Le camp Esker de Noront Resources au Cercle de feu. Avec l'aimable autorisation de Noront Resources

Le gouvernement de l’Ontario et neuf Premières Nations de Matawa au nord de l’Ontario ont franchi une étape dans le processus de réconciliation en avril 2014. Ils ont signé l’entente-cadre régionale, un accord historique qui repose sur une nouvelle approche communautaire pour mener les négociations sur l’exploitation des ressources.

L’entente portait sur le Cercle de feu, une ceinture minérale de 5 000 km2 que la première ministre Kathleen Wynne a décrit comme étant l’une des possibilités minières les plus intéressantes pour l’Ontario depuis près d’un siècle. Grâce à d’importantes réserves de nickel, de cuivre et de platine, et l’un des plus importants gisements de chromite du monde, la valeur du gisement est estimée à quelque 60 milliards $. Mais les négociations autour du développement du Cercle de feu se sont maintes fois heurtées à un mur pendant près d’une décennie. Cependant, un vent d’espoir soufflait en cette journée historique où le gouvernement et l’ensemble des neuf Premières Nations, dont les territoires traditionnels allaient être touchés par le développement, ont signé l’entente.

En août dernier, il semblait que cette approche avait effectivement ouvert la voie au développement. Le gouvernement a annoncé une entente avec trois Premières Nations du Matawa – celles de Webequie, de Marten Falls et de Nibinamik – en vue de construire un corridor de transport de 1 milliard $ praticable en toute saison, tel qu’il avait été proposé par les collectivités, qui ne sont actuellement accessibles que par voie aérienne ou par des routes saisonnières. L’analyse environnementale débuterait en 2018. La construction du nouveau corridor qui relierait les collectivités – et le développement minier du Cercle de feu – aux routes provinciales actuelles commencerait en 2019. La contrainte majeure au développement minier, qui était dépourvu de l’infrastructure nécessaire pour le transport du minerai jusqu’au marché, avait finalement été surmontée.

Trois jours plus tard, les chefs des Premières Nations Eabametoong et Neskantaga ont exprimé leur frustration d’avoir été tenus à l’écart des discussions. « Dans les faits, toutes les routes qui mènent au Cercle de feu traversent les territoires de nos Nations, et rien ne se fait sans le consentement libre, préalable et éclairé de nos Premières Nations », a déclaré le chef de la Première Nation Neskantaga Wayne Moonias dans le communiqué.

Le point de vue du gouvernement

« Le chemin de la réconciliation est un processus compliqué », a admis M. Michael Gravelle, le ministre du Développement du Nord et des Mines de l’Ontario. Cela dit, le Cercle de feu reste un processus de négociation « qui est essentiellement centré sur la collaboration avec les Premières Nations pour faire progresser ce qu’elles considèrent comme étant déterminant pour appuyer ce développement ».

Par exemple, les projets de routes ont été élaborés par les trois Premières Nations elles-mêmes. « Cela témoigne de la qualité exceptionnelle de l’entente-cadre régionale », a précisé M. Gravelle. « On ne parle pas ici de l’Ontario qui pilote le processus. On parle des Premières Nations qui pilotent le processus. »


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Concernant les préoccupations évoquées par les Premières Nations Eabametoong et Neskantaga, M. Gravelle a souligné que l’entente entre le gouvernement et les trois Nations du Matawa n’était simplement qu’une étape dans ce processus. « Nous continuerons de travailler avec l’ensemble des neuf Nations », a-t-il ajouté. « Une table de travail juridictionnelle conjointe a été mise en place avec les neuf Nations du Matawa. Nous sommes en train d’en régler les détails; elle abordera les questions telles que la propriété des routes, la gouvernance, les permis et la gestion des terres. »

« De plus, le gouvernement de l’Ontario reste déterminé à renforcer les capacités dans la région », a souligné M. Gravelle, « en prenant pour exemple la somme de plus de 111 millions $ que le gouvernement a dépensés dans les collectivités du Cercle de feu depuis 2011. Nous avons travaillé très fort pour bien préparer les collectivités à ce potentiel de développement », a indiqué M. Gravelle. « Par exemple, plus de 3 100 membres des Premières Nations ont suivi des programmes de formation visant à soutenir l’emploi. »

Aussi, en octobre 2017, les gouvernements fédéral et provincial ont annoncé un investissement de 69,2 millions $ dans les infrastructures à large bande pour la région du Cercle de feu.

Une route pavée d’embûches

La réaction des Nations Eabametoong et Neskantaga à l’annonce faite au mois d’août par le gouvernement découle d’une lettre que la première ministre Kathleen Wynne avait envoyée en mai 2017 aux neuf chefs des Premières Nations, dans laquelle elle exprimait sa frustration et les avertissait qu’elle était prête à négocier avec les Premières Nations individuellement si elles n’arrivaient pas à s’entendre. Quelques mois plus tard, il semblait que le gouvernement avait agi dans ce sens. Le chef Johnny Yellowhead, de la Première Nation de Nibinamik et le chef Cornelius Wabasse, de la Première Nation de Webequie ont aussitôt tenu une conférence de presse pour préciser que leur entente était de mener une étude en vue de définir un corridor d’infrastructure pour leurs collectivités.

CIM Magazine a contacté les neuf Nations à plusieurs reprises pour recueillir des commentaires, mais n’a reçu aucune réponse de leur part.

« Dans la démarche actuelle du gouvernement, je vois surtout une façon de diviser pour mieux régner sur les peuples des Premières Nations », a déclaré Cheryl Chetkiewicz, une scientifique responsable du programme du Grand Nord ontarien pour la Wildlife Conservation Society Canada qui concentre par ailleurs son action sur la recherche et les outils favorisant la planification environnementale régionale et communautaire dans cette région. « Autant qu’il me semble que la première ministre se soucie vraiment de bien faire les choses, d’aider les collectivités et d’appuyer leur vision de l’avenir, trop souvent le travail mené avec les Premières Nations ne progresse pas assez vite dans le cadre de l’échéancier politique et l’on se retrouve avec les mêmes difficultés [que par le passé]. »

Selon Mme Chetkiewicz, les infrastructures de transport ont eu des effets positifs sur les localités éloignées, elles ont par exemple fait baisser le prix des aliments et ont permis un meilleur accès aux services, mais elles ont aussi des incidences écologiques et sociales potentiellement négatives à long terme. Parmi elles, il y a la sécurité, étant donné les risques inhérents à laisser les camions qui transportent du minerai partager la route avec des automobiles, et les incidences écologiques sur les poissons et la faune, et sur la qualité de l’eau; il y a également les problèmes posés par le fait de rendre accessibles les terres des Premières Nations aux non-autochtones. « Je ne pense pas qu’il y ait eu des discussions sérieuses ou de la recherche sur les répercussions que ces routes auront sur des communautés des Premières Nations et sur ce que cela pourrait signifier à l’avenir pour les poissons, la faune, et les habitants », a-t-elle précisé.

« Les chefs [des Premières Nations] ont dit que nous n’étions pas contre toute forme de développement », a indiqué M. David Paul Achneepineskum, président-directeur général de l’organisme de gestion des Premières Nations Matawa. Mais nous avons besoin de ressources pour nous préparer. »

Chaque collectivité fait face à des défis uniques, dont un grand nombre sont critiques. La communauté de Neskantaga, par exemple, vit sous l’ordre de faire bouillir l’eau qu’elle consomme depuis 22 ans, comme c’est le cas pour la communauté de Marten Falls depuis 2005. Bien qu’au cours des prochaines années ces deux communautés auront finalement de nouvelles usines d’épuration d’eau, le fait d’obtenir l’accord du gouvernement pour ces projets a été une entreprise ardue et de longue haleine.

« Au chapitre de la formation, en dépit de certaines initiatives, ni le gouvernement fédéral ni la province n’ont mis au point un plan global visant à répondre aux dures réalités que connaissent les communautés », a indiqué M. Bob Rae, qui agit à titre de conseiller pour le Conseil Tribal des chefs de Matawa pour le développement du Cercle de feu. « Ces négociations sont toujours en cours », a-t-il déclaré.

Tout porte à croire que le traumatisme intergénérationnel dont ont hérité ces communautés est dévastateur.  « Les pensionnats, la dépendance à l’automédication, les taux de suicide élevés, et le peu de ressources affectées en santé mentale entravent la capacité des collectivités de se rassembler et de prendre des décisions », a souligné M. Rae.

« C’est un défi constant », a-t-il conclu. « Je pense que ce que les gouvernements ont du mal à mesurer pleinement est le fait que ces collectivités sont en crise et qu’elles font face à certains enjeux absolument fondamentaux sur le plan humain. Ce n’est pas comme négocier avec une chambre de commerce. Les gouvernements doivent faire preuve de bien plus d’imagination et de compassion pour comprendre comment réagir afin d’aider les collectivités en proie à de telles crises. »

L’engagement envers le processus

Le gouvernement de l’Ontario reste déterminé à maintenir « un dialogue ouvert avec les Premières Nations de la région pour veiller à ce qu’elles puissent participer activement au processus décisionnel », a affirmé M. Gravelle. « Nous voulons améliorer le soutien au développement économique et social des collectivités, et le partage des bénéfices tirés des ressources fait également partie des sujets à négocier. »

Toutes les Premières Nations, y compris les communautés de Webequie, de Marten Falls et de Nibinamik, et celles d’Eabametoong et de Neskantaga, ont aussi réaffirmé leur attachement à l’entente-cadre régionale.

« Je n’ai certainement pas abandonné tout espoir », a indiqué M. Rae. « C’est un espoir qui se fonde sur la constatation que le développement n’est possible qu’avec l’appui et l’approbation des Premières Nations. Et il faudra que les conditions de vie sur les réserves s’améliorent de façon considérable pour que les habitants puissent être en mesure de bénéficier d’un quelconque développement. En un mot, cela va nécessiter un engagement constant, ce qui parfois peut être frustrant, mais il n’y a pas d’autre solution à cette situation. »

Traduit par CNW