La fonderie modernisée de Kitimat Dwight Magee
En 2011, Rio Tinto annonçait son projet de moderniser la fonderie d'aluminium de Kitimat, dans le nord-centre de la Colombie-Britannique, construite il y a 60 ans. Quatre années et 6 milliards $ plus tard, la nouvelle fonderie était construite. L'usine fonctionne à pleine capacité depuis la fin de l'année 2016 et produit de l'aluminium d'une très grande pureté affichant l'une des empreintes carbone les plus faibles au monde.
La fusion de l'aluminium est un procédé consommant beaucoup d'énergie qui requiert une quantité considérable d'électricité fiable et peu coûteuse, généralement produite par des centrales hydrauliques ou thermiques alimentées au charbon. Malgré l'énergie nécessaire à sa production, l'aluminium est omniprésent dans la vie moderne. Ce métal léger et résistant à la corrosion est utilisé dans de nombreux domaines, notamment pour la construction de matériaux, l'emballage de boissons, ou encore la fabrication d'ustensiles ménagers et de produits électroniques. On l'utilise énormément dans le domaine des transports comme matériau léger destiné aux panneaux de carrosserie dans l'industrie de l'aérospatiale et automobile ; il remplace de plus en plus des composants en acier plus lourds afin de réduire la consommation de carburant et les émissions de gaz à effet de serre (GES) sur toute la durée de vie d'un véhicule.
Rio Tinto a considérablement réduit ses émissions et a augmenté sa production annuelle de près de 50 % à la fonderie de Kitimat en remplaçant une technologie obsolète par une plus nouvelle tout en continuant d'employer des sources fiables d'hydroélectricité de la région ainsi que les travailleurs qualifiés déjà présents.
Une bonne base
La fonderie et la ville de Kitimat à proximité ont émergé de la région sauvage et reculée de Colombie-Britannique dans les années 1950 grâce à ce qui représentait à l'époque le plus grand projet de construction jamais entrepris par le secteur privé au Canada. Le projet Kitimat-Kemano a créé le réservoir Nechako, creusé un tunnel de 16 kilomètres (km) à travers la chaîne Côtière et construit une centrale hydroélectrique à Kemano. Une ligne de transmission de 80 km a également été construite pour fournir à la fonderie récemment construite à Kitimat une capacité de 1 000 mégawatts (MW). Le quai de Kitimat. Rio Tinto/Dwight Magee
Depuis, le procédé fondamental consistant à produire de l'aluminium a très peu changé. Tout d'abord, le minerai bauxitique extrait des régions équatoriales d'Australie, de Chine, du Brésil et de Guinée est affiné en poudre d'alumine (Al2O3). Une fois envoyée dans une fonderie, l'alumine est dissoute dans un électrolyte fondu contenant du fluorure à environ 960°C, puis réduite en aluminium métallique par électrolyse. Cette réaction électrolytique se fait dans une série de cellules de réduction de l'aluminium connectées, que l'on appelle aussi des « cuves », lesquelles contiennent des anodes et des cathodes en carbone.
En 2007, Rio Tinto a acheté à Alcan la fonderie de Kitimat ainsi que le système complexe de réservoir et la centrale électrique à Kemano, et a achevé son projet de modernisation début 2016, malgré les conditions de marché difficiles pour les matières premières durant toutes ces années. Les 384 cuves de la fonderie, qui fonctionnent maintenant à pleine capacité, produisent 3 tonnes d'aluminium par jour, soit environ 420 000 tonnes par an au total. Reste à savoir pourquoi Rio Tinto a décidé de moderniser une usine vieille de 60 ans située dans une région isolée plutôt que d'en construire une autre ailleurs.
Le lieu, bien évidemment
« Le fait que nous produisions nous-mêmes notre énergie à partir du réservoir Nechako constitue un avantage compétitif non négligeable pour nos activités », expliquait Gareth Manderson, directeur général de la section BC Works de Rio Tinto. « Nous pouvons produire de l'énergie hydraulique ne dégageant aucune émission de CO2 et, grâce aux progrès réalisés en matière de technologie de fusion par le biais des travaux de recherche et développement au Canada, l'aluminium que nous produisons affiche les plus faibles émanations de gaz à effet de serre au monde. »
Manderson ajoutait que Rio Tinto avait choisi de moderniser la fonderie de Kitimat plutôt que de la délocaliser pour plusieurs autres raisons. « Cela fait 60 ans que nous sommes implantés dans cette région ; qui plus est, notre équipe est extrêmement qualifiée et sait faire de l'aluminium », déclarait M. Manderson. En outre, la fonderie se trouve sur le chenal marin de Douglas, un port profond jamais bloqué par les glaces et praticable toute l'année qui offre un accès facile aux marchés du sud-est de l'Asie et des États-Unis, et permet de récupérer facilement les livraisons d'alumine des exploitations de Rio Tinto en Australie. Kitimat bénéficie d'une bonne infrastructure, d'une logistique de pointe et d'une main-d'œuvre qualifiée, déclarait Gareth Manderson, directeur général de la section BC Works de Rio Tinto. Rio Tinto/Dwight Magee
La construction de la nouvelle fonderie, gérée par Bechtel Canada, à côté d'une fonderie encore en exploitation, a nécessité une coordination intensive. D'une part, il fallait gérer la production, la sécurité et les travailleurs supplémentaires sur le site ; d'autre part, la nouvelle fonderie se trouve entre deux cours d'eau qui abritent des saumons et requièrent donc une haute protection, et elle est bordée sur les autres côtés par des terrains marécageux, des montagnes et l'océan.
« Nous avons fermé une partie de la fonderie et avons placé la nouvelle fonderie sur les terres existantes, qui comprenaient l'ancienne zone de production », indiquait M. Manderson. « Nous démontons maintenant l'ancienne fonderie. »
Quoi de neuf sous le couvercle ?
La fonderie de Kitimat utilise maintenant la technologie d'électrolyse AP40. Ce nom est tiré des initiales de la société de recherche française Aluminium Pechiney, qui appartient désormais à Rio Tinto et a développé cette technologie en exclusivité, et la particule 40 correspond au plus de 400 000 ampères qui circulent dans les cuves.
« Le procédé consistant à fabriquer du métal en fusion est très semblable dans l'ancienne usine et dans la nouvelle », expliquait Laure Kline (Massardier), ceinture noire en matière d'amélioration des activités dans la section BC Works de Rio Tinto. « Nous avons encore besoin de carbone, d'électricité, d'alumine et de bain électrolytique. Tout ceci se produit dans les cuves. »
Mme Kline est ingénieure chimiste de formation et a assisté à la modernisation, du début jusqu'à la fin, pendant les cinq années durant lesquelles elle a travaillé à la fonderie de Kitimat. Peu avant que les anciennes cuves ne soient scellées, Mme Kline est devenue l'une des premières personnes à adopter la transition vers la nouvelle technologie au sein de l'équipe pilote de la réaction réductive.
« La principale différence avec cette nouvelle technologie est que nous pouvons maintenant précuire le carbone avant qu'il ne parte dans la cuve », déclarait Mme Kline. Avec l'ancienne technologie Søderberg, les sources de carbone étaient cuites au dessus des cuves, puis ajoutées manuellement. Durant la combustion du carbone pour produire l'aluminium, il fallait constamment remplir les cuves par la partie supérieure. Laure Kline a commencé à travailler sur les séries de cuves 1 et 2, les plus vieilles du site (64 ans), et était la première directrice des travaux dans l'usine dédiée à la réduction. Rio Tinto/Dwight Magee
« Aujourd'hui, toutes les cuves sont couvertes », indiquait Mme Kline. « Les anodes sont cuites dans un four équipé d'un centre de traitement des fumées. » Ces gigantesques blocs d'anode en carbone pèsent plus d'une tonne chacun et sont abaissés dans les cuves recouvertes afin de déclencher la réaction réductive. Les émissions de fluorure émanant des cuves sont captées par de l'alumine « fraîche » et réutilisées dans les cuves. Les anodes utilisées sont aussi entièrement recyclées sur le site.
« En termes de santé et d'environnement, c'est le jour et la nuit », précisait Mme Kline en parlant de la nouvelle section dédiée à la réduction. « L'environnement de travail est bien plus propre en termes d'émissions de gaz et de poussière. »
L'efficacité énergétique a également atteint des sommets avec ce nouveau système. Les anciennes cuves consommaient entre 18,5 et 20 kilowattheures d'énergie pour fabriquer une tonne d'aluminium (kWh/t) ; les cuves AP40, quant à elles, utilisent environ 13 kWh/t pour fabriquer la même quantité. « Ces performances font partie des meilleures dans le secteur », indiquait Mme Kline, expliquant que l'équipe essaie de « tirer au maximum profit des cuves » afin que la fonderie devienne la plus productive au monde.
Meilleur pour l'environnement
Chaque tonne d'aluminium produite à la fonderie de Kitimat génère environ deux tonnes de GES. Par comparaison, certaines fonderies en Chine génèrent entre 17 et 20 tonnes de GES par tonne d'aluminium produite en utilisant une technologie de fusion obsolète associée à des centrales thermiques alimentées au charbon.
« Du point de vue des GES, nous avons réduit les émissions de CO2 de 36 % », indiquait M. Manderson. « Le procédé que nous utilisons est environ 30 % plus performant en termes énergétiques que le précédent. Nous générons moins de CO2 pour produire une tonne d'aluminium. »
Outre la réduction des émissions de CO2, l'usine a réduit les émissions de particules de 80 % et considérablement réduit les émissions de fluorure grâce à un captage et un recyclage plus efficaces. La pré-cuisson des anodes ainsi que le captage et le traitement de ces fumées ont engendré une réduction de 98 % des émanations d'hydrocarbures polycycliques aromatiques provenant du carbone.
Si les résidents de Kitimat ont accueilli favorablement la réduction globale de 50 % de l'empreinte environnementale de la fonderie, certains ont exprimé leurs inquiétudes auprès de la presse quant à l'impact des émissions de dioxyde de soufre (SO2) sur les personnes asthmatiques.
« Le soufre provient des matières premières dans notre procédé, aussi lorsque nous augmentons notre production de 50 %, les émissions de SO2 en seront affectées », déclarait Mme Kline. Consciente de l'augmentation potentielle des émissions de SO2, Rio Tinto a fait venir des conseillers experts dans le domaine des effets du SO2 afin de modéliser les émissions de SO2 et d'évaluer leur impact possible sur l'environnement.
En réponse, la société a construit ses centres de traitement des gaz et des fumées dans des tours très hautes afin de libérer le SO2 chauffé et dilué dans l'atmosphère. Un programme environnemental complet portant sur l'échantillonnage de l'air, de l'eau, de la végétation et du sol dans des sites de la vallée de Kitimat surveille actuellement la dispersion autour du site. Des données relatives à la qualité de l'air pour les sites de surveillance autour de Kitimat sont présentées sur la page dédiée à la qualité de l'air du site Internet de la province de C.-B.
Aller de l'avant
Le nombre de travailleurs sur le site, qui a dépassé les 4 000 au pic de la construction en 2014, s'est stabilisé à environ 1 000 personnes composant le personnel exploitant. D'après M. Manderson, la prochaine étape consistera à optimiser les activités et la productivité ; il sonde actuellement les employés pour obtenir des idées innovantes.
« Nous rationalisons les procédés en discutant avec les employés », expliquait M. Manderson. « Avec 1 000 employés s'efforçant d'exécuter une tâche un peu mieux chaque semaine, chaque mois, ou après chaque poste, les améliorations au fil du temps sont considérables. »
La décision de redonner vie à une vieille fonderie aura été payante. La prochaine étape pour la société consistera à stabiliser le procédé tout en préservant sa place parmi les meilleurs au cours des 10 ou 15 années à venir. « Disposer d'une technologie de pointe ne suffit pas pour être le meilleur », précisait Mme Kline. « Si cela constitue indéniablement le fondement du succès, ce sont les personnes qui travaillent et la façon dont elles s'exécutent qui font réellement la différence. »
Traduit par Karen Rolland