dans un four giratoire et chauffé à 400 °C. Comme l’expliquait M. Edler, la chaleur permet à Cheetah de dissoudre les terres rares, qui prendront au final la forme d’un carbonate de terres rares. Cette « poudre bleu pale », comme il la décrivait, sera vendue à des usines de séparation.

Cheetah a signé un bail minier de 10 ans pour son installation d’extraction de la bastnaésite située juste à côté de la nouvelle installation de traitement des terres rares (d’une valeur de 31 millions de dollars) du conseil de recherche de la Saskatchewan. Une fois la construction terminée, cette installation comprendra une usine d’extraction de la monazite, ainsi qu’une usine de séparation. Cheetah espère mettre en service son installation cet hiver, et expédier à son premier client au cours du premier semestre 2022 pour commencer à générer des revenus.


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Cheetah a signé une entente de cinq ans avec REEtec, une entreprise norvégienne qui se spécialise dans la séparation des terres rares, pour lui vendre 1 000 tonnes de carbonate des terres rares ex-cérium (sans cérium). Au vu de la quantité de détails sur la chaîne d’approvisionnement, logistique et technologique, on peut comprendre que Cheetah adopte une approche progressive au démarrage de Nechalacho. « La raison pour laquelle nous procédons ainsi est que nous voulons permettre à tous d’être à l’aise avec notre manière de faire », déclarait M. Edler. « De manière générale, les terres rares ont une très longue période d’acceptation par les clients. » En d’autres termes, les clients tels que REEtec doivent être certains que la société peut fournir les produits issus des carbonates de terres rares qu’elle a promis. « Les clients commenceront par prendre de petites quantités du matériau, probablement pendant 12 mois, 24 mois, voire 36 mois, jusqu’à ce qu’ils aient suffisamment confiance dans notre société et dans la qualité et la régularité des produits que nous leur fournissons. »

Cheetah continuera à optimiser son usine pour approvisionner ses clients en produits les plus satisfaisants possible. Le cérium, par exemple, peut contenir jusqu’à 50 % de produit sous forme de carbonate de terres rares. Cependant, ces dernières années, expliquait M. Edler, cet élément est devenu indésirable pour les installations de séparation car son marché est pratiquement inexistant. « Chaque gramme de cérium que l’on extrait est un gramme de moins qu’ils ont à retirer. Et notre processus d’extraction est moins coûteux que le leur », indiquait-il. REEtec préfère obtenir 1 000 tonnes de carbonate de terres rares sans cérium que 2 000 tonnes avec cérium. « Dans ce cas, il est question de partage des coûts », déclarait M. Edler, ajoutant que les sociétés peuvent collaborer pour trouver le meilleur arrangement possible, car Cheetah ne fait pas concurrence à REEtec. « Nous apprenons tout un tas de petits détails. »

Privilégier le local

Fin juillet, Cheetah a célébré la mise en service du système de triage en faisant venir par avion la Première Nation des Dénés Yellowknives (YKDFN), ainsi que le maire de Yellowknife, pour une visite du site et une cérémonie sur fond de tambours de la Nation Dénée. À cette occasion, David Connelly, vice-président de la stratégie et des affaires générales de Cheetah, a dressé une liste des avantages du projet pour l’économie territoriale. Quelque 100 fournisseurs locaux participent au projet à ce jour, et plus de 85 % des marchés d’acquisition ont été attribués à des fournisseurs autochtones, indiquait-il. Les expéditions par péniche au sud de la rivière Hay entraîneront aussi un quasi-doublement des cargaisons non liées au transport de carburant qui passeraient par le port au cours des trois années à venir. Ces cargaisons quitteraient le territoire, renversant ainsi la tendance pour cette région largement dépendante de l’importation de biens, de nourriture et de carburant en provenance du sud.

Lorsqu’ils atterrissent dans le camp, les visiteurs et les employés sont accueillis par des cabanes en bois. Avec l’aimable autorisation de Cheetah Resources/billbradenphoto

Cheetah a embauché Det’on Cho Nahanni Construction Corp. comme principal entrepreneur minier, une entreprise commune détenue à 51 % par les YKDFN. Paul Gruner, président et chef de la direction de la Det’on Cho Corporation (l’entité commerciale des YKDFN), indiquait que c’est la première fois qu’une Première Nation canadienne est choisie comme entrepreneur minier sur ses terres ancestrales. Des discussions sont également en cours entre la Première Nation et Cheetah, ajoutait-il, quant à l’éventualité pour les YKDFN d’obtenir une participation en capital dans le projet.

Plus de 70 % des employés et des directeurs de Nechalacho sont des Autochtones. En outre, lors des activités d’extraction, de forage, d’abattage par explosifs et de triage, près de 40 travailleurs sont présents sur le site (les activités ralentiront considérablement pendant la période hivernale. Si les équipes de forage ne sont pas sur place, seulement deux personnes chargées du soin et de la maintenance du site seront présentes). Pour l’instant, Cheetah Resources emploient 67 personnes suivant un programme de rotation. Ce chiffre pourrait doubler si le démarrage de la zone Tardiff a lieu en 2024.

Alors que Cheetah règle les derniers détails pour son exploitation de la zone T Nord, la société continue de forer le gisement de Tardiff, bien plus grand, au sud de son camp principal. La direction de Cheetah comprend bien que si la société souhaite continuer l’exploitation à Nechalacho, il lui faudra obtenir le permis d’exploitation pour Tardiff rapidement. MM. Edler et Connelly faisaient tous deux remarquer qu’il faut compter environ deux ans et demi dans les T.N.-O. pour obtenir un permis. Afin de garantir un approvisionnement constant en concentré pour l’installation de fragmentation de Cheetah à Saskatoon, la société a acheté en août 2021 les projets Kipawa et Zeus d’exploitation des terres rares près de Témiscaming, au Québec.

Cheetah prévoit d’utiliser le système de triage à Tardiff, même s’il faudra peut-être avoir recours à la flottation pour séparer davantage le minerai. Pour le moment, M. Gruner compare l’exploitation minière de la zone T Nord de Nechalacho à une « carrière d’agrégats », car aucun traitement secondaire ni substances chimiques ne sont utilisés.

D’après M. Connelly, la plupart des travaux d’exploration à Tardiff en ce moment portent sur l’aménagement de la mine. Les ressources, indiquait-il, sont relativement bien comprises et explorées, car les précédents propriétaires avaient investi plus de 120 millions de dollars pour développer Nechalacho.

De fait, le lac Thor est exploré depuis les années 1970, lorsque des géologues étaient venus à la recherche de tantale, de béryllium et d’uranium (M. Edler avait visité le site dans les années 1980, à une époque où les terres rares intéressaient peu les sociétés minières. Le géologue Chris Pedersen de Cheetah était membre de l’équipe d’exploration du site à la recherche de béryllium dans les années 1980).

Au milieu des années 2000, Avalon Rare Earth Metals a acheté la propriété et a passé plus d’une décennie à développer le projet. En juin 2019, Cheetah Resources achetait la zone supérieure des gisements subaffleurants de la zone T Nord et Tardiff (de fait, tout ce qui se trouvait à 150 mètres au-dessus du niveau de la mer dans le projet de Nechalacho) pour la somme de 5 millions de dollars. La zone supérieure de Tardiff affiche des ressources mesurées, indiquées et présumées de 94,7 millions de tonnes à une teneur totale de 1,46 % d’oxydes de terres rares. Avalon détient encore la zone Basal plus complexe et riche en ressources (tout ce qui se trouve en dessous de la zone supérieure).

La prochaine étape pour Cheetah à Nechalacho, l’exploitation du gisement Tardiff, pourrait produire cinq fois plus de carbonates de terres rares que la production annuelle de la zone T Nord. Toutefois, le projet restera de petite envergure par rapport aux critères traditionnels d’exploitation minière. « En ce qui concerne les produits issus des terres rares, la production et la consommation mondiales vont de 130 000 à 140 000 tonnes par an », indiquait M. Edler. Dans le meilleur des cas, Cheetah pourra vendre 10 000 tonnes de carbonates de terres rares par an de son installation de Saskatoon. Une partie de ces matériaux pourrait provenir d’autres projets d’exploitation des terres rares que la société développe actuellement, tels que Wigu Hill en Tanzanie, ou encore Zeus et Kipawa.

Toutefois, si le développement de la zone Tardiff se poursuit, il pourrait ouvrir la voie à des emplois stables pour plusieurs générations de mineurs dans les Territoires du Nord-Ouest, dans un contexte où l’avenir du secteur dans la région semble compromis. Cela contribuerait également à réduire la mainmise de la Chine sur le marché des terres rares, conférant par là même aux utilisateurs finaux une plus grande certitude, car le pays est réputé pour influencer les prix en imposant des tarifs douaniers et en rationnant la production ou en submergeant le marché.

Ceci apporterait en outre une valeur ajoutée à l’approvisionnement mondial en métaux qui continuent de trouver de nouvelles applications dans les technologies de pointe. « Une minuscule pincée de terres rares pourrait faire une grande différence dans la fabrication d’aimants, de fibres optiques, d’écrans LCD, tous ces objets curieux et formidables, et bien d’autres nouveaux objets ingénieux que l’on ne cesse de découvrir », concluait M. Edler.

Traduit par Karen Rolland